
La généralisation des rituels de classe oraux à toutes les disciplines en prenant appui sur les pratiques didactiques en langues vivantes
CERTIFICATION D’APTITUDE AUX FONCTIONS DE FORMATEUR ACADEMIQUE
Académie de Reims session 2020-2022
Mémoire professionnel
Discipline : Allemand, Français Langue Seconde
Titre : Hybrider la formation : La généralisation des rituels de classe oraux à toutes les disciplines en prenant appui sur les pratiques didactiques en langues vivantes : un objet de formation et d’accompagnement
Auteur : MASIC NOSTRY Samir
La généralisation des rituels de classe oraux à toutes les disciplines en prenant appui sur les pratiques didactiques en langues vivantes : un objet de formation et d’accompagnement
Sommaire
1. Les prescriptions officielles et le cadre théorique
1.1 Pratique de l’oral et textes officiels : les enjeux éducatifs et leurs évolutions
1.2 Enjeux des rituels oraux dans l’acquisition des compétences orales
2. État des lieux des pratiques ritualisées au sein d’un établissement
2.1 De l’intérêt de la ritualisation au sein de l’établissement
2.2 Le rituel oral en classe de langue vivante et Français langue seconde
3. Les plus-values des pratiques orales ritualisées
3.1 Le rituel oral et la prise de confiance en soi
3.3 Visibilité et explicitation des apprentissages
3.4 Anticipation d’une possible controverse
4. Former, accompagner aux pratiques de rituels oralisés
4.2 Cadre préconisé pour la formation continue
4.4 Analyser les résultats post-formation
Introduction
« Un rituel est un mouvement corporel avec un début, une fin et une direction précise. »[1]
Cette citation d’ouverture renvoie, certes, à des sciences telle que la sociologie ou l’anthropologie, elle met néanmoins en exergue la démarche et le geste professionnel enseignant que je me suis efforcé d’analyser dans cet écrit en nuançant le terme de
« mouvement corporel » qu’on pourrait tout à fait appliquer à un acte langagier. Il s’agira de savoir comment définir le début, la fin précise dans une salle de classe dont les apprenants pratiquent les rituels oralisés qu’ils soient d’ouverture et/ou de clôture de séance.
Les rituels de début et/ou de fin de séance sont des moments précieux dans la mise en œuvre d’une séance pédagogique. Outre le rituel d’accueil des élèves (salutations, rangements en silence devant la salle de cours…), ces rituels concourent de même à une mise en confiance et une mise en appétit des contenus de la séance qui s’éloignent de l’effet « zapping des disciplines » lorsque la sonnerie retentit et que les élèves se déplacent d’un cours A vers un cours B. Ils sont un « sas de passage »[2] entre l’école et la maison selon Jacques Lévine.
Ce mémoire aura pour but de s’intéresser aux différents rituels oraux empruntés au corpus disciplinaire des langues vivantes et du français langue étrangère afin d’en questionner les effets sur la prise de parole, la mise en confiance des élèves car il est vrai que dans la classe, l’oral peut être une source de questionnements : faire parler les élèves coûte en termes de temps, c’est une pratique coûteuse dans le compte à rebours didactique. De plus, afin d’y parvenir, il faut sans cesse faire évoluer les déclencheurs de parole ainsi que les idées qui permettent à un maximum d’élèves de vouloir prendre la parole. Ce mémoire servira également de point de départ à une réflexion plus globale destinée aux futurs formateurs quant à la faisabilité et la mise en place d’un acte de formation qu’il soit en groupe ou en accompagnement, il servira d’objet de formation et d’accompagnement.
L’idée de ce mémoire m’est venue lors d’une prise de conscience des véritables enjeux sociologiques qui se jouent derrière les compétences orales. La maîtrise des compétences orales constitue un instrument d’ascension sociale tout comment la littératie. La situation préprofessionnelle qui convoque le mieux ces compétences est l’entretien d’embauche dont les représentations sont très éloignées des élèves, surtout ceux du collège. Néanmoins cette situation qu’ils rencontreront dans leur vie restera le premier moment où ils seront, pour la première fois avec une visée professionnelle, jugés sur leurs compétences orales.
Ainsi, la mise en avant des compétences orales au niveau du nouveau Diplôme National du Brevet ou du nouveau Baccalauréat ont été importantes ces dernières années : introduites comme nouvelle épreuve à part entière dans le nouveau DNB en 2016 mais également au Baccalauréat avec le « Grand oral » alors même qu’elles n’étaient affectées qu’aux disciplines linguistiques (français et langues), auparavant, les épreuves orales sont devenues transversales et adisciplinaires. La prescription officielle ainsi que son cadre théorique feront l’objet de la première partie de ce mémoire.
Dans un deuxième temps, je m’intéresserais particulièrement à recenser les pratiques de rituels oraux au sein d’un établissement REP+, le collège Jean-Baptiste Colbert de Reims afin d’en interroger les plus-values dans une troisième partie.
Enfin, dans une dernière partie, il conviendra de proposer une ébauche d’un plan de formation sur les rituels oraux et de se questionner sur leur faisabilité tant au point de vue du public que sur le contenu de la formation.
1. Les prescriptions officielles et le cadre théorique
1.1 Pratique de l’oral et textes officiels : les enjeux éducatifs et leurs évolutions
Les rituels ont un rôle prépondérant à l’école, car c’est dans cette instance qu’on instaure un cadre propice aux apprentissages. C’est le moment où l’enfant devient élève. Ce cadre est fondamental. Ces règles qu’on leur impose représentent la limite à ne pas dépasser. On distingue à l’école les rituels institutionnels (entrée dans l’établissement en présentant son carnet, salutations des surveillants au portail de l’établissement, se ranger, faire silence, sonneries qui marquent les indicateurs temporels de la journée d’un élève, l’opération « Silence on lit » …) et les rituels pédagogiques didactisés sur lesquels je reviendrai dans un prochain point.
S’agissant des rituels oraux, il semble pertinent de se focaliser sur les prescriptions officielles renvoyant à la notion même de l’oral, de son entraînement ainsi que de son évaluation depuis une dizaine d’années. La réforme du collège de 2016 a marqué un temps fort dans cette direction, à savoir l’introduction d’une épreuve orale venant succéder à l’épreuve d’Histoire des Arts, appelée communément l’oral du DNB. Cette épreuve deviendrait donc une finalité à laquelle les enseignants sont amenés à entraîner et évaluer leurs élèves toutes disciplines confondues. Le socle commun de compétences des cycles 3 et 4 renvoie à cet entraînement et on peut ainsi lire, dans les compétences entraînées en mathématiques, deux occurrences à l’oral dans la partir « Communiquer » : « Expliquer sa démarche, comprendre des explications et argumenter dans l’échange. » ou bien « Utiliser un vocabulaire adéquat et/ou des notations adaptées pour décrire ou argumenter[3]. Toutes les compétences disciplinaires contiennent des références mettant l’élève dans une situation de production orale : rendre compte, expliquer sa démarche, coopérer à l’oral, justifier à l’oral.
C’est au cycle 2 et plus communément à l’école primaire que les aptitudes à communiquer et échanger sont les plus prégnantes. Les programmes du cycle 2 leur accordent une large place en s’appuyant sur les travaux de Jean-Charles Chabanne, professeur des universités en Sciences de l’Éducation. Il distingue 3 niveaux de gestes professionnels à considérer dans le but d’entraîner et évaluer les élèves à l’oral : l’échelle macro, l’échelle méso, l’échelle micro. Ainsi, on peut lire dans l’échelle méso : « mettre en place des rituels en confiant aux élèves des rôles explicites : dispositif, contrôle du temps. »[4]. Les rituels oralisés font donc partie intégrante des différents types d’oraux à mettre en place pour les élèves. Le rituel devient donc un genre oral scolaire qu’il convient de formaliser et intégrer aux différentes activités menées par l’enseignant où, contrairement au collège, l’oral fait l’objet de séances d’enseignement spécifiques dans 4 grands types d’activités : le récit, l’exposé, le débat délibératif ou interprétatif, la mise en voix de textes.
De plus, les programmes du cycle 2 parus en 2018 accordent une importance particulière aux rituels d’ouverture et de clôture. Ainsi on peut lire :
« Les rituels d’ouverture et de clôture sont des moments de langage organisés en début de séance pour placer l’élève en situation de recherche et en fin de séance d’apprentissage pour structurer l’objet de savoir. Ils se construisent dans un cadre didactisé institué »[5]
On note donc deux types de rituels bien distincts dans lesquels les élèves sont invités à développer leurs compétences métacognitives en répondant aux questions sur l’acquisition des objets d’études antérieurs ainsi qu’à faire le point sur le « comment ils ont appris ». L’élève doit être en mesure de dire la phrase suivante « Je sais que je sais »[6] sur l’acquisition d’un moyen langagier, d’une notion vue précédemment. L’objectif à long terme de cet entraînement est bien de « Rendre visibles les compétences orales travaillées »[7] chez les élèves.
Dans cette continuité, le Plan National de Formation sur le grand oral faisant suite à la réforme du baccalauréat de 2021 accorde la priorité nationale pour les formateurs et enseignants à être formés sur ces compétences fondamentales, « une dimension essentielle des compétences à acquérir dans le parcours de l’élève. »[8].
De plus, un enseignement d’éloquence en classe de 3ème est également prévu par ce PNF afin de marquer un « continuum »[9] des apprentissages dédiés à l’oral, depuis le cycle 1 jusqu’au cycle terminal.
Très longtemps parent pauvre des programmes d’enseignement tous cycles confondus et souvent uniquement conféré aux langues vivantes et aux lettres, l’entraînement et l’évaluation aux compétences orales sont devenus depuis 2014 (nouveaux programmes du cycle 2) une série de compétences à part entière desquelles chaque discipline doit se saisir afin de concourir à la formation d’un citoyen capable d’argumenter, d’échanger, de communiquer et rendre compte de son raisonnement. Le rituel oralisé, inscrivant l’élève dans un cadre et un habitus semble avoir toute sa place dans la construction des compétences orales nécessaires du 1er cycle jusqu’au cycle terminal.
1.2 Enjeux des rituels oraux dans l’acquisition des compétences orales
L’importance de l’oral ayant été soulignée dans la partie précédente, il convient maintenant d’analyser le terme de rituel oral ou oralisé. Que se passe-t-il du point de vue de l’élève et de l’enseignant lorsqu’on parle de rituels ? Que signifient-t-ils ? Le rituel est un élément essentiel d'un cours qu'il soit rituel de langue ou pas, donc oralisé ou non. Il répond à une organisation spatiale, temporelle et de présentation. Le chercheur en Sciences de l’Éducation, Christoph Wulf, définit en 2003, le rituel comme ayant « un début, une fin et une direction précise »[10]. En effet, il permet plusieurs actions autant pour l'enseignant que pour les élèves. C’est une pratique courante et régulière qui a, en premier lieu, un but pédagogique et qui comporte 4 aspects fondamentaux : le rituel est à considérer comme un élément obligatoire de passage, un élément de transition. Il fait la transition entre le cours précédent et le cours actuel. Il s’agit d’acculturation appliquée à la classe. Le rituel permet donc la remise au calme après un moment d'agitation comme la récréation. Il laisse place à la concentration et à la mise au travail. Ailleurs comme dans la classe, instaurer un rituel, c'est installer une routine d’apprentissages rassurante. Cependant, elle n’est, en aucun cas figée, mais bien au contraire variée et laissant place à la créativité et l’expression libre des élèves. Chaque cours a son rituel, son habitus qui lui est propre. Le rituel est adaptable à la classe, aux élèves et à l’environnement matériel. Il pourrait même faire l’objet d’une diversification.
En bref, il s'adapte au gré de l'enseignant, de sa discipline et de l'environnement pédagogique.
Sa fonction majeure étant de transmettre des savoirs, savoirs faire, et savoirs-être.
Le rituel permet à l’enseignant de rebrasser des notions, et du vocabulaire vus aux cours précédents, mais aussi de voir où en sont les apprentissages et ce, d'un rapide coup d'œil puisqu’il est de courte durée : entre trois et dix minutes. Pour les élèves, il s'agit principalement de s’acculturer à la nouvelle matière qu’ils sont en train de suivre. Cela leur permet donc de reprendre le fil des acquis et de se rafraîchir la mémoire sur ce qui a été vu précédemment. En outre, il « développe l’autonomie par son caractère connu »[11]. Comme le professeur d’anthropologie et d’éducation à l’université libre de Berlin, Christophe Wulf « les rituels réfèrent les professeurs et les élèves les uns aux autres, les lient dans une action commune et créent une communauté scolaire où chacun sait ce qu'on attend de lui »[12]. Chaque acteur de la communauté éducative est donc invité à jouer son rôle, à entrer dans les apprentissages d’une manière sereine et propice à l’ouverture de la tâche de la séance.
Les élèves, qu'ils soient du premier ou du second degré, ont besoin de la répétition pour apprendre et assimiler ce qui est nouveau ou complexe à retenir. Le rituel est donc le moment idéal pour fixer durablement et de manière rapide les notions des programmes. Ils seront un gain de temps dans le processus de mémorisation qui viendra se fixer à l’écrit lors des tâches d’expression complexes.
Enfin, le rituel ne fait pas l'objet d'une évaluation notée, car il a pour but de mettre en confiance les élèves et de les installer dans les apprentissages. Toutefois on peut attribuer, selon un système de notation d’îlots bonifiés, des points bonus aux élèves ayant participé à ces rituels. Le but est d’entrer dans le cours de manière sereine et sécurisante afin que l’élève puisse par lui-même oser entrer dans les apprentissages et se mettre en situation d’apprendre et d’assimiler. Le rituel concourt donc au vivre ensemble et fédère le groupe classe dans le sens où il installe des habitudes de travail, apporte du savoir, fait respecter les règles de vie de classe et rend une pratique automatique en y autorisant une part de créativité et d’expression libre.
2. État des lieux des pratiques ritualisées au sein d’un établissement
2.1 De l’intérêt de la ritualisation au sein de l’établissement
La variété des disciplines et des enseignants dans un établissement du second degré peut faire naître du côté des élèves un effet zapping où on passe d’une heure à l’autre, d’une matière à une seconde sans aucun lien interdisciplinaire. S’agissant d’une nouvelle langue, la langue scolaire, non pratiquée à la maison, les élèves pourraient développer des difficultés de compréhension et d’acclimatation qui viendraient entraver leur parcours scolaire si cette langue et ces habitus n’étaient pas maîtrisés. C’est pour contrer ce travers que les rituels oralisés permettent de raccrocher les élèves à la langue de l’école et à son environnement en reformulant ce qui a été vu l’heure précédente comme si une personne étrangère au cours et à la classe faisait son apparition. En rituel de fin de cours, il est également possible de bloquer les cinq dernières minutes du cours pour faire dire à un ou deux élèves ce qui a été fait lors de la séance qui vient de s’achever avec une contrainte de temps (chronométrage de la réponse) ou bien de longueur de production (faire au moins deux phrases de réponse). A côté des rituels oralisés, d’autres rituels cérémoniaux coexistent : la remise des diplômes du DNB ou de certifications en langues vivantes, la fête des talents (moment privilégié où toutes les productions annuelles des élèves ainsi que les projets menés sont présentés sous forme d’expositions, de chants, mises en scène lors d’une journée en fin d’année scolaire en présence des parents et de tous les acteurs de la communauté éducative), « Silence on lit » dont la généralisation à tous les établissements est prévue pour la rentrée prochaine. Tous ces moments de rencontres entre tous les membres de la communauté éducative ainsi que les élèves confèrent du sens aux apprentissages et permettent de créer ensemble une culture scolaire commune, un habitus[13], comportement caractéristique d’un groupe social.
De plus, les rituels concourent à l’amélioration ou au maintien du climat scolaire général de l’établissement car s’ils sont généralisés, tous les enseignants parlent d’une même voix et les élèves savent très bien où se situer et comment agir dans les premières et dernières minutes d’une séance.
2.2 Le rituel oral en classe de langue vivante et Français langue seconde
Comme évoqué précédemment, les rituels oraux sont une habitude, un incontournable didactique en langues vivantes. Il s’agit d’installer la langue de communication peu à peu dans le cours et de diriger les élèves vers la langue cible. Dans cette perspective, les rituels oralisés deviennent un prétexte à la prise de parole, une sorte de mise en bouche des objectifs visés lors de la séance. C’est un moment privilégié où l’élève sort d’un cours A pour s’acculturer à la langue vivante étudiée. Les différentes questions sont diverses et variées : faire dire la date du jour, la météo, si l’élève va bien et pourquoi, le résumé de la dernière séance. Une alternative pour les classes du cycle 4 serait de laisser un élève poser la question sur un des éléments précités et de désigner un autre camarade pour y répondre. Durant ce moment, l’élève est acteur de son apprentissage et en assume tous les rôles de pilotage, d’habitude conférés à l’enseignant. S’agissant des mêmes questions mais dont les réponses varient d’une séance à l’autre, l’élève est placé en situation de confiance car il a un cadrage de la tâche d’expression en tête et ne peut se trouver en difficulté pour y répondre.
Dans une perspective d’inclusion dans les groupes-classes UPE2A, les rituels ont également toute leur place dans la construction de sens pour les élèves. A cheval entre les langues vivantes, les lettres, le français de scolarisation et discipline d’inclusion à part entière, ces classes accueillent un public d’élèves dont la barrière linguistique et leur environnement familial les éloignent considérablement du français en tant que langue de scolarisation. Être élève est un métier qui s’apprend et qui passe par des habitus et une langue commune. Ainsi, la mise en place des rituels oraux ou cérémoniaux les installe davantage dans les situations d’apprentissage dans lesquelles le cadre rend possible une amorce d’interaction car les situations ont été vues et se répètent en leur laissant une marge de manœuvre dans l’expression libre. Il s’agit non seulement de la prise de parole des élèves mais également de stabilisation des derniers acquis langagiers. Ainsi, on pourrait proposer divers rituels comme le rituel du lundi matin (Qu’as-tu fait ce week-end ? Raconte en minimum 1 minute ! avec affichage du chronomètre au tableau), Trois mots pour une histoire (Les élèves piochent trois mots dans un dictionnaire et doivent inventer une courte histoire avec ces trois mots), le mot de la semaine (en fin de semaine, l’élève présente un mot qu’il a appris et l’explique aux autres camarades), Devine ! (faire deviner à la classe un mot appris dans la semaine en le mimant ou en ne donnant qu’un seul mot). La mise en place de ces rituels accroit considérablement la participation et l’enthousiasme des élèves qui sont placés en situation d’ouverture de la séance qui va suivre. Ils sont également plus attentifs car le contrat mis en place prévoit l’utilisation des nouveaux acquis langagiers dans des situations ritualisées à venir.
2.3 Collecte du réel : recensement des rituels oraux dans toutes les disciplines à l’échelle de 3 établissements REP/REP+
Dans une perspective de collecte du réel préconisée par le Centre Alain Savary, j’ai sondé 3 équipes pédagogiques de 3 établissements REP sur leurs pratiques de rituels oralisés. Cette enquête a été remplie par 45 enseignants sur un total de 155 en exercice dans les trois établissements.
74,1 % des professeurs sondés déclarent pratiquer des rituels oraux pour toutes les classes et toutes les heures de cours sans exception.
A la deuxième question (Quel est votre champ disciplinaire ?), les sondés ont répondu de la façon suivante :
On découvre avec surprise que les langues vivantes ne sont pas le champ disciplinaire le plus représenté quand il s’agit de rituels oraux. Les disciplines scientifiques sont majoritaires avec 22,2% des sondés. Cette présence s’explique sans nul doute par l’introduction des compétences orales dans le domaine du socle commun dévolu à ces disciplines depuis la réforme du collège de 2016. 40,7% précisent que la durée des rituels oraux se situent entre trois et cinq minutes.
Quant au contenu des rituels, on note une disparité des mots clés entre disciplines. La question posée était la suivante : « Pouvez-vous en dire davantage sur le contenu de ces rituels ? Quel type d'énoncés doivent produire les élèves ? » Les termes qui reviennent le plus souvent sont représentés dans le nuage de mots qui suit :
L’intérêt de l’outil « Nuage de mots » réside dans sa capacité à restituer rapidement les occurrences les plus utilisées dans une réponse à une question ouverte. Il permet également de montrer aux stagiaires un miroir représentatif de leur pratique ainsi qu’une confrontation avec les pratiques des autres car il fait écho à la question que tout enseignant peut se poser : « Comment est-ce dans une autre classe ? Que contient le rituel oral chez un collège X ou Y ? ». Toutefois, l’outil « nuage de mots » a également ses limites car certains enseignants pourraient être tentés de donner la réponse escomptée ce qui remettrait en cause l’authenticité des réponses et par ricochet, l’analyse des résultats.
La mise en avant de l’adjectif « court » ainsi que du terme « rappel », largement majoritaire dans ce nuage de mots, renvoient à une volonté d’efficacité et de rapidité de l’enseignant à ancrer le rituel dans la séance afin de ne pas perdre de temps sur les contenus à venir. La volonté d’efficacité de reprise de cours précédents est également reflétée dans la réponse à la question des bénéfices des rituels oraux comme le montre le graphique ci-après :
On serait également en droit de se demander si une très large majorité des élèves participent à ces rituels et quel en est le format d’exposition et la forme sociale de travail.
Ces questions pourraient faire l’objet d’une quatrième partie où il s’agira de se projeter dans une action de formation sur ce thème.
3. Les plus-values des pratiques orales ritualisées
La prise de parole en classe est très variée, peut-être même davantage en cours de langue que dans un autre cours. On qualifie la prise de parole comme étant la manifestation de tous les échanges possibles en classe : de la répétition, la reformulation, la correction et surtout l’auto-correction, la prise de parole spontanée, en passant par les bavardages, les questionnements et les réponses. Pour l’enseignant, il s’agit de transmettre des connaissances, provoquer une réflexion et pour les élèves de poser des questions et trouver des réponses. En quoi les rituels oraux permettent-ils d’amorcer l’élève sur la voie d’une participation active qui sera garante de l’implication que ce dernier aura durant toute la séance et les séances à venir ?
3.1 Le rituel oral et la prise de confiance en soi
La classe est un lieu vivant dans lequel des individus interagissent. Toutefois, la prise de parole représente une source majeure d’anxiété chez certains élèves. Les élèves ne peuvent prendre la parole sans confiance en eux. Le manque d’outils lexicaux, de grammaire ou de phonétique en leur possession peut être un frein à l’expression orale et la participation active. En cela, le cadrage de rituels oraux et leur caractère répété mettent les élèves en confiance. Chez les adolescents, le sentiment de non réussite d’une tâche orale ou écrite peut susciter la frustration de ne pas pouvoir s’exprimer par manque de ressources, la colère quand le travail ne paye pas, la joie quand il finit par payer, l’anxiété́ et la peur ou encore le doute de ne pas réussir à atteindre les objectifs fixés par lui-même ou l’enseignant. La chercheuse Estelle Riquois, maîtresse de conférences en didactique du français langue étrangère à l’Université de Paris Nanterre, (2018, p3) affirme qu’ « en classe, la prise de parole est une mise en danger, elle expose celui qui parle et le soumet aux regards des participants, que ce soit les élèves ou l’enseignant. »[14]. Cela explique les réticences de certains élèves à prendre la parole en classe et à adopter une attitude active. Ainsi, si le cadre d’expression orale tel que celui des rituels oraux est donné par avance dans un cadre sécurisant, le sentiment de mise en danger est voué à se dissiper. La confiance en soi tient donc un rôle important dans la prise de parole de l’élève comme le souligne E. Riquois :
« La confiance en soi donne les moyens à l’apprenant de prendre la parole plus fréquemment, de prendre des risques en faisant des propositions et de signaler ses difficultés lorsqu’il en rencontre »[15]
Dans cette optique, une équipe éducative d’un réseau REP+ de l’Académie de Nancy-Metz s’est réunie dans le cadre de stages de réseaux afin de réfléchir sur les gestes professionnels qui développeraient la confiance en soi chez les élèves. Si la validation du socle commun est une priorité au quotidien, les enseignants formateurs concernés par ce réseau sont partis du constat des difficultés rencontrées qui n’étaient pas d’autre cognitif quant à l’investissement des élèves qui ne s’autorisent pas à réussir, ce qui génère une attitude néfaste à la participation en classe ainsi qu’aux apprentissages de manière globale.
Ainsi, dans une quête d’amélioration du bien-être de l’élève à l’école, les travaux des formateurs visaient à « impliquer l’élève non plus en tant qu’objet mais comme sujet-acteur de ses apprentissages : oser apprendre, oser s’exprimer, savoir se positionner, s’adapter à son environnement, s’ouvrir aux autres, être écouté, avoir confiance en ses pairs et en l’adulte. »[16] La notion de confiance en soi devient donc un requis, un préalable aux apprentissages qui va de pair avec l’instauration d’un cadre sécurisant que cette équipe a défini comme l’un des trois axes principaux de travail comme illustré dans le schéma qui suit :[17]
Le terme de « dispositifs » nommé dans le schéma ci-dessus démontre la pluralité des interprétations quant à la notion même de cadre. Il pourrait s’agir tout aussi bien d’un cadre ritualisant de type cérémoniel comme d’un cadre ritualisant oralisé dont les élèves s’approprient les objectifs et gagnent en visibilité des apprentissages.
3.2 Aide à la mémorisation
Connaître un mot, c’est être capable de l’identifier à l’oral en situation de communication authentique, le lire silencieusement et à haute voix, le réemployer en contexte à l’oral et à l’écrit, le définir, l’orthographier, l’analyser grammaticalement. Ce mot doit être présenté une dizaine de fois avant d’être conservé dans la mémoire.
On distingue trois types de vocabulaire : le vocabulaire ignoré auquel les élèves ne peuvent avoir un accès direct, le vocabulaire passif qui sommeille dans la mémoire et qui est entendu par les apprenants sans construction de sens autour de ce vocabulaire, le vocabulaire actif qui est réutilisé spontanément dans une situation de communication donnée.
Afin de mémoriser le vocabulaire nouveau, la mémorisation devient impérative. « La mémoire correspond à l’expression (actualisation) dans le comportement présent d’une information à laquelle on a été confronté antérieurement ».[18] Pour pouvoir mémoriser une information, elle doit passer par l’un des cinq stimuli sensoriels : la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût. C’est la mémoire sensorielle. Cela concerne la phase d’encodage. Vient ensuite le stockage. L’information va être stockée dans le but d’y rester sur le long terme. La phase d’apprentissage est faite pour passer de la mémoire à court terme, qui est de l’ordre de la seconde, à la mémoire à long terme, qui est de l’ordre du jour, du mois ou de l’année. Enfin, vient la phase de restitution et de réutilisation de l’information, aussi appelée récupération.[19]
Avec le schéma ci-dessus, nous comprenons donc que la consolidation passe par la répétition. En d’autres termes, il ne suffit pas que d’une fois pour retenir une information nouvelle. La répétition inscrit l’objet appris dans la pérennité grâce à la répétition de ce dernier. Afin de mémoriser cet objet, l’apprenant doit le reformuler et le tourner vers un objectif métacognitif :
« Que sais-je sur… ? Comment dois-je faire pour… ? ».
Le cône d’apprentissage d’Edgar Dale (Annexe B) illustre la différence entre la mémorisation active et passive en incluant dans une pyramide les différents actes langagiers en fonction d’un pourcentage correspondant à l’objet étudié ou en cours de mémorisation et la variation entre mémorisation active et passive. Ainsi, dans leur caractère répétitif et grâce à l’ancrage dans la réalité et les enjeux et vie de classe, les rituels oraux participent à l’acquisition des objets étudiés et les intègrent dans la mémoire active de leurs apprenants.
3.3 Visibilité et explicitation des apprentissages
Une des causes de difficulté scolaire demeure la déconstruction, le manque de sens que les élèves attribuent à une tâche. Ils ne comprennent pas de quoi il s’agit dans une séance à venir et quels sont les enjeux des phrases d’apprentissage à venir. Cette caractéristique est surtout valable dans les établissements en éducation prioritaire car le fossé entre la sphère privée et les codes scolaires est bien trop grand. Marc Prouchet, formateur à l’INSPE de Lyon, parle de « déphasage entre la sphère privée d’éducation/développement et la sphère scolaire. »[20].
Ainsi, les enseignants doivent déployer des stratégies de reconstruction de sens qui raccrochent les élèves à l’objet étudié et dans sa globalité à la séquence entière car la tâche scolaire a ses codes, un certain nombre d’élèves peu acculturés à ces codes se trouvent démunis face aux attendus scolaires. »[21] C’est particulièrement le cas pour les élèves allophones dont le français n’est pas la langue de communication familiale et dont les codes et comportement face à l’école sont empreints de leur propre pays d’origine lorsqu’ils ont été scolarisés antérieurement.
Le référentiel de l’Éducation prioritaire « enseigner plus explicitement les compétences que l’école requiert pour assurer la maîtrise du socle commun »[22] tout comme les programmes 2015/16 des cycles 2 à 4 dont les occurrences au terme « explicite » sont nombreuses, s’accordent sur la nécessité d’enseigner plus explicitement avec de nombreuses recommandations, idées d’activités à mettre en place. Il convient donc d’expliciter des techniques, des pratiques, des attentes, des règles, des stratégies, des démarches, des savoir-faire, des implicites dans la compréhension des écrits, tout un panel de connaissances préalables à la transmission des savoirs.
Partant de ce constat, le chercheur Marc Prouchet identifie l’ouverture et la clôture de séance comme étant des temps sensibles de séances pendant lesquels doivent s’opérer des stratégies de compensation qui protègent les élèves contre l’éloignement de la tâche.
Dans son document appelé « Le double entonnoir ou projecteurs sur moments sensibles de séance »[23], Marc Prouchet modélise une séance en 5 phases en alternant le collectif et l’individuel. La phase de rituels et d’acculturation à la discipline enseignée n’apparaît pas dans le document mais elle porte le nom de « paillasson ». C’est durant cette première phase que peuvent commencer les rituels de classe car, comme le définit Prouchet :
« En tout début de séance, un certain nombre d’élèves ne sont pas disponibles, ne sont pas prêts pour se mettre en activité scolaire. »[24]
Il revient à l’enseignant de créer des situations compensatrices où l’élève sera davantage disponible pour l’entrée en activité afin de devenir acteur de cette dernière. A cet effet l’explicitation de la tâche (par les pairs) est donc nécessaire.
L’explicitation ou pour reprendre le terme didactique des langues vivantes, l’approche actionnelle, deviennent dans ce contexte des synonymes dans la mesure où tout comme la tâche actionnelle, l’enseignement explicite guide l’élève dans son apprentissage et lui montre le chemin parcouru à l’aide des balises que peuvent constituer les rituels oraux.
Les travaux de Dominique Bucheton, professeure honoraire à l’Université de Montpellier, laboratoire LIRDEF, rejoignent cette notion d’explicitation en y introduisant le concept de tissage.
Par tissage nous nous référons à l’activité du maître ou des élèves pour mettre en relation le dehors et le dedans de la classe, la tâche en cours avec celle qui précède ou qui suit, le début avec la fin de la leçon. (Dominique Bucheton, 2009) [25]
La mise en relation du « dehors et dedans » renvoie à l’éloignement des sphères privées et scolaires mentionnées ci-dessus. Dominique Bucheton précise que les bons élèves, ceux dont les deux sphères (scolaire et familiale) sont les plus proches l’une de l’autre, parviennent à tisser eux-mêmes les liens entre les séances. Le tissage sert à cet effet de (re)contextualisation de la tâche où chaque nouveau savoir s’inscrit dans « une continuité, dans des genres, des habitus déjà construits, des stéréotypes, des formes de l’imaginaire déposées dans la culture et l’histoire. »[26] Pour Dominique Bucheton, le tissage est donc un élément de posture de l’enseignant qu’il doit appliquer au quotidien. Sans ce dernier, la visibilité de la tâche devient obscure pour les élèves mais également pour l’enseignant lui-même. Les tâches d’ouverture et/ou de clôture de séance ont ici un rôle majeur à jouer dans le tissage des liens entre les apprentissages et la visibilité de la tâche car ils rendent la tâche visible par tous et la lie aux contenus de séance. On peut penser au rituel oral suivant en guise d’illustration : Le professeur demande aux élèves d’anticiper le contenu de l’heure et de formuler la tâche à effectuer en fin de séance à l’aide d’une projection iconographique, sonore ou vidéo.
3.4 Anticipation d’une possible controverse
Dans une optique de projection en tant que formateur, il convient d’anticiper les éventuelles objections, les freins afin d’être paré aux controverses du public stagiaire. Ainsi, on pourrait imaginer des objections ou des résistances au changement liées à une formation continue sur le thème des rituels oraux. Les différentes objections anticipées peuvent relever de la peur de la perte de contrôle, en somme la perte de pilotage face à une situation inédite. La volonté accrue de suivre son modèle disciplinaire ainsi que son seul programme amène les enseignants à ne pas penser la transversalité mais uniquement les prescriptions officielles liées à leurs seules disciplines.
Certaines réticences possibles pourraient transposer les rituels oraux dans le champ du « carcan pédagogique » qui enferme l’élève dans une posture attendue par l’enseignant afin de pouvoir commencer à dérouler le cours, si on entend que les rituels oraux sont un préalable à la suite, tel que « le paillasson » mentionné par Marc Prouchet. A l’argument du « carcan », on pourra objecter que le rituel oral est une sorte de tremplin rassurant.
4. Former, accompagner aux pratiques de rituels oralisés
4.1 Quel public d’enseignants ? Comment recenser les pratiques existantes au sein d’un établissement, d’un réseau ?
Durant de nombreuses années, les formations des enseignants ont été faites sur la base d’une inscription volontaire au Plan Académique de Formation avec un choix parmi des formations que les enseignants étaient amenés à classer, prioriser en espérant être sélectionnés. Ces formations partent donc d’une logique de programme à savoir le prescrit et le disciplinaire afin d’en diffuser les nouveautés et les évolutions aux enseignants.
Guillaume Caron, formateur en Éducation prioritaire parle de deux « logiques d’ingénierie de formation »[27], à savoir l’ingénierie de programme et l’ingénierie de contexte qui consistent à « concevoir la formation à partir du travail réel pour faire évoluer les pratiques par l’analyse du travail. »[28]. Cette dernière logique s’avère d’autant plus intéressante qu’elle ancre l’acte de formation dans un terrain existant, un champ connu, pratiqué par les enseignants. Il recentre le contenu de formation sur le réel, en relation avec le vécu actuel des enseignants. Les chercheurs Leblanc, Ria, Serres et Durand (2008)[29] vont dans ce sens et font émerger l’ingénierie de contexte comme étant un préalable à tout acte de formation :
« Les interventions des tuteurs et des formateurs ne doivent pas prescrire mécaniquement l’activité des enseignants stagiaires mais venir enrichir le contexte de leur activité en relation avec leurs préoccupations actuelles. »
L’ingénierie de contexte renvoie intrinsèquement à la notion quelque peu controversée d’andragogie développée par Knowles dans les années 1970 en cela qu’elle convoque la collecte du réel, le vécu et en fait un point de départ à tout acte de formation. S’opposant au terme pédagogie, l’andragogie se définit comme la formation pour adultes caractérisée par Knowles (1990) en plusieurs points :
« -tenir compte de l’environnement (physique et relationnel) pour instaurer un climat propice à l’apprentissage,
-diagnostiquer les besoins d’apprentissage,
-créer un mécanisme de planification et de décision incluant les apprenants,
-formuler les objectifs du programme, concevoir des expériences de l’apprentissage, o penser l’évaluation de la formation (par le formateur et les apprenants) « [30]
D’après François Muller (1990), la première condition pour former des adultes est le « besoin d’être convaincu que l’information reçue lui servira dans son activité professionnelle »[31] afin de réinvestir cette information dans sa classe. La collecte du réel et le travail réel sont également explicites dans la troisième condition de Muller qui pointe sur le « besoin (de l’adulte) de voir la relation entre ce qu’il sait déjà et ce qu’il apprend, entre ce qu’il a déjà fait et ce qu’il apprend à faire. »[32] Le travail sur le réel devient donc la condition sine qua non d’une formation pour adultes qui met en perspective le travail réel déjà achevé et le travail réel nouveau, en construction lors de l’acte de formation.
S’agissant du public, il est à noter qu’il est souvent volontaire et notamment lors de formations inter-degrés en REP+ intégrant tous les enseignants d’un même réseau. Cette méthode de choix du public permet d’accroître la motivation et l’adhésion des enseignants d’un même réseau. Ainsi, ils se retrouvent fédérés autour d’un même projet, d’une thématique commune et d’un but précis.
Afin de déterminer un public, nous pouvons nous référer au questionnaire adressé aux 3 établissements REP/REP+ sur la pratique des rituels oraux d’ouverture et de clôture de séance (Annexe A). Dans ce questionnaire, il serait intéressant de retenir dans la première question (« Quel est votre champ disciplinaire ? ») les disciplines qui ne pratiquent pas ou peu de rituels oraux afin d’en extraire et analyser les raisons, les avantages et les limites. On constate que le corpus disciplinaire des lettres ne représente que 11,1% des enseignants ayant répondu au questionnaire alors même que cette discipline offre des perspectives didactiques intéressantes pour la pratique des rituels oraux. L’hypothèse la plus probable reste la focalisation des enseignants sur le prescrit disciplinaire, les programmes officiels avec une volonté de traiter les programmes de manière efficace ainsi que de préparer les élèves aux épreuves du Diplôme National du Brevet. L’oral y est donc entraîné et évalué autrement.
4.2 Cadre préconisé pour la formation continue
Le cadre préconisé pour toute action de formation enseignante est donné par le Centre AlainSavary qui en ébauche cinq grandes directions à destination des formateurs lors de la conception d’une formation. On peut ainsi reprendre la définition de l’essence même d’une action de formation continue :
« La formation continue doit s’intéresser aux difficultés d’apprentissage des élèves comme aux problèmes ordinaires d’enseignement des enseignants. Quel que soit le sujet abordé, l’enjeu est de comprendre les problèmes professionnels posés. Le formateur peut investir cinq dimensions de la formation pour répondre à cette exigence. «[33]
Ces cinq directions doivent donc servir de canevas au futur formateur, de « garde-fou » contre les tentations d’extrapolations, les diverses digressions ainsi que l’influence de l’aspect personnel qui peut orienter le regard professionnel notamment en situation d’accompagnement individuel. La figure qui suit présente clairement ces cinq directions que je me propose de détailler dans la partie suivante.[34]
La figure se distingue par sa focale opérée par le changement de couleur visible, ici l’orange, ainsi que la taille de police plus importante concernant le préalable à chaque acte de formation, à savoir « D’abord, partir d’un vrai sujet de difficulté en annonçant ne pas avoir toutes les réponses pour progressivement soigner le collectif et la controverse. » L’utilisation du verbe « soigner » fait étroitement écho aux travaux de Maëva Paul (2004) qui a défini trois modèles d’accompagnement : l’accompagnement thérapeutique, maïeutique et initiatique.[35] Les réflexions de Maëva Paul sont intéressantes dans le sens où elles jettent la lumière sur une relation accompagnant-accompagné en l’inscrivant dans l’histoire entre tradition et post-modernité.
Les cinq directions du Centre Alain-Savary peuvent être définies dans le cadre de notre thématique de généralisation des rituels oraux à toutes les disciplines comme suit :
- Lire ensemble le réel : Le formateur se place ici dans une ingénierie de contexte en partant des difficultés des élèves et des enseignants. Il s’agit dans cette étape de récolter les productions orales des élèves, partir de constats, analyser des évaluations orales, les résultats obtenus à l’épreuve orale du DNB par exemple. A partir des traces d’activités des élèves, il convient d’élaborer une focale d’observation pour déterminer pourquoi on aboutit à ce résultat. Il s’agit d’analyser l’écart obtenu entre les attentes des enseignants et les résultats obtenus.
- Faire connaître le prescrit : Le référentiel du formateur paru dans le Bulletin officiel N°3O du 23 juillet 2015[36] indique dans la sous-compétence « mettre en œuvre – animer » le partage d’ouvrages théoriques qu’ils soient issus des sciences de l’Éducation ou des prescriptions officielles. Dans cette direction, il s’agit de partager et de faire connaître aux enseignants stagiaires les évolutions des prescriptions officielles et leur adéquation avec la recherche. Ainsi, on pourrait se référer au Plan national de Formation sur le Grand oral du baccalauréat ou bien mettre en lien les occurrences liées à la pratique de l’oral dans les programmes avec un éclairage théorique.
- Partager les références : Cette direction pointe l’attention sur le croisement nécessaire des lectures scientifiques et du travail réel. Il s’agit de croiser les apports théoriques et de les confronter avec le réel des enseignants en formation afin de prolonger la lecture commune du réel en y introduisant des apports théoriques qui viendront mettre en lumière le réel, lui donner davantage de perspective et permettre une décentration des stagiaires, un « pas de côté » nécessaire à l’analyse de pratiques.
- Oser les outils : Les enseignants cherchent souvent des outils et du matériel concret dans les formations continues. Ils sont désireux de découvrir un outil en formation et de s’en servir immédiatement dans une situation d’apprentissage donnée avec leurs élèves. Cette volonté est légitime d’un point de vue pédagogique d’autant plus que les enseignants façonneront l’outil à leur manière afin de se l’approprier. Il n’y aura donc pas une unique façon de se servir d’un outil rencontré en formation continue. Sans chercher à être modélisant, le choix du verbe « oser » témoigne donc de l’intérêt de donner des outils concrets.
- Accompagner dans la durée, prendre le temps, gagner la confiance, tester et faire des retours : cette direction figure en orange dans le schéma ci-dessus. On peut aisément imaginer que cette mise en relief pointe sur le temps. C’est, en effet, la direction qui s’inscrit de façon plus globale dans la durée et dont les résultats ne sont pas mesurables dans un questionnaire post-formation sauf si on le propose plusieurs mois après la formation. La formation hybride intervient également dans cette direction car elle permet de mesurer l’écart entre ce qui a été discuté en équipe (distanciel), ce qui a été testé (présentiel) et le retour du résultat (présentiel/distanciel). C’est ainsi que le formateur trouvera sa place en tant que médiateur dans une formation hybride ou bien dans une situation d’accompagnement d’un enseignant pour laquelle cette direction semble être centrale.
4.3 Mise en œuvre des cinq directions et anticipations des contenus, outils, tâches demandées aux enseignants
Dans la perspective d’une action de formation en direction d’un public d’enseignants pluridisciplinaires, je propose le déroulé suivant sur un temps d’une demi-journée de formation. Nous imaginerons un public cible qui ne pratique pas de rituels oraux dans sa discipline.
4.4 Analyser les résultats post-formation
Il existe deux types de collecte de résultats que tout formateur se doit de proposer aux stagiaires comme le stipule le référentiel de compétences professionnelles du formateur de personnels enseignants et éducatifs[37]. Ainsi, le formateur se doit de « contribuer à l’évaluation d’un dispositif de formation, concevoir des critères et des indicateurs ainsi que des outils de recueil de données, analyser les résultats, ajuster les actions de formation en conséquence. »[38]
La première évaluation du dispositif de formation est une évaluation à court terme, celle qui permet de mesurer des indices de satisfaction immédiats pendant les dix dernières minutes de la formation à l’aide d’outils numériques telle que la création instantanée de nuage de mots. Les questions posées vont s’orienter non seulement sur le degré de satisfaction mais également sur les notions marquantes de la formation : « Que reste-t-il après une longue journée de formation ? Que vont retenir les stagiaires et se l’approprier à leur façon ? ». Cette étape de l’évaluation est essentielle car prise telle une photographie représentative du ressenti des stagiaires. Elle pose néanmoins le danger du manque d’exhaustivité et de précision sur un dispositif et peut être la tentation pour certains de poser les enjeux d’une manière trop binaire puisque les questions mettent en jeu le ressenti des stagiaires.
L’évaluation la plus intéressante est, sans nul doute, l’évaluation à long terme qui consiste à revenir quelques mois après la formation pour mesurer ce qui a été fait en classe, testé par les stagiaires. Cette évaluation reprend plus explicitement la direction « Accompagner dans la durée » du centre Alain-Savary. Il s’agit par le biais de retours des enseignants, d’analyser les freins et obstacles rencontrés dans la mise en œuvre des contenus de la formation continue. Cette partie de l’évaluation se réfère également à un dispositif de formation hybride car il est tout à fait envisageable d’analyser les résultats post-formation à distance en déployant un questionnaire en ligne ainsi qu’un retour en formation en distanciel.
Conclusion
La pratique des rituels oraux a, très longtemps, été dévolue aux disciplines linguistiques, à celles qui par leurs contenus font majoritairement pratiquer l’oral aux élèves telles que les langues vivantes. Depuis l’arrivée des nouveaux programmes des cycles 3 et 4, les occurrences aux entraînements oraux relèvent du corpus du socle de toutes les disciplines comme nous avons pu le voir dans la première partie de ce mémoire.
La continuité entre les cycles permet de trouver une porte d’entrée pour une pratique plus accrue des rituels oraux. En effet, la forte présence des rituels dans les programmes du cycle 2 interroge sur leur continuité au cycle 3 et 4 car les programmes ne les mentionnent pas. Ce mémoire a eu pour mission d’interroger cet écart et de le mettre en lumière avec les apports théoriques des sciences de l’éducation à la manière de Dominique Bucheton, à savoir le tissage des liens car c’est en tissant les liens entre les disciplines qu’on améliore la visibilité ainsi que le caractère explicite de chaque apport disciplinaire. Les rituels oraux y ont toute leur place et constituent un élément de sociabilisation et d’acculturation scolaire évident pour les élèves éloignés de la sphère et de la langue de l’école.
Les enseignants qui se sont appropriés les rituels ne sont plus uniquement des enseignants de langues, la majorité des enseignants sondés enseignent une discipline scientifique ce qui montre un réel intérêt pédagogique de la dite pratique des rituels tant pour son gain de temps et donc l’efficacité pour l’enseignant que pour l’entraînement à la prise en parole en continu qu’elle constitue pour les élèves. C’est également un rare moment en classe où l’autonomie et la prise d’initiative des élèves sont constatées et appréciées par de nombreux enseignants surtout si on imagine une chaîne d’énoncés ritualisants pilotée par un ou deux élèves seuls à destination de leurs camarades. N’est-ce pas là le but ultime de chaque enseignant : donner aux élèves les clés de l’autonomie et de la prise d’initiative à l’oral ?
Il est à noter qu’il reste encore à déterminer dans quel cadre proposer l’action de formation ébauchée dans la 4ème partie de ce mémoire afin que la pratique des rituels oraux concoure également à l’amélioration du climat scolaire global d’un établissement.
BIBLIOGRAPHIE
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- KNOWLES Malcolm, 1990, L’apprenant adulte : Vers un nouvel art de la formation. Paris : Les Éditions d’Organisation, consulté en ligne :
pedagogiques.com/IMG/pdf/organiser_la_cooperation_entre_eleves__fiche_11_andragogie.pdf
- LEBLANC Serge, RIA Luc, DIEUMEGARD Gilles, SERRES Guillaume, DURAND Marc, 2008, Concevoir des dispositifs de formation professionnelle des enseignants à partir de l’analyse de l’activité dans une approche enactive », Activités [En ligne], 5-1 | avril 2008, mis en ligne le 15 avril 2008,URL : http://journals.openedition.org/activites/1941
- PAUL, Maëla, 2014, Conférence donnée dans le cadre de la journée d'étude PRATIQUES D'ACCOMPAGNEMENT L'Emancipation en questions au Secours Catholique Rennes 2 / Secours Catholique 31 janvier 2014, vidéo consultée en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=-ZIiDRGuEC0
- RIQUOIS, Estelle, 2018, Faciliter la prise de parole en classe : supports, activités et gestion de l’espace. Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité - Cahiers de l'APLIUT, 37(1)
- ROULIN, Jean-Luc, 2011, La mémoire ou les mémoires, développement et apprentissage, consulté en ligne http://www.ac-grenoble.fr/savoie/pedagogie/docs_pedas/memoire_apprentissage/JL_ROULI N.pdf
- WULF, Christophe, 2003 Formation sociale de l’individu et de la communauté, consulté en ligne
- https://www.persee.fr/doc/spira_09943722_2003_num_31_1_1410#spira_0994-3722_2003_num_31_1_T8_0066_0000
ANNEXES
Annexe A
Questionnaire à destination des enseignants sur la pratique des rituels oraux
Annexe B : Cône d’apprentissage d’Edgar Dale
Annexe C : Le double entonnoir de Marc Prouchet
[1] Christoph WULF, Formation sociale de l’individu et de la communauté, consulté en ligne https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2003_num_31_1_1410#spira_09943722_2003_num_31_1_T8_0066_0000
[2] Jeanne Moll, Hommage à Jacques Lévine, consulté en ligne à l’adresse https://www.cahiers-pedagogiques.com/hommage-a-jacques-levine/
[3] https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo17/MENE1506516D.htm?cid_bo=87834#socle_commun,
Domaine 1.1.3, Les langages pour penser et communiquer
[4] Français, Langage oral, organiser l’enseignement de l’oral, les gestes professionnels https://eduscol.education.fr/document/14434/download
[5] https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Langage_oral/88/6/RA16_C2_FRA_Oral_Dans_Les_Rituels_8188 86.pdf
[6] Ibidem
[7] Ibidem
[8] https://eduscol.education.fr/1287/plan-de-formation-grand-oral
[9] Ibidem
[10] Christoph Wulf, Le rituel : formation sociale de l’individu et de la communauté, https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2003_num_31_1_1410, p. 65
[11] Ibidem
[12] Ibidem
[13] L’habitus, Pierre Bourdieu (1972), https://partageonsleco.com/2019/11/06/lhabitus-pierre-bourdieufiche-concept/
[14] Riquois, E. (2018). Faciliter la prise de parole en classe : supports, activités et gestion de l’espace. Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité - Cahiers de l'APLIUT, 37(1).
[15] Ibidem
[16] https://www.reseau-canope.fr/education-prioritaire/mutualiser/confiance-en-soi-confiance-dans-les-autres.html
[17] Ibidem
[18] Roulin, Jean-Luc, 2011, La mémoire ou les mémoires, développement et apprentissage consulté en ligne ; http://www.ac-grenoble.fr/savoie/pedagogie/docs_pedas/memoire_apprentissage/JL_ROULIN.pdf
[19] Les clés pour mieux mémoriser, (2018, septembre). Consulté à l’adresse https://profpower.lelivrescolaire.fr/les cles-pour-mieux-memoriser/
[20] http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/ressources/theme-1-perspectivespedagogiques-et-educatives/realiser-un-enseignement-plus-explicite/enseigner-plus-explicitement-des-outilspour-la-formation
[21] Ibidem
[22] https://www.reseau-canope.fr/education-
prioritaire/fileadmin/user_upload/user_upload/accueil/Referentiel_de_l_education_prioritaire.pdf
[23] cf Annexe
[24] http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/documents/publications/docs-enseignement-plus-explicite/textedouble-entonnoir-mprouchet, p.3
[25] Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda
de préoccupations enchâssées, Dominique Bucheton, Yves Soulé, consulté en ligne https://journals.openedition.org/educationdidactique/543#tocto2n6
[26] Ibidem
[27] http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/documents/publications/memoire-caffa-g-caron, p.4
[28] Ibidem
[29] Serge Leblanc, Luc Ria, Gilles Dieumegard, Guillaume Serres et Marc Durand, « Concevoir des dispositifs de formation professionnelle des enseignants à partir de l’analyse de l’activité dans une approche enactive », Activités [En ligne], 5-1 | avril 2008, mis en ligne le 15 avril 2008,URL : http://journals.openedition.org/activites/1941
[30] Knowles M. (1990). L’apprenant adulte : Vers un nouvel art de la formation. Paris : Les Éditions d’organisation, consulté en ligne : https://www.cahiers-
pedagogiques.com/IMG/pdf/organiser_la_cooperation_entre_eleves_-_fiche_11_andragogie.pdf
[31] http://francois.muller.free.fr/diversifier/former_des_adultes.htm
[32] Ibidem
[33] http://cpe.ac-dijon.fr/IMG/pdf/concevoir_des_formations_-_outils_cas_v5-1.pdf, p.7
[34] Ibidem
[35] http://a.pdc.free.fr/IMG/pdf/_Le_concept_d_accompagnement_MAELA_PAUL.pdf
[36] https://cache.media.eduscol.education.fr/file/30/30/3/perso4093_annexe1_452303.pdf
[37] B.O. n°30 du 23 juillet 2015
[38] Ibidem, consulté en ligne :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/30/30/3/perso4093_annexe1_452303.pdf
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