
Construction de l’identité professionnelle enseignante et démarche réflexive
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2018-2020
Mémoire professionnel
Discipline : Documentation
Titre : Construction de l’identité professionnelle enseignante et démarche réflexive
Auteur : LESIGNE Céline
Sommaire
I.La construction de l’identité professionnelle, les concepts
1.Le concept d’identité professionnelle, une identité multiple
1.1.Le concept d’identité personnelle, tentative de définition
1.3.L’identité professionnelle, une composante essentielle de l’identité personnelle
2.La construction de l’identité professionnelle, un processus dynamique
2.1.Un processus de construction long et non linéaire.
2.2.La construction de l’identité professionnelle des enseignants
Figure 2 : Processus de construction de l’identité professionnelle de l’enseignant (Gohier et al., 2001, p.6)
2.3.Les phases de crise identitaire
II.La professionnalité enseignante, « cré-actrice » d’altérité
1.L’identité professionnelle enseignante, une (re)conquête identitaire ?
1.1.Une identité en tension entre passé, présent et futur
1.2.La professionnalisation, pour l’accession à une nouvelle professionnalité ?
1.3.La réflexivité : une piste pour sortir du dilemme identitaire ?
2.La formation à la réflexivité pour la construction d’une autre identité professionnelle ?
Figure 3 : Construction de l’Identité professionnelle, En-(je)ux de Formation
2.1.La réflexivité ou pratique réflexive, définition
2.2.La démarche réflexive en formation, une tendance forte
2.3.Le modèle du compagnonnage réflexif, une piste pour les formateurs de terrain
Figure 4 : processus de conscientisation professionnelle
III.De la recherche conceptuelle à la recherche appliquée
1.Protocle et approche théorique
1.2.Le contexte de récolte des données et difficultés
1.3.La méthodologie mise en place
2.1.Analyse des données du questionnaire et de l’entretien : le formateur, un explorateur des
3.Analyse de l’action de formation, discussions et perspectives
3.1.Les changements positifs obtenus dans l’engagement ou la capacité exploratoire
3.2.Les absences de changement ou reculs observés dans l’engagement ou la capacité exploratoire
3.3.Formateur et compagnonnage réflexif : les limites de leurs actions ?
Construction de l’identité professionnelle enseignante et démarche réflexive
Introduction :
Le travail de réflexion de ce mémoire prend racine dans un retour sur ma carrière professionnelle et mes missions de formateur. J’ai été amenée à suivre trois professeurs documentalistes débutants ainsi que deux personnels en reconversion lors de leur entrée dans le métier. Ce quasi-équilibre m’a tout de suite frappée. La reconversion professionnelle vers le métier de professeur-documentaliste est une des portes d’accès à la profession. Une question se pose alors. Quelles sont les raisons qui poussent ces personnels à s’engager dans ce virage professionnel et à devenir professeur-documentaliste dans un second temps de leur carrière ? A mes yeux, il existerait un élément dans l’histoire personnelle de l’individu qui motiverait ce choix d’embrasser ce métier sur le tard. Ce mémoire professionnel se base donc sur cette intuition qui associerait spontanément « identité personnelle » et « identité professionnelle » de l’individu. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Ces trente dernières années ont vu naître une crise identitaire et existentielle touchant massivement tous les secteurs du travail, conséquence d’une course à la productivité mondiale. Les transformations du monde du travail ont généré une situation de crise de l’emploi mais également des identités professionnelles. De nouveaux doutes sont apparus quant à la place de l’individu dans la résolution de problème (systèmes informatiques et intelligence artificielle), sur l’avenir (dévalorisation des diplômes, chômage de masse, précarité) et sur les contraintes de flexibilité (place de l’individu).
Ces grands bouleversements sociologiques, économiques et sociétaux ont impacté à leur échelle, le monde enseignant. « Le malaise des enseignants[1] » a émergé, lui aussi, dès le début des années quatre-vingt et perdure encore à l’heure actuelle. Il faut tout de suite préciser que ce malaise bien que réel, est un sentiment qui reste variable d’un enseignant à l’autre. L’histoire biographique individuelle, l’établissement d’enseignement, le contexte socioéconomique de l’individu sont autant de facteurs qui m’empêchent de généraliser et de faire règle de ce propos. Pour Fabien (2017), ce sentiment de malaise serait lié à des modifications sociétales et à des changements de politique éducative. C’est à cause d’une identité professionnelle fortement inscrite chez les enseignants, que la profession entière verserait dans une phase dite de « crise identitaire ». Pour nombre, ce sentiment de malaise s’expliquerait par une image dégradée du métier de professeur, plongée dans un contexte de crise économique. Pour d’autres, ce métier est même devenu « impossible » comme l’avait suggéré Freud. A ces constats s’ajoute ce que les médias ont appelé « la crise des vocations » des métiers de l’enseignement. Le nombre d’étudiants inscrits au CAPES a subi un net recul (moins 10% entre 2019 et 2020). Selon le baromètre UNSA, seulement 27% des enseignants conseilleraient à un proche ce métier.
Pour contrebalancer ces constats pessimistes, il faudrait tout de suite noter que les reconversions vers le métier d’enseignant sont de plus en plus nombreuses. Ces personnes qui ont déjà eu une première carrière, se tournent dans un second temps vers le métier d’enseignant. Pour ces néo-enseignants, l’impulsion de la reconversion s’explique par la volonté de « redonner du sens à leur carrière » et par une mise au centre de l’individu. La question du sens et la volonté de faire un métier « utile » devient une priorité pour ces professionnels en reconversion dans un monde du travail de plus en plus flexible, amené à se modifier et à se réinventer. Mais alors, qu’en est-il véritablement du monde enseignant dans cette crise identitaire globalisée ? Peut-on réellement parler d’identité professionnelle enseignante ? Comment se sortir de ce « malaise enseignant » et renouer avec une identité professionnelle stabilisée ? L’identité professionnelle fait-elle partie de l’équation pour redonner du sens aux pratiques professionnelles ? Enfin, quel rôle peut avoir la formation pour accompagner des professionnels en reconversion dans la sortie de crise identitaire ?
Afin d’adopter le point de vue distancié du scientifique, je propose de quitter le « je » pour en venir au « nous », plus prompt à la neutralité des propos. Dans ce mémoire professionnel, nous reviendrons dans un premier temps, sur les concepts d’identité et d’identité professionnelle dans cette association naturelle évoquée précédemment. Notre approche se voudra multi-référentielle et abordera différents champs des sciences humaines. Nous resserrerons ensuite progressivement l’angle d’étude, en nous intéressant dans un deuxième temps à l’identité professionnelle enseignante en proie à une crise identitaire, pour finir dans une troisième partie, sur l’analyse d’un accompagnement d’un personnel en reconversion professionnelle interne au domaine de l’enseignement.
I.La construction de l’identité professionnelle, les concepts
Le concept d’identité professionnelle est une notion polymorphe. Nous tenterons dans cette partie d’en dégager un concept transférable à la question de l’identité professionnelle enseignante.
1.Le concept d’identité professionnelle, une identité multiple
1.1.Le concept d’identité personnelle, tentative de définition
Le terme d’identité est emprunté au latin identitas qui se traduirait par « qualité de ce qui est le même », lui-même venant du latin idem qui signifie « même ». Le concept d’identité est défini dans une acception du XIVème siècle comme « le fait qu’une chose, une personne est la même qu’une autre, qu’il n’existe aucune différence entre elles[2] ». L’identité serait donc porteuse du concept de similarité (qui donnera plus tard le terme « identique »). Pour De Crèvecoeur auteur du XVIIIème siècle, elle est le « fait qu’un individu est bien celui qu’il dit être ou présume être ». L’identité renverrait à la notion oxymorique d’exacte identique et d’une capacité à se distinguer de l’autre. L’identité serait donc par essence liée au concept d’altérité, car il n’existerait pas d’individualité sans similitude. Nous retiendrons la définition suivante : « caractère de ce qui demeure identique ou égal à soi-même dans le temps[3] », ce qui dans l’être resterait identique et fonderait l’individualité.
La question de l’identité peut également être entrevue selon différents courants philosophiques. Pour Rousseau (1755), l’Homme n’est pas déterminé et est un être de néant. Il est libre et n’est donc destiné à rien. Il devient ce qu’il est en fonction de ses choix et de son histoire. Pour Sartre (1946) et les philosophes existentialistes, c’est l’« existence qui précède l’essence ». L’homme n’est donc pas ce qu’il est, c’est-à-dire son métier, mais bien ce qu’il n’est pas (car il peut exercer mille autres métiers). L’individu n’est donc pas prédestiné et ce sont ses expériences, ses rencontres qui le feront devenir ce qu’il est.
Au terme de notre réflexion sur cette notion d’identité, nous adopterons le point de vue sociologique et convoquerons ici la théorie de Dubar (2010). Selon lui, l’identité se construit autour de trois dimensions : moi / nous / autrui. Nous pourrions la modéliser ainsi :
Figure 1 : les troisdimensions de l'identité selon Dubar
L’identité pour soi est une image construite pour soi-même. L’identité pour autrui, est l’image intellectualisée de soi-même que nous souhaitons renvoyer aux autres et se voir renvoyée par les autres. L’identité se construit donc dans une triangulation entre l’individu et les autres. L’identité personnelle aurait donc un pendant social indéfectible car elle permet de situer l’individu dans la société (famille, catégorie socioprofessionnelle, cercle du travail, activités personnelles…) en le définissant en tant que citoyen.
Pour conclure et afin de lever les ambiguïtés de sens sur l’identité nous pourrions convoquer ici la définition proposée par Barreye et Bouquet (2006) : « L’identité, c’est ce par quoi une personne, un groupe (familial, professionnel, …), un peuple se reconnaissent eux-mêmes et se voient reconnus par les autres ».
1.2.L’identité sociale
L’opposition entre identité pour soi et identité pour autrui n’a pas lieu d’être comme le montrait Dubar (2010). Elles vont forcément de pair car « l’identité n’est autre que le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui conjointement construisent les individus et définissent les institutions » (p. 105).
Pour Dubar, la construction de l’identité de l’enfant est influencée par des facteurs primaires. Les pratiques éducatives dans le couple parents-enfant vont notamment dépendre du statut socio-économique des parents. Ces pratiques vont avoir un impact sur la construction identitaire de l’enfant dans un fondement appelé « matriciel » autour de l’identité éthique, politique, religieuse et culturelle (socialisation primaire). C’est seulement une fois l’enfant entré dans le système scolaire qu’il va faire l’expérience d’une identité sociale (socialisation secondaire). C’est à l’école que l’enfant va être exposé à l’altérité, à la dualité et va mettre à l’épreuve l’identité qu’il s’est construite et l’identité attribuée par les autres.
Cette conception en deux phases de socialisation est largement empruntée à Piaget (1932) et sa théorie de la socialisation. Dans la conception piagétienne, la socialisation s’ancre en deux phases : primaire et secondaire. La socialisation primaire est celle qui vient de la famille mais ne répond pas directement à un processus d’inculcation. L’enfant sort de sa « matrice nourricière », interagit et entre en activité avec et dans le monde. La socialisation secondaire, quant à elle, vient plus tard et se poursuit jusque dans le monde du travail. Pour Piaget, l’individu passe par des phases successives d’interactions émotionnelles, culturelles, morales avec son environnement, les institutions scolaires, les associations, le monde du travail. La socialisation primaire est donc un préalable à la socialisation secondaire mais n’assure pas un avenir prédéfini à l’individu.
Dans ces deux théories de la socialisation, l’identité serait donc à la fois singulière mais également construite socialement car identifiée par autrui. Si le phénomène de construction semble aller de soi, il introduit le possible du phénomène de déconstruction selon différents plans individuels et collectifs, lors des différentes phases de socialisation secondaire. La phase de socialisation primaire ne donnant qu’une assise à l’identité de l’individu, elle ne présage pas d’une construction linéaire de son identité et des phases de transition, de transaction, ou de déconstruction qui peuvent le parcourir.
1.3.L’identité professionnelle, une composante essentielle de l’identité personnelle
Pour reprendre l’approche de Rousseau présentée précédemment, l’Homme ne serait pas défini par son métier, mais le choix de son métier le définirait. Pour Gohier et Alin (2000), l’identité professionnelle se développe sur la base de l’identité personnelle « par l’inscription de la personne dans les formes de vie sociale ». L’étude de Garnier, Meda, Senik (2006) montre que 40% des personnes interrogées et 54% des actifs, jugent que le travail est un des éléments qui les définit le mieux. L’identité professionnelle serait donc fortement liée au concept d’identité de manière globale.
L’identité professionnelle peut être entrevue selon différentes approches. Pour Charlier et Donnay (2008) l’identité professionnelle doit être pensée du point de vue collectif. L’identité professionnelle est alors un « construit relativement stable qui rassemble les normes définissant une profession pour la distinguer des autres » (p. 27). L’identité professionnelle est alors globale et le plus souvent non consciente. Selon Barbier (2001), elle est le fruit d’une création collective d’un groupe professionnel. C’est le groupe professionnel qui définit les caractéristiques de sa propre profession.
L’identité professionnelle peut également être conçue dans une approche individuelle, avec ce concept d’« image identitaire ». L’image identitaire est l’image consciente de soi en tant que professionnel dans une situation située. Gohier et Alin (2000) définissent l’image identitaire comme « une prise de conscience pour l’individu des caractéristiques de son identité professionnelle dans ses interactions avec l’altérité ». Ils proposent une approche dite « intégrée », empruntée aux chercheurs québécois. L’identité professionnelle se trouverait au milieu d’un mouvement de balancier entre « identisation » ou singularisation (« Qui suis-je ? Suis-je différent des autres professionnels qui exercent la même profession que moi ? ») et d’« identification » ou de similitude avec l’Autre (appartenance au groupe).
L’identité professionnelle est donc fortement liée à l’identité personnelle mais également au groupe et à l’altérité. Dubar (2015) ancre l’identité professionnelle dans une configuration « Je-nous ». « Les identités professionnelles sont des manières socialement reconnues, pour les individus de s’identifier les uns les autres dans le champ du travail et de l’emploi » (p. 95). Elle est sous-tendue par les relations de pouvoir et le sentiment d’appartenance à des groupes. L’identité professionnelle ne tiendrait pas que du relationnel mais s’inscrirait au contraire dans le champ du biographique et dans l’historicité de l’individu marqué plus ou moins fortement socialement. L’identité se construirait en fonction de la reconnaissance et de la représentation d’un type d’identité professionnelle, qui sera adoptée ou rejetée par les individus. Dubar parle alors d’habitus (socialisation primaire) comme « point de vue unique et cohérent résumant à la fois la position d’une trajectoire de classe dans l’espace des trajectoires possibles et la position d’un individu dans un champ social quelconque » (p.65).
L’identité professionnelle permettrait donc à l’individu de se définir et de se positionner par rapport au groupe, dans une historicité personnelle. Se pose alors la question de la construction de l’identité professionnelle en lien avec cette construction de l’identité personnelle et biographique.
2.La construction de l’identité professionnelle, un processus dynamique
2.1.Un processus de construction long et non linéaire.
Tel qu’évoqué précédemment avec la modélisation de Dubar, l’identité professionnelle serait donc un processus en perpétuel changement en lien avec les multiples interactions entre le « je », le « nous » social et « autrui », les autres. L’identité professionnelle liée intimement à l’identité individuelle serait le résultat d’une construction qui ne cesserait d’évoluer tout au long de la vie. Cette vision de l’identité professionnelle s’inscrit dans l’identité pour soi puisqu’elle est liée à des représentations émanant de la socialisation primaire (très marquées socialement). C’est par l’héritage que les processus d’identification à des groupes professionnels peuvent s’opérer dans l’adhésion ou le rejet. C’est dans cette notion d’habitus déjà entrevue précédemment que Dubar définit ce lien « génétiqu[e] et aussi structure[l] à une position ». Cependant, cette identité professionnelle n’est pas figée, elle est mise en tension entre l’habitus et les phases secondaires de socialisation (identité biographique). L’individu sera confronté à des expériences ou des rencontres professionnelles qui pourront agir sur l’habitus en repoussoir ou en reconnaissance.
Pour Fray et Picouleau, le processus de construction identitaire se jouerait sur deux plans distincts : le plan individuel et le plan collectif. Le processus individuel serait le fruit des choix d’une personne. L’individu tire des leçons de ses expériences antérieures, s’approprie les gestes et règles de son métier et individualise ses expériences extérieures. Le processus de construction identitaire appelle nécessairement le plan collectif avec un apprentissage et une mise en situation. C’est par l’expérience de l’Autre, l’observation, le partage de connaissances que le processus identitaire peut s’accomplir de manière efficace. Pour ces auteurs, la construction de l’identité professionnelle serait donc un processus dynamique et interactif, agissant tout au long de la vie, sujet aux évolutions de l’entreprise ou de l’institution, au milieu économique et aux choix personnels de l’individu.
La construction de l’identité professionnelle serait ainsi intimement liée à l’identité personnelle et subirait comme cette dernière des mouvements de mutations et de remise en question permanente par l’expérience et par la dimension sociale et collective tout au long de la carrière de l’individu. Le processus de construction identitaire n’est donc pas linéaire puisque dépendant des stimuli non prédictibles produits par l’environnement professionnel et personnel.
2.2.La construction de l’identité professionnelle des enseignants
Resserrons l’angle d’analyse par l’entrée de la professionnalité enseignante pour introduire ici, la question centrale qu’est l’identité professionnelle des enseignants et par là même, faire le lien avec la deuxième partie de ce mémoire.
Nous pourrions de prime abord partir de l’approche collective de définition de l’identité professionnelle enseignante pour lever tout questionnement quant à cette dernière. La fonction d’enseignant et par là même, l’identité enseignante, est définie grâce au référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation[4]. Ce référentiel définit les compétences communes à tous les professeurs et personnels de l’éducation et les compétences spécifiques à certains personnels, comme celles des professeurs-documentalistes. Nous pourrions donc imaginer qu’il suffirait d’atteindre et/ou de valider toutes ces compétences pour devenir ou être un professeur, et en adopter l’identité professionnelle.
Pour Dubar (2000) et son approche dynamique de la construction identitaire, les choses ne sont pas aussi simples. Pour lui, la construction identitaire se produit dans une double transaction : un processus relationnel qui construit l’identité pour autrui (compromis entre identités proposées et identités assumées) et un processus biographique qui construit l’identité pour soi (compromis entre identités héritées et identités visées).
Pour Gohier, Marta, Bouchard, Charbonneau et Chevrier (2001), l’identité professionnelle des enseignants ne se limite pas au concept de l’identité socialement reconnue, mais va bien au-delà, en englobant l’identité (au sens total) de la personne :
C’est dans cette tension entre la représentation qu’il a de lui-même comme enseignant, qui participe de celle qu’il a de lui-même comme personne, et de celle qu’il a du groupe des enseignants et de la profession, dans l’interaction entre le « je » et le « nous », que le futur enseignant, aussi bien que l’enseignant en exercice, peut construire une identité professionnelle.
Nous retrouverons alors dans la schématisation de ce processus, les dimensions psychoindividuelles et sociales des enseignants. Pour Gohier et al., c’est dans ces mouvements entre identification (comme l’autre) et l’identisation (différent de l’autre) que naissent les remises en question, « moteurs dynamiques du processus de construction identitaire ».
Figure 2 : Processus de construction de l’identité professionnelle de l’enseignant (Gohier et al., 2001, p.6)
La construction identitaire reposerait donc sur une représentation du « moi » comme enseignant avec d’une part les représentations individuelles, le « je », et d’autre part les représentations du groupe des enseignants, le « nous ». Le « moi » comme personne, est alors défini comme une somme de « connaissances, croyances, attitudes, valeurs, conduites, habiletés, buts, projets, aspirations » intériorisés se trouvant dans le champ personnel. Ces représentations du « je » et les systèmes normatifs (valeurs ou croyances) qui y sont liés vont influencer les pratiques de l’enseignant car elles lui sont intrinsèques. « Les savoirs de la profession, les idéologies éducatives et valeurs, les systèmes normatifs et déontologiques et demandes sociales » vont en revanche pouvoir être remis plus facilement en tension, dans la mesure où ils sont externes à l’individu.
Grâce à ces différentes analyses, nous pouvons supposer que la construction de l’identité professionnelle enseignante, ne répond pas non plus à un processus linéaire. Elle se présenterait plutôt sous forme curriculaire avec des va-et-vient constants entre l’identité personnelle et un système normatif. Ce double mouvement peut permettre la construction identitaire mais peut aussi dans certains cas être interrompu, quand la tension entre le « moi » et le « nous » devient insurmontable, voire aliénante. Ce sont les périodes dites de « crises identitaires ».
2.3.Les phases de crise identitaire
Tel qu’évoqué précédemment, l’identité professionnelle est soumise aux questionnements et aux moments de doute. Pour Dubar (1998), « [l]es formes identitaires se construisent (mais peuvent aussi être déconstruites) et se reconstruisent tout au long de la vie » (p. 139). Pour Erickson, la carrière est une combinaison ou mise en séquence de différents rôles au cours d’une vie. Les différentes phases du développement professionnel vont de la croissance, à l’exploration, à l’établissement, au maintien puis au déclin.
Gohier et al., dans leur étude de 2001, confirment l’analyse de Dubar pour les enseignants et montrent que la construction de l’identité professionnelle enseignante s’opère tant au moment de la formation initiale que plus tard dans l’exercice de l’activité professionnelle. Pour Fessler et Christensen (1992), cités par Donnay et Charlier (2008, page 12), la carrière des enseignants se modélise en huit phases. Les quatre premières phases sont des phases de forte motivation et développement de l’identité professionnelle : préservice / induction / construction de compétences / enthousiasme en croissance. Puis les quatre suivantes sont dites plus « molles » : frustration de carrière / carrière stable et stagnante / baisse de régime (wind-down) / sortie de carrière. Dans une étude québécoise sur les professeurs des écoles, Gohier et al., ont mis en lumière deux moments clés de transformation et donc de potentielle crise identitaire : l’entrée dans le métier et la période suivant une dizaine d’années d’exercice.
L’entrée dans le métier pourrait ainsi susciter une crise identitaire due à la création d’une fracture, perçue comme insurmontable, entre l’image que les étudiants se sont construite d’eux-mêmes dans le métier et l’image d’eux-mêmes sur le terrain (identité espérée ou projetée). Pour Perez-Roux (2008), l’année de formation initiale est une étape cruciale dans la construction de l’identité professionnelle enseignante. La transaction du soi aux autres est particulièrement sensible lors du passage du « moi » étudiant au « moi » professionnel. Cette transaction biographique va plonger l’identité dans une nouvelle phase de socialisation. Le professeur stagiaire va être confronté au milieu professionnel mais également au milieu de la formation. De nouvelles rencontres vont alors s’opérer avec ses pairs (collègues sur son lieu de stage) ainsi qu’avec les autres stagiaires dans les Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation, et les formateurs. Pour cette chercheuse, les axes de tensions-transactions se cristallisent autour de trois axes majeurs :
- L’axe continuité/changement : il est décisif pour les stagiaires entrant dans le métier car l’identité individuelle est modifiée par l’entrée dans un contexte professionnel (dimension diachronique) ;
- L’axe soi/autrui : les pratiques professionnelles entrent en jeu. Le « je » du stagiaire va être soumis à autrui par les retours que les formateurs pourront faire sur sa pratique professionnelle (mise en tension de son identité et de son image de soi dans une dimension synchronique) ;
- L’axe unité/diversité : il met en tension le sentiment de cohérence du stagiaire (ses valeurs, idéaux, motivations) et les concessions indispensables dans son activité professionnelle sur le terrain (tensions synchroniques).
Perez-Roux met en garde les formateurs et/ou tuteurs des stagiaires en leur rappelant que cette année d’entrée dans le métier a une « valeur intégrative » et qu’elle peut mettre à mal l’identité de l’individu. Des tensions peuvent naître dans les valeurs de l’individu, mettant à mal sa cohérence interne. Une fracture peut également apparaître entre les différentes postures qu’il doit adopter dans son travail et leur adaptabilité aux situations rencontrées sur le terrain.
En ce qui concerne les moments de crises identitaires après une décennie d’exercice de la profession, les causes des crises sont multiples et différentes de celles entrevues pour les nouveaux professionnels, puisqu’une première phase de socialisation a déjà été réalisée. Pour Gohier et al., elles vont majoritairement être dues à un sentiment d’incapacité professionnelle dans l’inclusion d’élèves à besoins particuliers, à une mésentente avec des collègues ou la direction, ou à un sentiment de répétition. Gohier propose alors un schéma de la crise identitaire en trois étapes clés :
- La remise en question
- Les causes de la remise en question
- Les façons d’amener des transformations
Ces crises identitaires amènent à différents sentiments partagés par les enseignants : sentiment d’un retour global sur soi, questionnement sur leurs limites dans leurs pratiques, sur leur personnalité… Nous constatons bien par ces postures introspectives qu’il s’agit d’un moment de retour sur soi ou de retour à soi, avec des doutes qui parcourent la sphère professionnelle et personnelle. Ces crises ne sont donc pas prendre à la légère dans la mesure où l’identité professionnelle enseignante est fortement liée à l’identité personnelle. Pour Gohier, c’est la capacité introspective qui va permettre à l’individu de sortir de cette crise en mettant en place la réflexivité nécessaire à une mise à distance de soi, « pour éviter de projeter sur l’autre ses propres manques et faire les réajustements nécessaires ».
Mais alors, que dire de ce « malaise enseignant » décrit lors de notre introduction ? Il ne serait dû qu’à l’accumulation de crises identitaires personnelles et individuelles ? Ou serait-ce la profession enseignante elle-même qui serait en crise identitaire ? Dans ce cas, dans quelle mesure pouvons-nous parler de profession enseignante ou de professionnalité enseignante ? L’identité professionnelle enseignante serait-elle devenue inaccessible aux acteurs même de cette dite profession ? Il conviendrait de nous concentrer sur cette crise professionnelle enseignante dans cette deuxième partie du mémoire dans sa vision sectorielle.
II.La professionnalité enseignante, « cré-actrice » d’altérité
Comme nous l’avons vu précédemment, la construction identitaire peut subir des périodes de transactions plus ou moins réussies voire des périodes de crise. Qu’en est-il du groupe social formé par les enseignants ? Pouvons-nous vraiment parler de crise identitaire enseignante ?
1.L’identité professionnelle enseignante, une (re)conquête identitaire ?
1.1.Une identité en tension entre passé, présent et futur
Cette crise identitaire (ou malaise enseignant) aurait pour origine les mutations subies par le système éducatif lors des trente dernières années. Comme l’ensemble du marché du travail, les tâches qui incombent aux enseignants ont eu tendance à se complexifier et à se diversifier, rendant plus difficile l’exercice professionnel des enseignants.
Selon Lantheaume (2008), il est de plus en plus difficile pour les enseignants de faire du « beau travail » :
L’existence d’une usure résultant d’un sentiment d’impuissance à bien travailler est manifeste chez les enseignants. Selon la sociologie des professions et la clinique de l’activité, les groupes professionnels se stabilisent autour d’une idée du bon travail, voire même du beau travail. C’est aujourd’hui un problème clé pour les enseignants. Sa résolution renvoie aux dynamiques internes du métier et aux incertitudes de politiques éducatives soumises à une pluralité des attentes sociales. (p.54)
Pour Tardif et Lessard (1999) dans leur étude sur le monde du travail des enseignants au Québec, la crise identitaire s’expliquerait par la complexification du travail des enseignants et la (sur)charge mentale qui en découle : hétérogénéité grandissante chez les élèves, bureaucratisation du travail, insuffisance des ressources financières et matérielles, difficultés des élèves, inadéquation des programmes, politiques et méthodes, ainsi que l’augmentation des attentes sociales en lien avec le faible prestige de la profession. Ce sentiment d’usure et les cas grandissants d’épuisement professionnel empêcheraient la transformation de l’identité professionnelle par manque de reconnaissance et mésestime professionnelle.
De surcroit, il semblerait que les tentatives de mutations de l’identité professionnelle ne soient pas suffisamment accompagnées par l’institution. Nous convoquerons ici la notion d’identité « instituée » proposée par Dubet pour comprendre ce blocage de la reconstruction identitaire. Dubet (2002) schématise le concept de programme institutionnel de la manière suivante : Valeurs / Principes à Vocation / Profession à Socialisation de l’individu et du sujet Ce programme a selon lui, été déconstruit progressivement par les reconfigurations des attentes du système éducatif. Ainsi, les professeurs ne sont plus les « héritiers » de ce « sanctuaire de la science, de la culture et du mérite ». L’identité enseignante entre alors en crise de manière systémique car elle est mise en tension dans sa nature historique de l’enseignement et la construction d’une nouvelle identité professionnelle inscrite dans un prescriptif institutionnel incompris. En conséquence, nous assistons à une crise dite des vocations. Fabien (2019) convoque la notion d’habitus proposée par Dubar pour expliquer cette crise. L’identité enseignante s’inscrirait dans une identité culturelle partagée par ses acteurs et « transmis[e] de génération en génération d’enseignants » (p.43). Cet habitus comme « culture de groupe d’origine », « incorporé à la personnalité » provoque des inadaptations quand les situations s’écartent trop des situations reconnues préalablement. Dans son analyse, il existerait donc bien un habitus représentatif de cette corporation enseignante, héritière d’une vision « traditionnelle » des métiers de l’enseignement et profondément ancré dans l’identité individuelle et biographique des enseignants, à l’origine de la crise identitaire.
Dernier point, pour Mallet et Brisard (2004), « les enseignants du second degré tendent encore à se définir professionnellement par la discipline enseignée ». Cet héritage disciplinaire serait la constituante essentielle de l’identité professionnelle car elle permet de fédérer identité professionnelle et identité personnelle. Hedjerassi et Bazin (2013) mettent en lumière que la discipline enseignée joue un rôle dans la construction de l’identité professionnelle en permettant la reconnaissance pour soi mais également la reconnaissance pour autrui. Ils résument cette analyse de la manière suivante : « Être professeur de français, c’est être professeur de « quelque chose » ». Pourtant, cette culture disciplinaire et cet habitus enseignant ont été largement mis à mal par les différentes réformes du système scolaire contraignant les enseignants à se renouveler et à trouver de nouveaux repères identitaires.
De manière caricaturale, nous pourrions résumer ce malaise enseignant en séparant le groupe social des enseignants, en deux types de professionnalités : la première, héritière des traditions de la profession et anciens programmes institutionnels qui serait peu prompt aux changements (phénomène de résistance ou de crise) et un second modèle qui accepterait cette révolution globale (interne et externe au métier) pour se tourner vers une nouvelle professionnalité et par là même sortir de la crise identitaire professionnelle (réconciliation de l’identité pour soi et de l’identité pour autrui).
Deux questions semblent émerger : à quoi ressemble cette nouvelle génération de professeurs conscients des changements sociétaux et garants d’une nouvelle professionnalité enseignante ? Quelles sont les nouvelles caractéristiques de cette nouvelle professionnalité enseignante ?
1.2.La professionnalisation, pour l’accession à une nouvelle professionnalité ?
Perrenoud (2001) souligne que « Dans les métiers de l’Humain, la part du prescriptible est plus faible que dans les métiers techniques. Ce qui exige des praticiens, globalement, un niveau assez élevé de qualification […] » (p.13). Selon lui, ce qui se joue dans le concept de professionnalisation c’est ce « qui incite à former des gens assez compétents pour savoir ce qu’ils ont à faire, sans être strictement tenus par des règles, des directives, des modèles, des programmes, des horaires, des procédures normalisées » (p.13). Comment l’ingénierie de formation prend-t-elle en compte cette vision de la professionnalisation ?
Wittorski (2007) met en exergue trois acceptions du terme de « professionnalisation ». Le premier est selon lui, dans les pratiques de formation, de favoriser le développement de savoirs et de compétences. Un deuxième, pour les groupes socio-professionnels, qui en va de l’évolution du terme même de profession avec ses codes déontologiques, ses activités et ses missions. Le dernier concerne le marché de l’emploi avec le développement de la flexibilité et de l’employabilité des salariés dans un contexte de compétitivité entre les entreprises. Dans notre cas, il s’agirait de convoquer ici la compétitivité de résultats des élèves dans le cadre de grandes études mondiales (comme le Programme International de Suivi des Acquis des élèves par exemple).
Dans cette vision de la professionnalisation, la formation des enseignants se fonderait sur la notion de référentiel d’activités et de référentiels de compétences. Dans le texte de mission du professeur de 1997 puis dans le référentiel des compétences des métiers du professorat et de l’éducation de 2013, la question de la formation et de l’aptitude à analyser ses pratiques professionnelles ainsi que le contexte d’exercice des professeurs, fait partie des priorités clairement affichées. Le référentiel de compétences dresse le portrait « de l’enseignant expert, qui a développé sa professionnalité en se confrontant à une diversité de publics et de situations complexes qu’il a pu traiter en prenant du recul et en les comparant[5]. » Pour Robine, ancienne directrice générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), le professeur de demain est :
[…] un praticien réflexif, en posture de recherche, qui fonde et ajuste son action sur l’évaluation des besoins et des progrès des élèves. […] C’est un humaniste, un ingénieur, un bâtisseur : en donnant du sens à son métier, il ouvre la porte de l’avenir à ses élèves.
La professionnalité enseignante reposerait donc sur cette posture de « praticien réflexif ». Pour Roux-Perez (2012) c’est bien cette posture réflexive qui permettrait de définir la « professionnalité » enseignante. Cette posture est composée d’ :
[…] un ensemble de compétences professionnelles mobilisées dans l’exercice d’une profession sous le double point de vue de l’activité et de l’identité. Combinant savoirs, expériences, relations, contraintes diverses, elle met en jeu des composantes institutionnelles, organisationnelles, contextuelles et des composantes plus subjectives, liées à l’engagement dans la pratique du métier (p. 102).
Le métier de professeur est donc comme nous l’avons constaté en pleine mutation. L’offre en formation initiale (moment fort de transition professionnelle) se tourne vers la recherche et place la réflexivité de l’enseignant au cœur des compétences à acquérir pour construire ou reconstruire, une identité professionnelle et une professionnalité enseignante qui réconcilie l’École et ses enseignants.
1.3.La réflexivité : une piste pour sortir du dilemme identitaire ?
Selon Altet (2010), « si les champs de compétences à construire sont prescriptifs, le développement de la capacité individuelle d’adaptation et d’innovation est un objectif-clé […] le développement de l’autonomie au travail caractéristique constitutive de la professionnalisation est donc bien inscrit dans la formation » (p.14). Ainsi dans le référentiel de compétences du métier de professeur précédemment cité, chaque compétence implique de celui qui la met en œuvre, « la réflexion critique, la créativité, l’initiative, la résolution de problèmes, l’évaluation des risques, la prise de décision et la gestion constructive des sentiments[6]. » Atlet (2013) va plus loin et propose de placer au cœur du dispositif de formation, le concept de réflexivité comme « une attitude, posture préalable à l’action, et/ou comme pratique […] du modèle professionnalisant de formation initiale d’enseignants ».
La logique de formation des nouveaux professeurs devient alors très différente et emprunte au modèle du praticien réflexif de Schön. La réflexion se situe sur l’action et sur la manière de conduire l’action pour mettre en place des schèmes plus adaptés ou transférables dans de nouvelles situations rencontrées. Ce type de formation a pour objectif de développer chez le professionnel « une disposition acquise à réfléchir sur sa propre manière de faire et donc de décider » (Perrenoud, 2013). Pour Perrenoud, fervent défenseur de la formation à la réflexivité, cette posture permet à l’enseignant comme au futur professionnel, de mieux comprendre son action et par là même de mieux l’adapter ensuite dans un contexte de complexification du métier et des situations d’apprentissage. La diversification du travail des enseignants et l’hétérogénéité grandissante chez les élèves appellent ainsi un véritable travail de réflexion sur l’action professionnelle afin d’être à même de répondre efficacement à des situations-problèmes de plus en plus nombreuses. L’enjeu de la formation à la réflexivité réside donc dans le développement d’une intelligence professionnelle pour faire face aux difficultés et ainsi sortir du blocage identitaire. La réflexivité laisse alors une place à l’identité individuelle du professionnel ou futur professionnel, comme support de développement et d’accession à une nouvelle professionnalité. Loin de les nier, elle prend appui sur les valeurs intériorisées par l’enseignant, son mode d’action, des situations similaires antérieurement vécues, la conception du métier projetée…
La formation à la pratique réflexive permettrait donc d’accroître la responsabilité et l’autonomie des praticiens. Elle jouerait surtout un rôle primordial dans leur engagement (empowerment) en œuvrant à leur développement professionnel, comme acteurs de l’évolution des pratiques, reconstruisant par et pour eux-mêmes, la professionnalité et l’identité enseignante.
2.La formation à la réflexivité pour la construction d’une autre identité professionnelle ?
Alin (2010) place l’identité professionnelle comme priorité des enjeux de formation des nouveaux enseignants (p. 63). Le schéma ci-dessous place en son centre la construction de l’identité professionnelle, comme but à atteindre dans le processus de formation initiale et de professionnalisation des enseignants.
Figure 3 : Construction de l’Identité professionnelle, En-(je)ux de Formation
Mais comment atteindre cet objectif qu’est la construction réussie (?), de l’identité professionnelle enseignante ? Nous avons tenté de définir les caractéristiques de la crise identitaire qui parcourait le monde enseignant. Une piste semblait alors se dessiner pour basculer de l’ancien modèle ou nouveau modèle de professionnalité enseignante, la réflexivité. En quoi la réflexivité, permettrait-elle d’accentuer le développement cognitif du praticien et par un retour sur sa pratique, d’agir sur son développement professionnel ?
2.1.La réflexivité ou pratique réflexive, définition
Pour Schön (1983), « la pensée réflexive est un processus cognitif continu, un retour de la pensée sur elle-même visant à faire émerger de nouveaux savoirs et savoir-faire de la pratique ». Des savoirs professionnels sont alors créés par le « praticien réflexif » à partir de sa propre expérience de terrain, de savoirs théoriques transmis ou hérités de la profession (savoirs théoriques ou prescriptifs de la profession) ou de savoirs académiques en lien avec son activité (recherche en éducation par exemple). Le praticien en tant que professionnel en activité ou en formation, utilise la réflexion dans et sur l’action pour résoudre des problèmes qu’il rencontre dans l’exercice de son métier ou pour être conscient des solutions qu’il apporte. La réflexivité peut porter sur différents domaines : au niveau technique (efficacité des moyens), au niveau contextuel (interrogations sur les besoins des élèves et les intentions éducatives qui en découlent) ou au niveau critique (niveau plus large qui couvrirait le niveau éthique ou moral de la profession). La pratique réflexive permet au praticien par sa forme de médiatisation, de dépasser la fracture entre savoirs proposés (savoirs préexistants) et les savoirs professionnels (savoirs conscientisés par une abstraction réfléchissante). La pratique réflexive par sa nature dans et hors de l’action va permettre dans un mouvement d’objectivation/subjectivation de mettre en place une régulation de l’action, des concepts et préconcepts, et des sous-jacents (facteurs conatifs, émotionnels, motivationnels… qui sous-tendent l’action et qui en permettent sa perception).
Pour Donnay et Charlier (2008), la pratique réflexive est une « réflexion sur la réflexion sur les pratiques », une méta-analyse. Pour eux, la réflexivité doit s’entrevoir par une certaine forme d’extériorité qui pourrait aller jusqu’à déconstruire pour aller voir avec rigueur derrière les choses pour leur donner du sens. Cette conscientisation de la subjectivisation passe nécessairement par une mise en discours individuelle ou collective. La pratique réflexive va ainsi permettre la création de savoirs professionnels, par une articulation entre savoirs de référence/savoirs de la profession et expérience singulière. C’est dans l’intégration de la culture professionnelle (connaissances et savoir-faire), dans la régulation des situations problèmes et dans la réflexivité sur sa pratique, que le praticien pourra se développer professionnellement, lors de son entrée dans le métier ou tout au long de sa carrière. La réflexivité entre en jeu dans la construction de l’identité professionnelle car elle apparaît comme un étai pour « faire émerger des pratiques, des actes professionnels en les recadrant dans le contexte des métiers de l’éducation et de la formation. » (p.63). Elle contribuerait également « à l’établissement de référence, à la construction de l’identité collective voire à l’établissement de normes professionnelles ».
La réflexivité permettrait donc de créer du savoir pour soi, mais également pour autrui. Par leur transférabilité, ces « savoirs » nés de la réflexivité permettraient de fédérer une identité professionnelle par et pour un groupe.
2.2.La démarche réflexive en formation, une tendance forte
Pour Vacher (2013), la pratique réflexive est venue au secours des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres puis des Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation dans leur difficulté à répondre aux réalités et aux besoins de terrain. Depuis presque vingt ans maintenant, sont apparus des dispositifs d’Analyse de Pratique Professionnelle (APP). Dans ces plans de formation, l’analyse réflexive permettrait de développer le « savoir analyser » des futurs enseignants permettant ainsi la résolution de problèmes de terrain ou simplement le développement de cette compétence d’analyse. La réflexivité est traitée dans ces modules comme une « composante de la professionnalité ou moyen de construction de cette dernière ». Selon lui, la pratique réflexive est par essence difficile à mettre en place de par sa difficulté de définition et polysémie. La réflexivité est en effet, un concept à la mode qui est souvent mal utilisé et qui serait vidé de son sens ou de son efficacité dans une utilisation souvent superficielle et conjecturelle. Le terme de réflexivité porte selon lui, une ambiguïté épistémologique. Il préfère au terme « praticien-réflexif » de Schön, le terme de « praticien-chercheur » emprunté à Saint Arnaud (1999)[7]. Ce terme permet de clarifier la réflexivité dans le sens où elle se déroule bien a posteriori de l’action et non dans l’urgence de cette dernière. Nous sortirions donc de l’atelier praxéologique basé sur l’action, pour entrer dans une véritable analyse comme dans les GEASE (Groupes d’Entrainement à l’Analyse de Situations Éducatives) ou GFAPP (Groupes de Formation à l’Analyse de Pratiques Professionnelles). Selon les entretiens et les enquêtes réalisés auprès d’étudiants repris dans sa thèse, le développement de la réflexion sur l’action permet de baisser la charge affective lors de l’interaction avec les élèves et donc d’augmenter la disponibilité cognitive pour la réflexion dans l’action.
De surcroit, il faudrait définir clairement les objectifs de ces groupes d’analyses. Pour Vacher, il ne faut pas confondre réflexion et réflexivité. La réflexion permet une analyse d’une situation pour une résolution à court terme. La réflexivité permettrait une réflexion sur la réflexion, de métaréflexion, dans une perspective plus vaste de développement professionnel. La réflexivité permet par un phénomène de décentration (constructions de points de vue différents) et de prise de recul (prise de distance affective, relations inter-champs…). Pour lui, les objectifs des plans de formation sont souvent assez vagues quant à la pratique réflexive. Perrenoud (2009) lors d’un colloque international sur les pratiques et métier en éducation et formation, rappelle qu’il faut : « comprendre qu’enseigner, c’est penser »[8]. La perspective réflexive serait donc au cœur du métier d’enseignant. Avec cette réflexion, nous sortirions de la simple analyse de l’action ou du « faire », pour embrasser une analyse plus vaste : « réfléchir le faire ». A l’instar des formations des futurs professeurs qui alternent entre savoirs théoriques et savoirs qui émergent de l’expérience lors des stages, l’analyse réflexive se situerait à la croisée de ces deux domaines.
Depuis la fin des années quatre-vingt-dix (et la circulaire de 2002 qui entérine les modalités de formation de la deuxième année d’IUFM des enseignants et des conseillers d’éducation stagiaires[9]), l’analyse de pratique et la pratique réflexive font partie du parcours de formation des futurs professionnels. Il en va à la fois de les former à cette analyse dans le cadre d’une formation professionnelle d’adulte à caractère universitaire, mais également, en s’appuyant sur le principe d’alternance, de revenir sur les expériences de terrain. Vacher voit pourtant les limites du système de formation, le risque se situant dans une certaine « improvisation » de modules de formation à la réflexivité qui ont « contribué à une évaluation négative de la formation, en général, par les professeurs stagiaires et à une remise en cause des IUFM ». Cette formation à la réflexivité tiendrait donc beaucoup de l’utilisation qui en est faite. Elle n’aurait donc pas de cadre de vie autonome et devrait sortir du seul parcours universitaire pour se confronter au terrain. Les « maîtres de stage » ou « tuteurs terrain », devraient également recevoir une formation à la réflexivité pour permettre de faire le lien, entre savoirs théoriques et savoirs issus de l’expérience lors de l’accompagnement des professeurs stagiaires débutants. Cela permettrait de fédérer le couple recherche-terrain et éviter les phénomènes de rejets ou de remises en cause des apports de la recherche et de la réflexion pédagogique. Les futurs professeurs en demande « de trucs et astuces qui fonctionnent » à mettre en place dans leur classe pourraient alors nourrir leurs réflexions dans un cercle vertueux d’expériences parfois déstabilisantes et de solutions théoriques transposables et adaptables à partir d’une analyse de leur pratique.
Mais comment mettre en place un accompagnement à la réflexivité ? Quelles sont les conditions favorables à sa mise en place et les « règles » à respecter ?
2.3.Le modèle du compagnonnage réflexif, une piste pour les formateurs de terrain
La démarche réflexive n’est pas quelque chose d’aisé à mettre en place dans les actes de formation ou lors d’accompagnement de professeurs débutants ou de professeurs plus aguerris comme nous avons pu le constater précédemment avec la critique parfois cinglante de Vacher. Donnay et Charlier proposent quant à eux, une piste de réflexion avec le modèle qu’ils nomment : « compagnonnage réflexif » (2008). Dans ce modèle proposé par Donnay et Charlier, la distance nécessaire à l’analyse peut être provoquée par un autre professionnel, le compagnon. Dans cette visée, le formateur ou « compagnon », doit se présenter comme un être de rigueur qui retranscrit le réel à travers les faits tout en reconnaissant la subjectivité de l’Autre, le praticien.
Le compagnonnage se voit tout d’abord comme un accompagnement de l’Autre par une entrée en relation. Cette relation tient du fait que le compagnon (formateur) et le praticien (formé) s’inscrivent dans un projet commun explicité, fédérant des valeurs communes basées sur le respect de la subjectivité de chacun. La relation se base donc sur une tension entre assimilation et différenciation : l’assimilation par le fait d’avoir un projet pour l’autre en l’assimilant à soi ; la différenciation par le fait de reconnaître l’Autre dans sa différence. Ce double mouvement est à la fois la base du processus identitaire personnel mais également celle du développement professionnel (concepts d’identification et d’identisation). Cette posture de différenciation permet de voir l’Autre dans ses différences et d’éviter les écueils qui fusionneraient l’Autre à ses actes, empêchant ainsi la relation formatrice. Le compagnonnage réflexif se voudrait donc à la fois proche de l’Autre sans pour autant s’y confondre (pour comprendre ses actions) et éloigné (pour être garant du réel des situations).
Pour nos auteurs, les postures du formateur-compagnon ne sont pas celles d’un « accoucheur d’implicite ». Dans la démarche réflexive, c’est le praticien lui-même qui est le plus à même de changer, créer, « être meilleur là où il est déjà bon ».
Cependant, la réalité lui est parfois opaque et peut lui être rendue intelligible par une médiation, par un regard extérieur celui du compagnon. Le compagnonnage réflexif met en place une relation triangulaire qui place à chaque angle : le réel, le praticien, le compagnon. Le réel et l’Autre sont toujours insaisissables dans leur totalité et complexité. Les images du réel par exemple, ne seront toujours que l’expression de deux subjectivités : celle du praticien et celle du compagnon. Même si le compagnon est censé mieux maîtriser la démarche réflexive, le langage standardisé et les théories de références, c’est bien le praticien qui est l’auteur principal de la réflexivité dans son projet de développement professionnel, créant lui-même ses professionnalités.
Pour Donnay et Charlier, le compagnonnage réflexif prend la forme d’un contrat explicite, d’un partenariat. C’est en créant un climat de confiance, que le dialogue réflexif pourra être vécu de la part des deux entités comme non menaçant, évitant ainsi les phénomènes de résistance ou de recul. Réfléchir sur ses pratiques en présence d’un Autre, c’est se fragiliser en se montrant vraiment à lui. Dans la cadre d’un projet explicite et volontairement commun, le compagnon réflexif devient alors le médiateur entre le praticien, les effets souhaités et les effets produits (le réel). Le compagnonnage réflexif repose sur quatre postures du formateur dans l’accompagnement de l’Autre :
- un accompagnement sans complaisance mais avec compréhension du réel ;
- un accompagnement de « cré-action » : création de savoirs issus de la pratique ;
- un accompagnement vers d’autres savoirs et/ou pratiques (autres possibles) ;
- un accompagnement dans l’intégration d’innovation dans ses pratiques.
Les auteurs mettent également en garde les formateurs sur les conduites à tenir par le compagnon réflexif. Le compagnon réflexif se veut un être d’écoute de l’Autre, le laissant s’exprimer sans juger, sans se sentir menacé et surtout sans anticiper sur les solutions. Il doit également être capable d’expliciter ses propres modèles d’interprétation et de gérer ses propres émotions. Le compagnon réflexif doit situer la parole de l’Autre (dans le contexte, le projet, l’épisode) et l’aider à expliquer, notamment par rapport aux modèles qui le sous-tendent. Il doit également confronter les subjectivités (la sienne et celle de l’Autre) à d’autres possibles tout en aidant l’Autre à subjectiver le réel (approche systématique des situations). Il doit aider l’Autre à envisager les changements de pratiques et à accepter de changer ses conceptions. Il doit enfin permettre l’intégration des nouvelles pratiques dans les pratiques professionnelles de l’Autre et l’aider à les intégrer dans l’organisation.
Pour conclure, il semblerait que la posture du compagnon réflexif ne soit pas une évidence et que l’exercice de la réflexivité s’applique autant au compagnon qu’au praticien dans une coexistence des subjectivités, rendue possible par un rapport partenarial explicite.
Bien que parfois difficile à mettre en place, la réflexivité serait une des pistes pour sortir d’un dilemme identitaire entre prescrit et réalité de terrain. Elle permettrait de favoriser l’empowerment du praticien et de relancer les phases exploratoires en favorisant la renégociation d’une identité professionnelle en adéquation avec ses intérêts et convictions personnelles. L’identité enseignante qui est notablement fixée sur la question de la discipline (pour les enseignants du second degré) est devenue un obstacle à la réalisation de l’identité biographique. Certains personnels, au sein même du groupe professionnel des enseignants, se tournent donc vers des projets de reconversion pour tenter de réconcilier identité pour soi et identité pour « nous » et pour « autrui ». Ces processus de reconversion, nous interpellent et nous poussent à nous interroger de la manière suivante :
L’exercice de la réflexivité dans les pratiques professionnelles permet-il à l’enseignant en reconversion de (re)construire une identité professionnelle questionnée ?
Nous partirons du principe qu’une relation d’interdépendance pourrait exister entre les concepts d’identité professionnelle, de pratiques professionnelles et de réflexivité. L’identité professionnelle par le détour de la réflexivité pourrait influencer ou modifier les pratiques professionnelles. Ces dernières pourront en retour redéfinir ou influencer la construction de l’identité professionnelle. Cette conscientisation professionnelle servirait donc de support à l’accomplissement de ce cercle vertueux de redéfinition de l’identité professionnelle.
Figure 4 : processus de conscientisation professionnelle
La réflexivité semble avoir une importance considérable dans le processus de construction identitaire. Elle « permet à l’individu de dégager l’ensemble des représentations, des schémas cognitifs et symboliques plus ou moins formels de retour sur soi de l’identité » Riopel (2006). Dans notre cas, la réflexivité par sa vision « en dehors d’elle-même » permettrait de lever les tensions identitaires renvoyant à un passé professionnel éprouvant et favoriserait le dépassement de ces expériences, pour faire sienne, la nouvelle professionnalité émergente. Le processus de reconversion professionnelle serait alors « atteint » puisque le processus de développement de l’identité professionnelle pourrait reprendre son cours dynamique comme une suite logique et révélée et non comme une rupture professionnelle et identitaire.
Ce travail de réflexivité permettrait au personnel en reconversion :
- d’évacuer ses affects et de favoriser la prise de distance de soi ;
- de questionner ses pratiques dans un cadre « sécurisant » favorable à la production de savoir professionnel ;
- d’évacuer l’identité prescrite et intériorisée, réconciliant l’identité personnelle et professionnelle de l’enseignant.
Pour Donnay : « Le pari de la réflexivité est de miser sur l’auto-renouvèlement professionnel dans une réflexion sur soi, ses actes, son contexte, la politique éducative… afin d’en avoir une meilleure intelligibilité et ainsi d’agir en meilleure connaissance des causes. »
III.De la recherche conceptuelle à la recherche appliquée
Le dispositif de reconversion professionnelle appelle nécessairement un dispositif de développement professionnel qui place le professionnel au centre d’un processus de (re)construction identitaire. De nombreuses questions opérationnelles se posent alors :
Comment faire émerger les traces de l’identité professionnelle liée à l’identité personnelle et biographique ? Comment mettre en place une analyse de pratique réflexive qui fera écho aux questionnements professionnels et individuels de l’enseignant pour permettre la construction d’une identité professionnelle renouvelée ? Comment évaluer l’efficience d’une démarche réflexive dans une reconstruction identitaire qui touche à la fois l’identité personnelle et professionnelle ?
Dans cette démarche et pour tenter de mesurer l’impact de la démarche réflexive dans le processus complexe de reconstruction de l’identité professionnelle, nous nous sommes fixés les objectifs suivants :
- Permettre par la conscientisation à l’individu d’articuler son identité (personnelle et professionnelle) et sa pratique, en associant ses valeurs personnelles et professionnelles ;
- Favoriser la réflexivité de l’enseignant en reconversion afin de renforcer son engagement par la création de savoirs professionnels par le praticien lui-même. C’est par la conscientisation de son action et de ses pratiques et par une création de savoir à partir d’elles, que le professeur en reconversion pourrait devenir un « praticien réflexif ».
1.Protocle et approche théorique
1.1.La méthode choisie
Le protocole a été imaginé à partir des lectures et mis en place de manière empirique lors de l’accompagnement de Mme A, professeur-documentaliste en reconversion. Le protocole initial a été revu en cours d’accompagnement, par tâtonnement et par modulation dans cet esprit de compagnonnage réflexif emprunté à Charlier et Donnay.
Dans cette approche, l’accompagnement du professionnel doit s’ancrer dans un climat de confiance qui se veut ouvert à la discussion réciproque. Il s’agissait ici de mettre en place un partenariat entre le formateur et le formé. Dans le cadre de notre action, ce rapport partenarial a été explicité en lien avec les épreuves du CAFFA. Ainsi, le travail en collaboration a pu être rapidement perçu comme non menaçant par le praticien, car ne relevant pas directement d’une évaluation de ses compétences professionnelles dans son parcours de formation. Dans cette relation formé/formateur, chacun participe à son développement professionnel et personnel, dans des tâches communes et partagées, où il se sent respecté dans sa singularité et son parcours, sans jugement ou apriori. Dans un autre contexte, il faudra donc veiller à la mise en place de ce contrat non menaçant par un autre biais.
Notre protocole laisse une large part à la parole libre du praticien. Il s’agit effectivement de ne pas brider le praticien dans ses prises de paroles et d’accepter la part de subjectivité inhérente à cette dernière. Cependant, il ne s’agit pas uniquement de le laisser parler. Dans ce contexte de compagnonnage, le formateur prend la place du regard extérieur au praticien. Il doit lui permettre de lever le voile de sa subjectivité et surtout d’objectiver le réel. Il doit aider ce dernier à expliquer, le confronter à d’autres lectures possibles, l’aider à envisager le changement et le mettre en place dans ses pratiques. C’est là toute la difficulté de ce dispositif de compagnonnage réflexif. Le compagnon doit aider le praticien à découvrir par lui-même et pour lui-même ses propres clés de lecture pour lui permettre de reprendre le pouvoir sur son identité professionnelle et sur ses pratiques. Le formateur ne peut donc pointer du doigt ce qui serait « déviant » dans sa pratique, mais permettre la prise de recul autoréflexive.
Le questionnement critique est une compétence particulièrement difficile à maîtriser par Mme A qui n’a que peu été formée à cette distanciation dans son cursus de formation initiale. Notre protocole ne se veut donc pas un protocole reproductible à l’identique. Il s’est adapté au parcours de Mme A, à son identité personnelle, à son projet et à ses pratiques professionnelles.
1.2.Le contexte de récolte des données et difficultés
Dans la cadre de l’accompagnement de Mme A, nous avons décidé de mettre en place un suivi le plus soutenu possible, en accord avec son chef d’établissement. Le rythme des visites s’est voulu assez soutenu (une fois tous les quinze jours ou trois semaines dans la mesure du possible). Mme A exerce dans un établissement classé Réseau d’Éducation Prioritaire avec un public qui peut être perçu comme « difficile ». Dans son contexte de reconversion professionnelle et en lien avec son passé professionnel douloureux, il a été imaginé de travailler en priorité sur la gestion de classe et sur les compétences infodocumentaires à mettre en place dans un parcours de formation intitulé « Accompagnement Continu » sur le niveau 6ème.
Ainsi, l’accompagnement de Mme A s’est voulu fortement présentiel. Le travail à distance est plus difficile dans le cadre du compagnonnage car les signes physiques, significatifs et porteurs de sens, sont rendus invisibles. La question du temps dévolu à l’accompagnement est alors apparue comme cruciale. Les observations de séances suivies d’entretiens ont toujours été rendues possibles bien que matériellement, il soit difficile d’augmenter le rythme des visites ou les temps d’entretien. Il va sans dire que le compagnonnage réflexif mérite un temps conséquent aussi bien pour le praticien que pour le formateur. C’est une des difficultés qui a tout de suite surgit dans la mise en place de cet accompagnement. La distance entre l’établissement d’exercice du praticien et celui du formateur, ainsi que les temps institutionnalisés pour ces rencontres ont pu présenter des freins à un suivi en profondeur du praticien.
1.3.La méthodologie mise en place
La méthodologie mise en place a subi des coupes et des modifications de par la quantité de travail demandée au praticien mais également, aux limites de temps imposées par un exercice à plein temps du personnel en reconversion dans son établissement. Durant tout ce protocole imaginé par nos soins, le formateur de terrain jouera le rôle du compagnon réflexif en accompagnant le professionnel en reconversion, Mme A dans une conscientisation d’elle-même en tant qu’individu et professionnel. Ce compagnonnage tend à relancer le processus exploratoire et par là même l’engagement du professionnel en reconversion dans ses nouvelles fonctions de professeur-documentaliste. Le protocole imaginé et mis en place est le suivant :
Le questionnaire : Il permet au personnel en reconversion de faire le point sur sa formation, son expérience professionnelle passée, les pierres d’achoppement de son espace intime, le point de rupture et le projet de réorientation. Il revient également sur ce qui l’a poussé à envisager le métier d’enseignant et sur la place de l’élève. L’objectif du questionnaire est donc double : il fait le point sur l’identité biographique du personnel en reconversion (trajectoires professionnelles) pour lui-même et aux fins de le transmettre pour être connu et reconnu pour/par le formateur (mise en confiance et la reconnaissance de l’Autre dans son identité biographique). Ce travail sur l’identité biographique pourrait permettre d’éclairer les analyses de pratiques professionnelles, l’identité professionnelle intériorisée et par la suite, d’imaginer les trames d’entretien.
L’entretien directif : il viendrait après le questionnaire et représenterait une initiation à la réflexivité dans cette démarche. Le premier entretien avait été imaginé sous forme semidirective, puis corrigé sous forme directive. Il se voulait mener le professionnel en reconversion à réfléchir sur son identité professionnelle en ce qui définit une personne sur le plan professionnel, la conception de son métier et l’ensemble des éléments stables et permanents traversant les différentes fonctions remplies par le professionnel (pratiques professionnelles). Il permettrait de revenir sur l’identité pour soi et l’identité pour le groupe, essence même de la profession d’enseignant. Le climat de confiance serait désormais installé : la libération de la parole devrait pouvoir s’effectuer. L’entretien devrait permettre une première mise à distance par le personnel en reconversion de sa professionnalité. Il devrait l’initier à la pratique réflexive en mettant en mot son expérience, la vidant d’une charge émotionnelle trop forte, pour la reconstruire avec un regard plus lucide. L’entretien devrait amener le praticien à faire le point sur ses valeurs professionnelles et sur les normes de la profession qu’il avait intériorisées. Il permettrait donc d’entrer dans la réflexivité par un travail sur les filtres de la subjectivité.
L’écrit réflexif : il serait imaginé à partir d’une expérience significative du personnel en reconversion. Ses objectifs seraient les suivants :
- rendre compte d’une expérience (décrire) ;
- prendre de la distance sur ses propres pratiques professionnelles (analyser et modéliser);
- mettre à distance et construire du sens (effectuer des recherches professionnelles) ;
- théoriser des pratiques pour construire du savoir professionnel (transférer) ;
- s’approprier le savoir dégagé pour changer ou innover dans ses pratiques (évoluer). Par cette expérience analytique de situation, le professionnel en reconversion pourrait être amené à accroître sa responsabilité et son autonomie en tant que praticien, œuvrant ainsi à un véritable développement professionnel dans lequel il est auteur de l’évolution de ses propres pratiques professionnelles. Cet exercice participerait à la construction de la capacité réflexive du personnel en reconversion et donc par la même de son inscription dans sa nouvelle professionnalité. Un exercice réflexif supplémentaire a été proposé à Mme A. Il se voulait un retour analytique sur l’entretien directif et une préparation à l’écrit réflexif précédemment décrit.
2.Analyse des données
Dans notre protocole de recherche, le questionnaire se voulait le point de départ d’un travail réflexif. Après la récolte de ce questionnaire, nous avons tout de suite remarqué la place importante d’un ancrage dans les textes officiels et référentiels en vigueur. Le praticien éprouvait des difficultés à sortir de l’image projetée sur le métier par l’institution et donc à prendre du recul par rapport à lui-même. Il livrait une version « édulcorée » de lui-même, la rendant vraisemblablement plus « recevable » par et pour le formateur. Le questionnaire a donc été intégré en partie à l’entretien directif pour pousser la réflexion du praticien et surtout mettre à jour, dans la spontanéité du discours, ce qui se jouait en creux chez le professionnel. Nous nous proposons donc d’interpréter les contenus dans une analyse croisée du questionnaire et de l’entretien. Ces données qualitatives seront traitées par une analyse de contenu qui se voudra thématique bien qu’elle puisse également faire appel à l’analyse lexicale au besoin (force des mots, fréquence d’apparition). Les analyses émanant du questionnaire feront appel à un lignage alors que celle du verbatim d’entretien à un codage[10].
2.1.Analyse des données du questionnaire et de l’entretien : le formateur, un explorateur des identités du praticien
Dans le cadre de notre compagnonnage, nous nous sommes fixés comme objectif de mettre au jour les tensions entre identité biographique, ancienne et nouvelle identité professionnelle du professionnel en reconversion et sa mise en acte dans ses pratiques. Dans le cas de Mme A, il s’agit d’une reconversion disciplinaire interne à l’Éducation Nationale. Le déplacement de l’identité professionnelle s’effectuerait donc au sein du groupe, par le truchement disciplinaire. L’objectif de ce croisement de support est donc de faire émerger les points stables de l’identité professionnelle, les points d’instabilité liés à la bascule entre une première et seconde identité professionnelle disciplinaire, et auquel cas, les points de non-achèvement de la nouvelle identité professionnelle. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur le parcours professionnel du praticien, en lien avec son identité personnelle et les différentes phases de tension qui la traversent.
Pour Mme A, l’enseignement a toujours été une vocation. Elle a d’abord enseigné huit ans en Espagne en tant que professeur de français langue étrangère, puis a passé le CAPES d’espagnol en candidat libre qu’elle a obtenu en trois ans. Elle a alors réalisé son année d’IUFM dans l’académie d’Aix-Marseille, puis obtenu ses deux premiers postes en région parisienne. A la suite de la rencontre de son conjoint, elle a sollicité un poste dans l’académie de Reims où elle exercera pendant dix ans (AB 0’42). C’est à l’arrivée de son premier enfant et du diagnostic de « troubles d’opposition », qu’elle a commencé à ressentir une « souffrance au travail » (lignes 14-15). Exerçant alors dans différents établissements à mi-temps, le champ lexical de l’anxiété surgit dans son récit (« stress » à trois reprises, « nervosité », « fatigue », « agressivité » (AB 4’46)). Son dernier poste au collège des Jacobins est l’élément déclencheur : « J’ai fait une matinée […] quand je suis sortie de là, j’ai su que je n’y retournerais pas ». Elle a alors préparé l’agrégation d’espagnol, puis a été affectée sur un Poste Adapté de Courte Durée dans le domaine de la gestion pour « ne plus être prof », « même le contact avec les élèves m’était difficile » (AB 17’15). Elle a découvert ensuite le métier de professeur-documentaliste fortuitement au lycée professionnel Diderot, car les gestionnaires n’avaient pas d’espace à lui consacrer. Un bureau lui a été proposé au Centre de Documentation et d’Information du lycée (AB 17’15). Lors des attentats de 2015, elle a imaginé pendant le weekend une exposition à destination des élèves en urgence. (AB 20’48). L’idée d’une reconversion vers le métier de professeur-documentaliste commençait alors à poindre. C’est finalement, lors d’un entretien avec son chef d’établissement, qu’elle exposait son futur choix professionnel : « laisser tomber la gestion, et partir vers professeur documentaliste » (AB 17’15). La sortie de la phase dite de crise ou de désœuvrement identitaire commençait alors à s’opérer, avec le choix d’un métier qui lui semblait en adéquation avec ce qu’elle « a[vait] toujours eu en [elle] » (AB 1h 4min 10s). Nous constatons bien apparaître les différentes phases de crise identitaire professionnelle, avec ses moments de baisse de motivation au bout d’une quinzaine d’année d’exercice, couplées à des difficultés personnelles, avec à son paroxysme la crise identitaire et le rejet de la posture d’enseignant. Ce retour sur le parcours professionnel de Mme A est un éclairage à ne pas omettre dans le compagnonnage à mettre en place.
Après ce détour, nous nous proposons, dans un premier temps, d’analyser ses rapports avec l’École et l’Institution, thème central de cette reconversion professionnelle qui se situe en son sein. Mme A a toujours eu de bonnes relations avec l’École. Elle y était une « élève appliquée » mais qui avait « peur de ses professeurs » (AB 43’10). En tant que parent d’élève, elle a suivi à la lettre les recommandations des professeurs des écoles pour ses enfants (AB 43’10). Elle insiste sur le climat de confiance à installer avec les élèves qui se traduit par une autorité bienveillante « pour les faire grandir » et le rôle de confidente installé un peu malgré elle lors des moments d’accueil au CDI (AB 1h 13min 50s). Elle insiste sur la volonté de se former sur tout ce qui a trait à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, cela faisant partie des « clés que doivent maîtriser les professeurs » (AB 1h 7min 15s) pour « gérer les conflits » (ligne 126). Elle fait alors le lien avec ses enfants et note qu’elle n’a pas toujours eu la bonne « autorité » et que maintenant, elle y arrive mieux, sans vraiment se l’expliquer (AB 52’20). C’est d’ailleurs cette relation aux élèves qui avait cristallisé son angoisse professionnelle, car « c’était problématique, [elle] avai[t] l’impression d’être jugée par les élèves » (AB 1h 20min 45s). Dans nos deux supports d’analyse, nous avons pu également dégager ce qui a trait aux valeurs professionnelles et à ses normes. Il en ressort explicitement une grande loyauté professionnelle tout au long du parcours de reconversion, ainsi qu’une scansion régulière des valeurs républicaines et citoyennes (lignes 68, 152, 167 à 176) et de la place du professeur-documentaliste dans leur développement auprès des élèves (AB 36’15, AB 1h 1min 19s).
Dans un second temps, nous nous proposons de nous intéresser à la nouvelle identité professionnelle choisie par Mme A pour sortir d’un certain marasme identitaire, le métier de professeur-documentaliste. Sur le plan personnel, cette nouvelle identité professionnelle permet un accomplissement de soi décliné sous le terme de « culture ». Elle se pensait de « culture espagnole » et finalement, se rend compte « au fil de [s]a reconversion qu’il y avait beaucoup d’aspects qu’[elle] utilise maintenant, qui étaient en [elle], un peu enfouis et que [elle] ne savait pas qu’[elle] pouvait utiliser dans [s]on métier. » (AB 1h 4min 10s). Cela a redonné cohérence entre sa vie privée et professionnelle, expliquant sa forte implication professionnelle qui empiète parfois sur sa vie personnelle (AB 1h 6min 16s). Cette nouvelle professionnalité renvoie également à une sortie de routine et à des phases d’exploration par un métier « soumis à la réalité et à son actualisation permanente » (AB 1h 1min 56s). La nouvelle professionnalité vient comme « englober » l’identité personnelle, dans une adéquation naturelle, permettant au praticien de se libérer des tensions existantes dans son ancienne professionnalité et de retrouver une certaine unité. Cependant, le métier de professeur-documentaliste est un métier qui cherche encore ses limites et ses contours, ce qui ne facilite pas l’appréhension de la nouvelle identité professionnelle[11]. Nous constatons bien qu’il est difficile à définir. D’abord, les professeurs-documentalistes sont vus comme « multitâches » (AB 1h 28min 39s), avec une image renvoyée par la société qui « prête à sourire » (AB 34’30) et vus « comme pas forcément crédibles » par les autres professeurs (AB 54’06). Dans le questionnaire, comme dans l’entretien, la définition du métier ne va que peu s’opérer par des gestes de métier ou une éthique professionnelle propre mais bien grâce au référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation et les trois compétences spécifiques du professeur-documentaliste, et ce, de manière implicite ou par citations parfaitement explicites (AB 37’35, lignes 140 à 142). Cette difficulté à saisir parfaitement les contours de ce groupe professionnel, amène Mme A à s’en détacher et à le commenter de l’extérieur : « Par rapport à ce que je comprends et aux problèmes qu’ont les profs documentalistes liés à l’institution, c’est que l’on veut qu’ils gèrent le CDI mais on veut aussi qu’ils soient professeurs » (AB 34’30). Dans ce passage, on perçoit un décrochage entre le praticien et le groupe professionnel des professeurs documentalistes, qui se traduit par l’absence du « nous » et son exclusion du groupe. La construction ou reconstruction identitaire semblerait donc être incomplète ou encore, en phase de transition dans ce processus de reconversion professionnelle.
Nous avons également relevé la notion centrale de « transmission des savoirs » dans les théories personnelles et la conception de l’apprentissage selon Mme A. Sa vision du métier est fortement ancrée dans le disciplinaire et voit donc le professeur comme un passeur de savoirs (AB 32’08, AB 45’33, AB 1h 5min 49s, lignes 6-7, 53-54). Ses occurrences sont nombreuses et marquent également les éléments de bascule entre sa première et seconde discipline. Une véritable angoisse est née de « la peur de ne pas savoir » (AB 23’22) car « ce n’était pas [sa] discipline » (AB 17’15). C’est le passage à l’ESPE et l’acquisition de connaissances propres à ce nouveau domaine, qui va permettre « une entrée maîtrisée dans le métier » (AB 23’22). De plus, nous relèverons la notion centrale de l’erreur dans ses théories personnelles de l’apprentissage. Cette dernière est valorisée comme un biais pour comprendre ce qui se joue dans les processus d’apprentissage et qui peut échapper au praticien. Elle la place également comme valeur fondamentale pour les professeurs car « pour un adulte, se tromper, c’est tout au long de la vie. Ça nous ouvre d’autres voies… » (AB 1h 19min 15s). Cependant, l’erreur est surtout perçue comme quelque chose de déstabilisant et qui pourrait fragiliser l’identité professionnelle du praticien. Le professeur en tant que passeur de savoir, ne peut se permettre de se tromper :
La dernière fois je me suis rendue compte que je m’étais trompée… non pas trompée… que je n’étais pas claire dans la façon de poser mes questions […] il fallait absolument que pour la prochaine fois ça soit dit autrement, pour que je ne montre pas que je ne suis pas sûre de moi (AB 1h 25min 26s).
Dans cette reprise, nous voyons ici poindre un biais provoqué par la subjectivité et l’historicité de Mme A. L’erreur a une valeur différente quand il s’agit des élèves ou d’elle-même, ce qui peut influer sur ses pratiques pédagogiques et professionnelles.
2.2.Analyse des données du premier exercice réflexif : le formateur, un accompagnateur dans la subjectivation des identités prescrites et le questionnement des pratiques pédagogiques
Dans cette seconde partie nous nous proposons d’analyser un premier pas de côté du praticien sur lui-même en tant que professionnel et ses pratiques par un système d’emboîtement des lectures. Il a en effet été proposé au praticien de relire la transcription de l’entretien (codé L) pour en effectuer une première analyse. Le transfert entre l’identité professionnelle prescrite, personnelle et supposée, est difficile à opérer par le professionnel seul. Cet exercice réflexif tente par l’objectivation du discours (la transcription) de faire apparaître plus clairement la subjectivité du praticien sur son identité professionnelle, sa posture enseignante et ses pratiques pédagogiques. Nous voulions également préciser que cet exercice s’est avéré délicat pour Mme. A.
J’ai d’abord pris conscience que la lecture de mon histoire professionnelle provoquait encore en moi beaucoup d’émotions […] j’ai interrompu ma première lecture au moins pendant une semaine parce que me confronter à cette souffrance passée et que j’avais envie d’oublier était difficile (L 257-261).
Comme nous l’avons entrevu précédemment, l’identité professionnelle surtout chez les enseignants, est fortement empreinte de l’identité personnelle. Alors que le dispositif d’entretien n’avait pas provoqué d’émotion particulière, la lecture de la transcription, dans une démarche de distanciation, s’est avérée plus difficile.
En ce qui concerne l’enseignement, Mme A le définit autour de trois axes « transmettre les connaissances et former les citoyens de demain ; transmettre les valeurs de la République ; aider les élèves à se construire, à devenir des adultes » (L 6-8). Ces trois pôles apparaissent fortement dans sa vision de l’Éducation, car ils vont revenir et être déclinés dans sa vision du métier, dans ses valeurs et dans ses normes. En ce qui concerne le métier de professeur-documentaliste, nous retrouvons pêle-mêle une liste d’actions qui vont de « développer le goût de la littérature » (L50) à « avoir des groupes de 6ème en cours » (L53), « être gestionnaire de son fonds » (L57) à « enseigner l’éducation aux médias et à l’information » (L60). Cette définition du métier par ses missions spécifiques renvoie à la vision multitâche du métier et à la difficulté de le définir clairement. Il est à noter qu’elle revient sur les valeurs du métier de professeur-documentaliste comme un inchangé par rapport à sa première profession de professeur d’espagnol marquant ainsi la continuité. Nous retrouvons ensuite logiquement, dans les normes du métier, certaines compétences communes à tous les professeurs et des compétences spécifiques aux professeurs-documentalistes. Elle place en premier « les valeurs de la République », qu’elle met même en gras dans son analyse, puis « la transmission des savoirs, la collaboration, la bienveillance et l’ouverture d’esprit » (L64 à 68). Nous remarquerons un ajout, inconscient(?) de la part de Mme A, par rapport à la transcription de l’entretien, le terme « bienveillance » y a été ajouté et laisse supposer qu’il s’agirait d’une norme intériorisée mais à cette heure, non conscientisée. Dans cette première tentative de prise de recul, Mme A décrit son métier et sa professionnalité, comme ancrés dans des valeurs fondatrices déclinées sous forme d’actes professionnels. La prise de recul est ici minime car elle renvoie à un prescrit fort, difficilement discutable notamment dans un processus de reconversion professionnelle et d’adoption d’une nouvelle identité professionnelle.
En tant que pédagogue et dans ses gestes professionnels d’enseignement, Mme A se définit comme « pratiquant volontiers la méthode classique qui est l’interaction professeur/élève » (L216), elle « met [les élèves] en activité (avec un passage par l’écrit) après avoir expliqué la théorie pour [s’]assurer que les élèves ont bien compris » (L217-L218). Elle « les fait beaucoup participer à l’oral » (L219), « leur donne les critères de réussite pour qu’ils sachent sur quoi se baser » (L221), propose « aux élèves qui ont fini en premier d’aller aider les camarades en difficulté » (L225) et « essaie parfois de partir des choses erronées afin de leur faire comprendre certaines notions » (L227). Une première prise de recul s’opère en conclusion de ce passage avec :
Je suis tout à fait consciente qu’il faut varier les angles d’attaque […] Je me suis rendue compte, lors de la dernière visite de ma tutrice, que depuis que j’avais changé de discipline j’avais mis de côté toutes mes pratiques pédagogiques de professeur de langue, et ce n’est que maintenant que je me rends compte que je peux les réutiliser ! (L233-L237).
Un second phénomène de distanciation tend à s’opérer sur la notion de collaboration : « Je suis consciente que pour l’institution, il y a des missions et qu’il faut être compétent dans chacune de ces missions […] pour être considéré comme un bon professionnel, c’est engager beaucoup de collaborations avec les collègues de discipline. » (L83-L86). Ici, nous constatons la naissance d’une tension entre le prescrit et la réalité de terrain. Les partenariats ne font pas partie de la culture d’établissement d’exercice de Mme A : « Je me sens un peu à l’écart à cause du poste que j’occupe » (L199) et ses pratiques en termes de collaboration sont essentiellement basées sur les affinités : « certaines personnes viennent me demander de travailler avec moi, alors que c’était plutôt inattendu. Je ne m’étais jamais imaginée être amie avec ces personnes » (L209-L210). Dans nos deux exemples, il est intéressant de noter que Mme A passe par un phénomène de conscientisation : « Je suis tout à fait consciente » / « Je suis consciente que ». La conscientisation de ses pratiques professionnelles ou du prescrit affleure donc ici, dans ce premier exercice de réflexivité.
La notion de « liberté » fait également son entrée dans le discours comme libérateur pédagogique et phénomène de conscientisation de l’identité biographique. Elle se décrit en tant que professeur-documentaliste comme « libre, parce qu’on peut faire tout un tas de projets […] par rapport à mon travail de professeur d’espagnol à l’époque » (L94-L95) « ce qu’il y a de bien dans ce métier, c’est qu’il n’y a pas forcément de normes strictes : chaque enseignant est libre d’aborder des thèmes qui sont en lien avec ses affinités » (L101-L102). Par cet appel à la liberté, nous constatons en creux l’absence de programme en documentation et les possibilités pédagogiques qu’il offre mais nous ressentons surtout le retour du Moi. Les pratiques pédagogiques de Mme A sont directement en lien avec ses centres d’intérêts personnels et lui permettent ainsi de s’épanouir en tant qu’individu dans sa globalité : « Je me suis servie de ce que je connaissais pour créer par exemple un projet d’animations au CDI qui puisse être intégré à l’axe d’établissement sur le bien-être » (L 106-L109). Nous notons ici que les choix pédagogiques sont sous-tendus par des spécificités personnelles du professeur-documentaliste en tant qu’individu. Quand elle revient sur sa reconversion professionnelle, Mme A soulève elle-même le parallèle de la manière suivante :
Moi qui pensais que je n’étais pas capable de faire autre chose que de l’espagnol dans ma vie professionnelle, me voilà bien surprise ! […] Je ne me savais pas aussi riche, et j’étais bien loin de m’imaginer que tout cela m’ouvrirait une autre voie. Ce que je peux dire, c’est que toutes ces pratiques et ces centres d’intérêts donnent du sens à mon activité professionnelle actuelle (L268-L278).
Par une première prise de recul, le sentiment d’un équilibre (re)trouvé se laisse deviner, par un métier qui prend sens par des pratiques professionnelles en adéquation avec l’identité personnelle de l’enseignant.
2.3.Analyses des données du second écrit réflexif : permettre au praticien de faire un pas de côté, de se regarder d’un peu plus loin et de créer du savoir professionnel
Dans la continuité de notre protocole réflexif, nous avons proposé à Mme A de s’adonner à un écrit réflexif. Cet écrit, a été imaginé à partir des travaux d’Anne-Lise Doyen, responsable du parcours Pratiques et Ingénierie de la Formation (Master Métiers de l’Enseignement de l’Éducation et de la Formation, à l’Université d'Orléans). Il avait pour objectif de mettre en jeu les compétences d’analyse du praticien pour interroger une séquence ou un projet et pour en extraire les éléments déterminants en termes d’apprentissage. Il devait s’appuyer sur la recherche pour permettre au praticien de soutenir ou questionner sa pratique. Cet exercice se voulait également un exercice critique pour amener le praticien à faire évoluer de lui-même ses pratiques. Il devait lui permettre de porter un regard distancié sur ses compétences professionnelles en développement, pour lui permettre de s’engager professionnellement. Dans cet exercice, le formateur n’avait pas de place « active ». Il était créateur et lecteur de l’exercice professionnel réflexif, mais n’avait pas à interagir directement dans le processus réflexif. Dans notre cas, la séance choisie par Mme A n’a pas été observée par le compagnon lors des temps institutionnels d’observation.
Dans l’écrit réflexif convoqué ici, Mme A va tourner naturellement sa réflexivité sur ellemême en tant que professionnel en reconversion (dans son identité à conquérir) et dans un double emboitement quant aux contenus disciplinaires et à ses interactions avec les élèves (place de l’enseignant dans l’apprentissage). Nous avions déjà relevé ces deux sous-entrées dans le questionnaire et dans l’entretien. Il n’est donc pas surprenant que Mme A choisisse ces axes d’analyse. Pour parfaire notre analyse nous aurons recours à des citations de cet écrit réflexif qui seront cette fois codées L’.
Dans cet écrit, Mme A choisit d’axer son analyse sur la « préparation de la séance » (L’182). Il en ressort qu’une des problématiques professionnelles de Mme A tourne autour de l’appropriation des contenus de la séance, non pas par les élèves de prime abord, mais par elle-même : « [cette séance] m’a donné beaucoup de mal dès qu’il a fallu que je fasse la collecte de tous les contenus que je ne connaissais pas. » (L’183-184). Mme A passe par des ressources collaboratives telles qu’Edubase, mais également des ressources bibliographiques et en ligne de type généraliste pour déterminer le champ terminologique et lexical de sa séance. Il est intéressant de noter ici, que Mme A se trouve quasiment dans la posture d’un enseignant débutant, se trouvant désemparée quant à la construction de cette nouvelle séance :
Je me sentais en mauvaise posture dans l’étape de la construction du cours (que ce soit pour le support élève d’abord) car je n’avais pas de modèle, pas de référence ni d’inspiration, pas de vécu, rien dans ma période de formation (pourtant si longue) qui aurait pu me permettre de savoir comment m’y prendre… (L’185-187)
Pour remédier à cette situation problématique, elle se place elle-même en situation d’apprentissage : « je me suis mise dans la peau de l’apprenant ; pour moi qui étais adulte, mais en situation d’apprentissage, comprendre la notion de fonctionnement d’internet, à quoi il fallait rajouter une dizaine de mots de vocabulaire complexe était largement suffisant. » (L’212-215). C’est par le truchement de l’Autre, l’élève, qu’elle va réussir à surmonter la difficulté représentée par la délimitation des contenus. C’est également par ce biais qu’elle va se sortir de l’angoisse des questions :
Après la création du support élève, j’ai poursuivi la préparation de mon support de cours : j’ai pris un papier et un crayon et j’ai imaginé les questions que je pouvais poser aux élèves et les réponses qu’ils pouvaient m’apporter, en ayant en tête l’organisation du support élève […] les élèves ne sont pas allés au-delà de ce que j’avais imaginé :
ce qui veut dire que je ne me suis pas sentie piégée par leurs questions. (L’190-191). Ici on voit bien que la menace est double : les savoirs partiellement maîtrisés et les questions déstabilisantes des élèves. La réussite de cette séance n’adviendrait que par l’absence de mise en tension de l’enseignant (dans sa posture intériorisée), dans un domaine dont il n’est pas totalement « maître ». Dans sa réflexion, c’est bien l’analyse de l’activité selon un registre opératoire qui prime. Il est ici question de faire le lien entre les moyens déployés et les résultats obtenus sur les élèves. La partie visible de l’activité est alors décrite en termes d’efficacité tant pour les élèves que pour le professionnel « C’est grâce à ma persévérance que je suis arrivée à construire une séance qui avait une certaine logique et dont le résultat a été bien meilleur que prévu ! » (L’188-189).
C’est dans la seconde partie de l’écrit que la prise de recul devient plus importante et permet une analyse de l’activité selon le registre théorique. Dans le schéma décrit par Mme A, l’enseignant est d’abord vu comme passeur d’un savoir, qu’il se doit de maîtriser, afin de le transmettre aux élèves. Cependant, c’est dans la spontanéité des échanges lors de la phase de questionnement en début de séance, qu’une pratique non programmée, s’est invitée dans la trame de la séance. Mme A l’explique de la manière suivante :
On n’était plus dans le schéma habituel du professeur qui sait tout et qui s’adresse au groupe classe qui ne sait rien, mais bien dans un schéma d’enseignement d’égal à égal entre apprenants et professeur, ce qui rendait la conversation intéressante, car chacun essayait de dire ce qu’il savait ou croyait savoir avec beaucoup d’humilité. Moi, je les encourageais et je ne les jugeais pas lorsqu’il y avait une erreur ou une mauvaise interprétation : j’étais dans l’arbitrage. L’248-253
Mme A convoque ensuite ses recherches et évoque une stratégie « interactive » à laquelle elle a eu recours de manière intuitive dans cette leçon et qu’elle a découvert plus en profondeur par ses lectures[12]. En sortant du micro-contexte de la séance, Mme A s’intéresse plus finement aux mécanismes d’apprentissage et sort de la vision du professor (« celui qui se déclare expert dans un art ou une science ») : « Les processus d’apprentissages sont aussi importants que les contenus qui sont appris. » L’278. Ici, la théorie aide à comprendre les pratiques et permet une meilleure intelligibilité des situations de travail. Elle permet même de sortir d’une « culture » de l’enseignement propre au praticien.
Dans cet écrit réflexif, Mme A s’initie aux conduites du praticien réflexif par la création de savoir professionnel à partir de son action et de ses propres réflexions. Le langage utilisé n’est pas un langage académique mais permet malgré tout de le rendre communicable à d’autres professionnels. Bien qu’encore très contextualisé, Mme A commence à faire émerger des conceptualisations (sans pour autant les expliciter clairement). Par le pouvoir de distanciation de l’écrit, elle crée des standards de situations rendant ainsi son expérience adaptable. Cette démarche permet l’émergence d’autres possibles, dans une démarche exploratoire de nouvelles pratiques professionnelles, puisqu’elle va jusqu’à repenser la leçon en introduisant une nouvelle stratégie pédagogique : « Je ne sais pas si cette stratégie aboutirait à un travail concluant à la fin de l’heure […] Ce qui est sûr, c’est qu’il y aurait un plus fort investissement de la part des élèves et une plus grande motivation… » L’327-331. Par cette tournure, nous voyons poindre une interrogation professionnelle et un intérêt pour d’autres possibles encore inimaginables jusqu’à présent.
3.Analyse de l’action de formation, discussions et perspectives
3.1.Les changements positifs obtenus dans l’engagement ou la capacité exploratoire
Grâce à nos différents relevés et analyses, nous avons le sentiment que le praticien opère une prise de pouvoir sur son activité (phénomène d’empowerment). Il est plus à même de comprendre ses pratiques, d’en expliquer le sens, d’essayer de les changer, d’en tester de nouvelles… Mme A propose par exemple de réaménager sa séance avec une structuration en différents groupes de travail avec une fiche de route différente pour chaque groupe et une répartition des rôles en binôme à l’intérieur de chacun des groupes. Cette nouvelle organisation de l’espace classe et des tâches à accomplir par les élèves permettraient d’augmenter la collaboration entre pairs. Elle favoriserait également l’intégration des contenus, par le recours au vocabulaire partagé et par leur mise en mot à l’oral. Mme A s’explique « il faut être capable d’« organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves, en travaillant leurs émotions, leur impulsivité dans leurs relations aux autres, en les mettant face à leurs responsabilités […] » L’394-396. Le processus exploratoire se remet ici en marche : la réponse intuitive par le recours à l’enseignement direct, n’est donc plus une évidence dans son recours systématique, mais une des réponses possibles dans un contexte donné : « [Le travail réflexif] m’a permis de ne pas perdre de vue que le groupe élève n’a ni le même rythme, ni les mêmes acquis, ni les mêmes capacités et qu’il faut toujours prendre en compte les élèves dans leur diversité » L’391-393. Certains éléments avaient été « oubliés » ou passés sous silence par les propres déterminismes du professionnel, et sont ici « révélés » (reconquête de l’historicité). Cette révélation permettra de favoriser son développement professionnel et la création de savoirs pour agir.
Le passage par la recherche et cette capacité à extraire du savoir de sa propre pratique permettrait de relancer le processus identitaire. L’accès à un nouvel état identitaire pourrait être permis par ce double mouvement d’identisation et d’identification entre le Moi et le Nous. La transition identitaire serait désormais rendue possible par la reprise de pouvoir sur ses pratiques pédagogiques dans une vision éclairée d’elle-même pour ce qu’elle a de différent et d’identique avec les autres professionnels du groupe :
Ce que je comprends, c’est que l’enseignement est une recherche perpétuelle de nouvelles méthodes d’apprentissage pour motiver les élèves et que la recherche nous fournit des pistes de réflexions pour que nous autres, enseignants, cherchions tout au long de notre carrière à nous améliorer… (L’311-315).
Ce qui est remarquable dans ce passage, c’est la réincorporation du Moi dans le groupe des « enseignants ». Le voile n’est finalement pas totalement levé quant à son appartenance au nouveau groupe des professeurs-documentalistes. Les deux identités professionnelles (ancienne et nouvelle) seraient rassemblées sous le terme d’« enseignant », qui étymologiquement désigne celui qui « indique, fait voir, fait connaître ». Ce déplacement de l’identité (basée sur la notion de discipline) vers une posture de guide (continuité identitaire), lèverait l’ambiguïté identitaire en réconciliant les différentes facettes d’une même identité dans une unicité retrouvée.
3.2.Les absences de changement ou reculs observés dans l’engagement ou la capacité exploratoire
Lors de nos investigations nous n’avons pas observé de recul dans l’engagement du professionnel ou dans sa capacité exploratoire. Nous avons eu tendance à penser, que cette capacité à s’engager professionnellement s’était accrue durant le suivi de Mme A. Cependant, nous tenons ici à modérer notre propos, au vu de la difficulté à approcher le matériau qu’est l’identité professionnelle. En effet, nous avons tenté d’être le plus objectif et scientifique dans le recueil des données et dans leur étude. Cependant, un paramètre échappe totalement à notre bon vouloir : l’Autre, le praticien. Comme nous l’avons vu, seul le praticien peut être à même de faire avancer ses pratiques, de prendre le recul critique nécessaire à son empowerment et d’avoir la conviction de réussir ou d’échouer dans la reconversion professionnelle et dans la reconstruction de son identité professionnelle. Bien qu’un faisceau d’indices soit présent, nous ne pouvons affirmer la validité totale de notre hypothèse.
Nous pourrions également convoquer ici les résistances intrinsèques à l’Autre à se montrer tel qu’il est. Nous sommes partis du principe dans notre protocole que les différents écrits et questionnaires seraient complétés et écrits avec franchise par le praticien réflexif. Mais comme nous l’avons vu précédemment, certaines normes intériorisées ou anciennes, peuvent parfois brouiller les pistes et entraîner certains blocages invisibles aux yeux du praticien lui-même. Ce phénomène de résistance permet notamment la conservation de l’identité dans son unité. En la questionnant, il prend le risque de la déstructuration des fondations identitaires professionnelles et personnelles. Dans notre cas, il s’agit de retrouver et/ou de reconstruire une identité professionnelle qui renvoie à une « souffrance passée ». Le praticien prend-il véritablement tous les risques pour remettre en question ses pratiques ? Ou ne va-t-il qu’affleurer les questionnements identitaires dans cette réflexion ? Ou, autre possibilité, ne va-t-il pas fournir au compagnon réflexif un matériau arguant pour la validation de l’hypothèse du pacte réflexif, à l’image de l’élève qui veut faire plaisir à son professeur ? Nous ne pouvons malheureusement pas à l’heure actuelle évacuer ces questionnements. Seul le professionnel, dans une temporalité en dehors de cet exercice, pourra finalement lever le voile sur nos intuitions, les valider ou les invalider.
3.3.Formateur et compagnonnage réflexif : les limites de leurs actions ?
Tel qu’évoqué précédemment, de nombreuses limites apparaissent lorsque nous questionnons plus profondément ce système de compagnonnage dans la reconstruction de l’identité professionnelle.
Dans notre étude, nous nous sommes rendus compte que certaines parties du travail entrepris par le praticien avaient plus trait à une réflexion qu’à un réflexivité véritable. Comme nous l’avions perçu dans les écrits de Vacher et de Charlier et Donnay, l’exercice de la réflexivité reviendrait à avoir une analyse sur son analyse. Dans cette tentative de mise en place de compagnonnage réflexif, nous supposons que l’exercice du compagnonnage devrait se poursuivre sur un temps plus long, qui dépasserait les limites de temporalité imposée par ce mémoire professionnel. Selon nous, il faudrait s’employer à mettre en place d’autres exercices réflexifs pour permettre d’aller plus avant, dans ces processus d’autoréfléchissement. Acquérir cette compétence réflexive ne va pas de soi et s’apprend sur un temps important, systématisant les exercices pour permettre au praticien de se prendre luimême en objet d’étude dans ses actes et dans ses systèmes de pensée. C’est dans la répétition de cette mécanique de réfléchissement que le praticien pourra véritablement atteindre la pratique réflexive et faire de lui un praticien réflexif accompli.
De plus, il conviendrait selon nous, de mettre en jeu d’autres altérités, que l’altérité seule du formateur-compagnon. Comme nous l’avons vu, le compagnon n’est pas un accoucheur d’implicite mais doit permettre la révélation des subjectivités, ce qui dans certaines circonstances peut s’avérer difficile. Certaines formations INSPE proposent un travail en réflexivité partagée. A la lumière de notre expérience, ce type de dispositif apporterait une plus-value non négligeable par la médiation du groupe et par un travail réflexif entre pairs. Les objectifs de ces temps de réflexivité partagée sont proches de ceux proposés dans le compagnonnage réflexif. Seulement, lors de ces temps de formation, ce sont les pairs qui opèrent en partie le travail de modération et de relevé des subjectivités proposées par le praticien lui-même. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est que le groupe va jouer le rôle de régulateur permettant au « praticien-analyste » de se rendre compte du biais provoqué par sa propre subjectivité, dans une pratique distanciée et sans risque, puisque opérée par des pairs. Dans un processus d’accompagnement de personnels en reconversion, il serait donc intéressant de mettre en place des temps de rencontres et d’échanges avec des personnels débutants, du premier ou du second degré, pour engager ce type de travail de réflexivité partagée, hors de l’accompagnement du formateur. Ces temps de formation pourraient permettre de revenir sur la professionnalité enseignante (le métier d’enseignant et ses gestes professionnels). Par cette réflexivité partagée, le professionnel en reconversion pourrait s’interroger sur ses pratiques pédagogiques et leur mise en acte mais surtout, sur ce qui fait sens dans le groupe professionnel des enseignants (le « nous »). Ces temps de réflexivité partagée pourraient également permettre la mise en œuvre des phénomènes d’assimilation et de distanciation, indispensables à la construction identitaire.
Dans ce même ordre d’idée, nous voyons bien que le lien avec le monde de la recherche est bien plus ténu dans la formation du professionnel en reconversion alors que le recours à cette dernière est essentiel dans un processus réflexif et dans la recréation de l’identité professionnelle. Pour ces professionnels, le passage sur les bancs des INSPE peut s’avérer plus ou moins lointain. Les professionnels en reconversion avec leurs expériences de terrain éprouvent donc plus de difficulté que les personnels débutants à replonger dans les apports théoriques qu’ils peuvent percevoir comme une perte de temps. Contrairement aux professeurs fonctionnaires stagiaires, ils exercent souvent à temps plein dans leur établissement mais vont être parcourus de la même urgence que leurs collègues débutants, à avoir des « recettes » qui fonctionnent tout de suite. Le formateur accompagne le professionnel dans ses lectures (apports théoriques et de recherche) mais une inscription plus grande des personnels en reconversion dans les parcours INSPE pourrait améliorer l’empowerment de ces professionnels dans leur seconde entrée dans le métier. Cette collaboration participerait de l’efficience du compagnonnage réflexif faisant le lien entre théorie et pratiques professionnelles.
Conclusion
La problématique de ce mémoire professionnel reposait sur le lien entre exercice de la réflexivité dans les pratiques professionnelles et la (re)construction de l’identité professionnelle questionnée dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Nous étions partis de l’intuition de l’existence d’un cercle vertueux permis par la réflexivité, entre pratiques professionnelles et identité professionnelle. Le protocole mis en place et l’analyse tirée des données récoltées nous ont permis de vérifier, du moins, en partie cette hypothèse. Dans cette démarche, il est évident que cet exercice de la réflexivité dans l’accompagnement du professeur documentaliste en reconversion nourrit ses pratiques professionnelles et lui permet de faire le point sur son historicité afin de favoriser le processus d’engagement et la création de savoirs professionnels. De ce point de vue, la réflexivité est un des biais qui permet au professionnel en reconversion de reprendre possession de son identité biographique et professionnelle. Par là même, elle lui permet de reconstruire une identité professionnelle auparavant questionnée dans un processus dynamique et exploratoire qui redonne place à l’identité personnelle au sein du groupe professionnel. Ce cheminement réflexif a également montré ses limites, notamment en termes d’accompagnement. La démarche réflexive est une démarche longue dont il est difficile de capter les effets à court terme. Selon nous, l’accompagnement d’un personnel en reconversion devrait également faire l’objet d’un accompagnement partagé qui met en exergue les liens entre la recherche et le terrain.
Dans cette dernière partie, je me propose d’en revenir au « je » pour passer en revue les réflexions qui m’ont parcourue durant ce travail de mémoire professionnel mais également les pistes à explorer dans le domaine de l’ingénierie de formation.
Cette posture méta-analytique proposée dans cette étude m’a permis de prendre de la distance sur mes pratiques professionnelles mais surtout sur mes pratiques d’accompagnement. Le formateur pourrait naturellement être tenté de décrypter les situations et pratiques professionnelles du praticien selon sa propre expérience et historicité, et par l’apport des bonnes pratiques que ce dernier devrait mettre en place. C’est pourtant dans cette lutte interne à l’accompagnateur que se trouve tout l’enjeu de ce compagnonnage réflexif. Accompagner, c’est entrer en relation avec l’Autre sans s’y dissoudre parfaitement ou le rejeter totalement. Nous serions bien tentés de penser que tout le travail réflexif revient au praticien en quête de réponses identitaires et professionnelles. Mais c’est bien également le formateur, qui dans ce jeu de dupe dévoilé, accepte de lever le voile sur ses propres subjectivités et professionnalités. Cette expérience singulière m’a amenée à la conclusion que la formation des tuteurs dans l’accompagnement des stagiaires et personnel en reconversion est une des clés d’un accompagnement réussi. Être un bon professionnel ne signifie pas de fait être un bon tuteur et un bon accompagnateur.
Cette réflexion menée durant cette année m’a également permis de mieux comprendre les enjeux d’une reconversion professionnelle et d’améliorer la prise en charge d’un professeur en reconversion lors de sa nouvelle entrée dans le métier. De façon plus globale, ce travail de mémoire m’a permis d’imaginer de nouvelles pistes de réflexions et de nouvelles méthodes d’accompagnement. Ces dernières pourraient bien entendu, être adaptées lors du suivi d’autres professionnels comme les professeurs fonctionnaires stagiaires notamment. Le professionnel débutant à l’instar du professionnel en reconversion, n’est pas vierge de valeurs, de normes qui vont se traduire irrémédiablement dans sa pratique et dans l’idée qu’il se fait du métier. Les entretiens et exercices réflexifs pourraient donc être déclinés pour permettre cette prise de distance critique sur l’image professionnelle projetée et sur les pratiques professionnelles des stagiaires, dans une période de transition identitaire dite à risque.
Pour conclure, ce mémoire s’est révélé très enrichissant dans mon cheminement professionnel. Par réfléchissement, en valorisant le développement des compétences professionnelles tout au long de la vie, j’ai moi aussi pris de la distance quant à mon parcours professionnel et à ma posture de formatrice. Par la création de nouvelles modalités de suivi, j’ai été amenée à modifier mes pratiques et méthodes d’accompagnement pour concevoir et élaborer une action d’accompagnement spécifique. Je suis fière d’avoir réussi à mettre en place un climat de confiance indispensable à ce travail de mémoire professionnel qui touche à la fois à l’identité professionnelle et biographique d’un personnel en reconversion. Ce travail réflexif devenu autoréflexif par emboîtement, n’a fait qu’accentuer mon engagement dans le domaine de l’enseignement et dans l’accompagnement des futurs enseignants, lors de leur entrée dans ce métier qui ne demande qu’à être réinventé.
Bibliographie
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Vacher, Y. (2011). La pratique réflexive, Recherche et formation, n°66, 65-78.
Annexe 1 :
Annexe 2 :
Questionnaire identité professionnelle
I-Motivations personnelles et professionnelles :
-Pourquoi avoir choisi une formation initiale en éducation ?
-Qu'est-ce qui a motivé votre décision d'entrer dans le métier de professeur-documentaliste ?
-Que signifie pour vous être professeur-documentaliste ?
-Que pensez-vous de la profession de professeur-documentaliste ?
II-Rôle et image du professeur-documentaliste :
-Pour vous, quelles sont les différences entre le rôle d'un professeur-documentaliste aujourd'hui et le rôle de bibliothécaire-documentaliste dans le passé ?
-Selon vous, l'image du professeur-documentaliste a-t-elle évolué de manière positive ou négative, ces dernières décennies ?
-Selon vous, quelles sont les raisons qui expliqueraient l'évolution de l'image (positive ou négative) du professeur-documentaliste ?
-Selon vous, quelle est la place des professeurs-documentalistes en France, aujourd’hui ?
-Que pensez-vous du rôle des professeurs-documentalistes dans la société et l’école aujourd’hui ?
III-Formation des professeurs-documentalistes
-D’après vous, qu’est-ce qu’un professeur-documentaliste « débutant » doit apprendre afin d’être un professionnel efficace ?
-Que doit apprendre un professeur-documentaliste « débutant » pour être compétent ?
-Quels sont, selon vous, les objectifs de votre année de formation/reconversion ?
-Quelles doivent être vos compétences suite à votre année de formation en tant que professeur documentaliste en reconversion ?
IV-Place de l’élève
-Qu’évoque pour vous l’expression d’«élève compétent» ?
-Selon vous, que doit apprendre un élève aujourd’hui lors de sa scolarité obligatoire ?
-Quelles sont les compétences prioritaires qui doivent être développées chez les élèves ?
-Que signifie pour vous une éducation de qualité ?
-Pour vous, quelle place a l’élève dans le système éducatif actuel ?
Questionnaire entretien directif : identité professionnelle et réflexivité
Phrase d’introduction :
Bonjour, je me présente. Je m’appelle Céline Lesigne et dans le cadre des épreuves d’admission au CAFFA, je m’intéresse actuellement à la (re)construction de l’identité professionnelle chez le professeur-documentaliste en parcours de reconversion. Je cherche à mieux comprendre ce qui se joue dans la construction de l’identité professionnelle et si la pratique réflexive peut permettre de vider les tensions qui se jouent entre identité et pratique professionnelles. Merci d’avoir accepté de participer, nous allons maintenant commencer :
Phrase de conclusion :
Je vais maintenant vous proposer une synthèse de notre entretien. N’hésitez pas à m’interrompre si vous voulez modifier, ajouter ou préciser certaines choses.
Annexe 4 :
Exercice réflexif 1 :
Travail sur l’identité professionnelle conscientisée et non conscientisée. Quel professionnel en acte, suis-je ?
Annexe 5 :
Exercice réflexif n° 2 : L’écrit réflexif
I.Les objectifs de l’écrit réflexif :
- Compétences d’analyse : interroger une séquence ou un projet pédagogique pour en extraire les éléments déterminants et le contexte d’exercice de ce dernier, pour que l’apprentissage puisse avoir lieu.
- Compétences de recherche de ressources : chercher et sélectionner des ressources documentaires permettant d’éclairer les points interrogés (scientifiques, didactiques, pédagogiques). Être capable de s’appuyer sur la littérature de métier et sur la recherche pour soutenir sa pratique.
- Compétences critiques (constructives) : faire des propositions d’amélioration de la séquence ou du projet à partir des étapes précédentes pour améliorer ses pratiques.
- Compétences réflexives : être en mesure de porter un regard critique sur les compétences professionnelles développées afin de s’engager professionnellement.
II.Les étapes de l’écrit réflexif :
1. Présentation de la situation professionnelle vécue (séquence ou projet).
Description de la situation choisie :
- Profil d’établissement : type d’établissement, de public, CSP, culture de l’établissement…
- Profil du groupe : type de section, nombre d’élèves, élèves à besoins particulier, profil des élèves du groupe (discipline, travail, absentéisme), répartition filles/garçon…
- Cadre du projet ou séquence : cadre institutionnalisé, co-intervention, co-animation, heure dans la journée à laquelle la séquence est placée avec ce groupe ou autre élément significatif. - Placement des élèves : îlots, autobus, en U… - Contraintes matérielles.
- Objectifs de la séquence ou projet : généraux et disciplinaires.
- Compétences visées (socle commun).
Présentation des différents éléments de contexte qui permettraient une meilleure compréhension des situations d’apprentissage.
Préparation de la séquence en amont :
- Comment la séquence a été préparée en amont ? Seul ou avec un collègue, en se référant à des textes, des programmes, des ressources…
- Comment les phases d’activités ont été déterminées ? Quels sont les objectifs recherchés par cette séquence ? Quels sont niveaux d’objectifs à atteindre par les élèves ? Comment l’évaluation de cette séquence ou projet a été imaginée ? Quelle est-elle ? Vers quoi la séquence doit-elle conduire les élèves ? Vers quels apprentissages et par quel mode ?
- Comment les supports ont-ils été conçus (support professeur / support élève) ? Support de cours ? Exercices ? Trace écrite fabriquée par les élèves ? Étapes de l’activité ? Quel est l’objectif recherché au travers du support élève ?
Retour critique sur la séquence ou projet et justification du placement de la focale sur une séance en particulier :
- Isoler les éléments de réussite ou de difficulté lors de la séquence ou du projet et choisir une séance en particulier qui a soulevé une question professionnelle.
- Isoler un élément en particulier pour y porter une attention particulière. Problématiser la situation à partir d’une stratégie pédagogique à l’essai, d’une trace concrète d’élève, d’une situation problème ou significative. Cette problématisation ou questionnement pédagogique fera l’objet d’une recherche documentaire par la suite.
2. L’analyse réflexive de la séance ou de l’étape choisie :
L’activité des élèves :
- Description des différentes activités des élèves lors de la séance (dans l’ordre de la séance) et analyse des difficultés rencontrées par les élèves à partir d’éléments objectifs : productions, exercices, performances, échanges, postures observées…
Il faut bien distinguer ce qui relève de l’analyse à partir de traces concrètes et ce qui relève de l’interprétation de l’enseignant qui restent néanmoins de pistes de réflexion.
Les stratégies de l’enseignant :
L’enseignant développe des stratégies dans sa pratique professionnelle : elles peuvent être anticipées avant la séquence, mises en place durant celles-ci ou revue en situation par réaction au groupe élèves.
- Quelles sont la / les stratégie(s) mise(s) en place par l’enseignant dans la séance ?
Analyser la pratique en portant un regard distancié sur soi-même pour mettre au jour la stratégie utilisée.
- Cette stratégie peut-elle être rapprochée d’une pratique pédagogique déterminée ? Quelle approche des savoirs est mise en jeu ? Quels mécanismes de l’apprentissage ?
Mobiliser ici les connaissances apportées par une recherche documentaire sur la question. Effectuer une courte présentation avec référence bibliographique de la stratégie pédagogique en lien avec la difficulté ou l’élément spécifique problématisé et déterminé précédemment. En quoi la recherche scientifique, didactique, pédagogique peut-elle aider l’enseignant à mettre en place des stratégies différentes pour tenter de résoudre le problème soulevé par l’analyse d’une situation ?
La projection : si c’était à refaire, comment le referais-je ?
- Quelles sont les modifications qui seraient apportées à la séquence (avec justifications à la lumière du travail de recherche).
- Pour ces modifications pourraient améliorer positivement les apprentissages ? Les pratiques professionnelles de l’enseignant ?
Prise de position, engagement de l’enseignant et innovation dans sa pratique.
3. Bilan et perspectives
Perspectives :
- Quelles sont les ressources (TICE, partenaires de la communauté éducative, partenaires extérieurs…) qui pourraient intervenir dans la séquence ?
- Comment la séance ou le projet pourrait être prolongé ?
Les compétences développées par l’enseignant :
- Quelles sont les compétences professionnelles qui ont été travaillées voire développées par l’enseignant lors de ce travail réflexif ? Voir les compétences communes à tous les professeurs ou spécifiques au professeurs documentalistes (référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation :
https://cache.media.education.gouv.fr/file/13/04/3/encart6379_fiche14_404043.pdf )
- Justification du développement de la/les compétence(s) professionnelle(s) et prolongement avec une identification des besoins en formation.
Annexe 6 :
Les documents produits par Mme A et verbatim d’entretien
Pour permettre l’accès aux documents produits par Mme A et ce, sans surcharger les annexes de ce mémoire, ces derniers ont été compilés l’adresse suivante :
https://padlet.com/cdi_albert_camus/a3de60y4o1nfqczz
Pour permettre une lecture en toute confidentialité, les documents ont été anonymisés et protégés par un mot de passe. Le mot de passe « caffa » devra être saisi pour accéder aux documents.
[1] Esteve José M., Fracchia Alice F.B. (1988). Le malaise des enseignants, Revue française de pédagogie, volume 84, 45-56.
[2] Bras-de-Fer, J. Centre national de ressources textuelles [en ligne]. Disponible sur :
https://www.cnrtl.fr/definition/identit%C3%A9 (consulté le 04/11/2019)
[3] Centre national de ressources textuelles et lexicales [en ligne]. Disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/identit%C3%A9
[4] Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. Le Bulletin officiel n°30 du 25 juillet 2013 [en ligne]. Disponible sur :
https://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-au-bo-du-25-juillet-2013.html (consulté le 10/11/2019)
[5] Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. Le Bulletin officiel n°30 du 25 juillet 2013 [en ligne]. Disponible sur :
https://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-au-bo-du-25-juillet-2013.html (consulté le 10/11/2019)
[6] Recommandation 2006/962/CE du parlement européen
[7] Saint-Arnaud, Y. (1999). Le changement assisté : compétences pour intervenir en relations humaines, Montréal : G. Morin.
[8] Colloque international, Pratiques et métiers en éducation et formation : formalisation de l’expérience et apports de la
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[9] Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. Le Bulletin officiel n°30 du 25 juillet 2013 [en ligne]. Disponible sur :
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[10] A partir des travaux de Bardin, L. (1997). L’analyse de contenu. Paris : PUF.
[11] Hedjerassi, N. et Bazin, J.M., (2013). Professeur-e-s documentalistes : une identité professionnelle toujours problématique ?, Recherche et formation, 74. Consulté le 02 mai 2019 à l’adresse : http://journals.openedition.org/rechercheformation/2135
[12] A la découverte, information pour le personnel enseignant débutant [en ligne]. https://aladecouverte.aefo.on.ca/gestion-declasse/pour-un-enseignement-efficace/les-strategies-d-enseignement (consulté le 17/02/20)
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