
La nature de la science : un enjeu d'enseignement et de formation.
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2018-2020
Mémoire professionnel
Discipline : Sciences de la Vie et de la terre
Titre : La nature de la science : un enjeu d'enseignement et de formation.
Auteur : PAGNIER Grégoire
Sommaire
1. Vivre la science pour l'enseigner : quels enjeux de formation ?
1.1. Une définition de la science
1.3. La Nature de la Science dans les programmes de science français
1.4. L'image de la science chez les enseignants et les élèves
1.5. D'un double constat à une problématique
2.1. Développer la perception de la Nature de la Science chez les enseignants
2.2. Développer la perception de la Nature de la Science chez les élèves
2.2.1. L'histoire des sciences pour enseigner la science qui se fait
2.2.2. Des démarches d'investigation scientifique pour enseigner la science qui se fait
2.3. Des hypothèses pour concevoir notre formation
2.3.1. Conception d'une investigation pour vivre la science qui se fait
2.3.2. Un bilan scientifique et épistémologique de l'investigation
2.3.3. Élaboration de l'atelier de conception de situations d'enseignement-apprentissage
3. Analyse de l'action de formation
3.1. Méthodologie et indicateurs
3.2. L'indicateur "appropriation du levier histoire des sciences"
3.2.1. Construction des données
3.3. L'indicateur "appropriation du levier démarche d'investigation authentique"
3.3.1. Construction des données
3.4. L'indicateur "mise en place d'un enseignement explicite de connaissances sur la science"
3.4.1. Construction des données
3.5. Bilan de la formation : vers un changement de pratique professionnelle ? Oui mais...
3.6. Critiques a posteriori de notre formation
En conclusion : quelles perspectives après cette expérience du mémoire professionnel ?
En 2018, les IA-IPR de SVT me sollicitent pour mener deux actions dans le cadre du projet de Maison Pour La Science (MPLS) en Champagne Ardenne :
- le rôle de professeur référent pour la mise en place et la labellisation d'un premier collège pilote La Main à la Pâte dans l'Académie de Reims (le Collège George Sand a depuis été labélisé en mai 2019) ;
- la conception puis l'animation d'une formation d'apport ou d'actualisation de connaissances 1/ en lien avec le thème scientifique du projet du collège pilote, 2/ impliquant un scientifique universitaire et 3/ dans l'esprit des offres de formation des MPLS pour les enseignants du second degrés.
Ce projet de MPLS a débuté à la suite d'une rencontre que j'avais initiée entre mes IA-IPR, un géologue de l'Université de Lille, à l'époque directeur de la MPLS du Nord, et le directeur de la MPLS de Lorraine. Il était alors question de mener une action de formation commune dans les Ardennes pour poser les premiers jalons d'un projet de MPLS dans l'Académie de Reims.
Les MPLS constituent un réseau dont l'objectif est de proposer aux enseignants une offre d'actions de développement professionnel ancrées dans la science vivante, la "science qui se fait". Ces actions mettent l'accent sur (MEN, Programmes de Physique Chimie pour la classe de seconde, 2010) :
- une vision cohérente des sciences expérimentales et d’observation ainsi que des mathématiques, tout en développant l’interdisciplinarité et la maîtrise de la langue ;
- la pratique d’une pédagogie d’investigation ;
- une cohérence et une continuité de contenus et de pédagogie depuis la maternelle jusqu’à la fin du collège ;
- un rapprochement entre les communautés éducatives, scientifiques et industrielles.
Ces actions sont proposées à travers trois axes structurant :
- Axe 1 : Vivre la science pour l'enseigner ;
- Axe 2 : S'ouvrir sur d'autres disciplines ;
- Axe 3 : Concevoir, construire, expérimenter, exploiter.
En acceptant, il me fallait donc réfléchir à la conception d'une action de formation s'inscrivant dans un de ces trois axes et respectant le plus possible les préceptes évoqués ci-dessus. La présence d'un géologue universitaire durant l'action de formation m'a rapidement amené vers l'axe 1 "Vivre la science pour l'enseigner".
Cette étiquette de formation implique plusieurs objectifs à atteindre en fin d'action pour les participants :
- découvrir ou redécouvrir des connaissances issus de la recherche scientifique ;
- comprendre la démarche du scientifique ;
- transposer ces connaissances en classe à travers des situations d'enseignement-apprentissage en lien avec les programmes ;
- donner une image réaliste en classe de la science et de l'élaboration des connaissances scientifiques.
Il s'agit donc d'y aborder des connaissances en science (des connaissances issues de la recherche) mais aussi des connaissances sur la science (le mode d'élaboration des connaissances scientifiques, les démarches des scientifiques). En questionnant mon expérience d'intervenant dans les formations académiques d'actualisation de connaissances en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), je fais le constat que les connaissances en science sont au centre des actions de formation que j'ai pu élaborer ou auxquelles j'ai pu participer, mais que les connaissances sur la science n'y sont pas ou peu explicitement abordées.
Concevoir et mener une formation étiquetée "Vivre la science pour l'enseigner" est donc l'occasion de mener une réflexion sur la place qui pourrait être accordée aux connaissances sur la science lors d'une formation de ce type. Ce mémoire est le transcrit de cette réflexion.
Dans une première partie, nous porterons un regard sur ce qu'est la science, comment elle est caractérisée dans les programmes de science, puis sur la perception qu'en ont les enseignants. Ce regard nous permettra de définir une problématique sur la conception de notre formation. La seconde partie précisera les cadres théoriques retenus pour formuler nos hypothèses puis la conception de formation mise en œuvre pour les tester. Une troisième partie montrera la méthodologie appliquée pour analyser cette formation et les interprétations que nous en faisons. En conclusion, nous discuterons des perspectives amenées par cette expérience pour cette action de formation, notre posture de formateur et nos pratiques d'enseignement.
1. Vivre la science pour l'enseigner : quels enjeux de formation ?
Dans l'expression "vivre la science pour l'enseigner", deux éléments sont mis en relation : d'un côté la science et de l'autre son enseignement. Cette science qui s'enseigne est-elle la même que celle qui se vit, qui se fait, qui se pratique dans le monde scientifique ? Cette question est centrale pour définir les enjeux de ce type de formation. Y répondre nécessite de pouvoir définir ce qu'est la science et de la caractériser dans la sphère de l'enseignement.
1.1. Une définition de la science
Lecointre (2018) relève six attendus qui constituent le socle cognitif de toutes activités scientifiques :
- le scepticisme initial : les questions sont posées honnêtement, sans chercher à découvrir ce qui est déjà écrit, sans quoi il s'agirait d'une « parodie de science » (p 24). Ainsi la science ne peut se voire dicter ce qu'elle doit trouver par une force extérieure, que cette dernière soit mercantile, idéologiques ou religieuse.
- le réalisme : le monde matériel qui nous entoure (l'observé) existe indépendamment des idées ou des concepts que le scientifique (l'observateur) utilise pour l'interpréter[1]. Cela implique que le monde physique se manifeste à tous de la même façon, ainsi une même expérience ou observation réalisée dans les mêmes conditions par deux personnes différentes doit aboutir aux mêmes résultats. La reproductibilité des expériences ou des observations scientifiques est donc indispensable pour valider une théorie scientifique.
- la rationalité : aucune construction scientifique ne peut contenir de faute de logique, et une théorie scientifique doit limiter le nombre d'hypothèses qu'elle convoque, c'est le principe de parcimonie[2]. o le matérialisme méthodologique : la science ne travaille que sur des objets matériels, accessibles à l'observation ou à l'expérimentation. Est matériel ce qui est doté d'énergie et donc changeant lorsqu'on agit dessus (atomes, molécules, relations sociales, états mentaux...). Par conséquent, la science ne peut travailler sur des entités définies a priori comme immatérielles (élans vitaux, esprits, fantômes...).
- la transparence des procédures : les écrits scientifiques doivent être clairs et explicites pour que leurs contenus puissent être soumis à la critique et soient reproductibles pour gagner en robustesse. La science est donc une entreprise collective.
- la prise en compte de toutes les données disponibles pertinentes au regard de la question posée : l'activité scientifique doit tenir compte de l'ensemble des données relatives au sujet, «c'est à dire qu'on ne se permet pas de prendre en compte que les faits qui vont dans le sens qui nous intéresse» (p 41).
Si une forme de pensée ne respecte pas au moins un de ces attendus, elle ne peut être considérée comme science. Voyons maintenant comment la science est caractérisée dans l'enseignement.
1.2. Un cadre théorique pour caractériser la science dans un contexte d'enseignement : la Nature de la Science
L'acronyme NoS (Nature of Science), fait référence à un domaine de recherche centré sur la dimension épistémologique de l’apprentissage-enseignement des sciences, c'est à dire les objets d'enseignement se rapportant aux savoirs SUR la science (nature des savoirs, élaboration, validité, évolution), qu'il cherche à distinguer des savoirs EN science (savoirs, savoir-faire) (Maurines & Beaufils, 2011). Précisons dès lors que dans notre travail "connaissances sur la science" ou "connaissances épistémologiques" auront la même signification. La nature de la science est donc un cadre théorique pertinent pour notre réflexion sur la place des connaissances sur la science dans notre formation.
Au sein de ce domaine de recherche, il y a consensus sur l'idée d'enseigner les caractéristiques les moins controversées de la science, pour que les élèves puissent développer une compréhension générale de ce qu'est la science, dans le cadre d'une acculturation scientifique nécessaire à l'émancipation de chaque citoyen dans un monde où les sciences et les techniques ont une place prépondérante. Néanmoins il y a encore débat sur l'explicitation de ce qu'est la Nature de la Science pour l'enseigner, notamment sur les dimensions qui permettent de la caractériser. Certains auteurs centrent ces dimensions sur les savoirs scientifiques, d'autres sur les disciplines, d'autres tiennent compte de dimensions sociales, culturelles et sociétales (Maurines, Gallezot, Ramage, & Beaufils, 2013).
L'explicitation retenue ici est celle de ces auteurs (Maurines & al. 2013) qui prend en compte neuf dimensions pour expliciter la Nature de la Science dans une perspective d'enseignement. Certaines de ces dimensions caractérisent la science en tant que pratique sociale de référence, d'autres le contexte socioculturel et l'histoire dans laquelle elle s'inscrit, et enfin d'autres pour caractériser les individus concernés (les scientifiques). Le tableau 1 présente ces neuf dimensions et les principaux objectifs d'apprentissages épistémologiques correspondants, soit proposés par Maurines et Beaufils (2011), soit issus des dimensions de la Nature de la Science proposés par Abd-El-Khalick (2012).
Tableau 1 : dimension de la Nature de la Science et objectifs d'apprentissages épistémologiques associés
Comment ces différentes dimensions sont-elles prises en compte dans les programmes scientifiques ?
1.3. La Nature de la Science dans les programmes de science français
D'une façon générale, comme le souligne Maurines et al. (2013) au sujet des précédents programmes de Science de la Vie et de la Terre et de Physique-Chimie de lycée (MEN, 2010a et 2010b) : « les programmes n'amènent plus seulement uniquement de former des scientifiques mais aussi de permettre une acculturation scientifique de citoyens vivant dans un monde où les sciences et les technologies ont une place prépondérante ».
Cette acculturation scientifique passe par l'acquisition de connaissance en science mais également de connaissances sur la Nature de la Science.
Dans une étude sur le discours sur la Nature de la Science dans ces anciens programmes scientifiques de Physique-Chimie et des Sciences de la Vie et de la Terre du lycée, Maurines, FuchsGallezot et Ramage (2017) montrent cependant que ce discours est explicite dans leurs préambules mais ne l'est plus dans les tableaux des contenus à enseigner et que cela induit un risque d'absence de prise en charge par les enseignants dans leurs cours.
Qu'en est-il dans les programmes actuels ?
Ces mêmes observations semblent pouvoir être étendues aux nouveaux programmes de Sciences de la Vie et de la Terre de seconde générale et technologique, de première générale et de terminale générale (MEN, 2019a ; MEN, 2019b) où aucune référence à la Nature de la Science n'est explicitée dans les connaissances, objectifs, ou précisions des thématiques étudiées. Dans les capacités associées à chaque thème, il est parfois fait référence à l'histoire des sciences à travers la présentation de démarches historiques ou l'exploitation des informations issues d'une expériences historiques. Seule la compétence « Pratiquer des démarches scientifiques » pour laquelle quelques exemples de capacités associées sont indiquées fait référence explicitement à la Nature de la Science.
Dans les nouveaux programmes d'Enseignement Scientifique de Première et de Terminale (MEN, 2019a ; MEN, 2019b), les trois objectifs généraux de formation « Comprendre la nature du savoir scientifique et ses méthodes d’élaboration », « Identifier et mettre en œuvre des pratiques scientifiques » et « Identifier et comprendre les effets de la science sur les sociétés et sur l’environnement » correspondent à un discours explicite sur la Nature de la Science. De plus il y est clairement indiqué que ces objectifs « constituent une dimension essentielle de l’enseignement scientifique et ne doivent pas être négligés au profit du seul descriptif thématique ». Une rubrique « Histoire, enjeux, débats » y indique des liens entre les thèmes abordés et leur histoire, ou des questions socialement vives.
Au cycle 4, la compétence « Pratiquer des démarches scientifiques » et les capacités associées font parties du socle commun de compétences, de même que les capacités « Distinguer ce qui relève d’une croyance ou d’une opinion et ce qui constitue un savoir scientifique » et « Identifier par l’histoire des sciences et des techniques comment se construit un savoir scientifique » (MEN, 2018). Dans les colonnes « Exemples de situations, d'activités, de ressources pour l'élève », il est précisé plusieurs fois que les thèmes peuvent se prêter «...à l'histoire des sciences, lorsque l'élève situe dans son contexte historique et technique... ».
Au cycle 3, la compétence « Pratiquer des démarches scientifiques et technologique » est indiquée en lien avec le domaine 4 du socle. L'introduction des programmes de Science et technologie fait également référence à des notions sur la Nature de la Science (MEN, 2018) :
« ... la mise en œuvre de démarches scientifiques et technologiques variées et la découverte de l’histoire des sciences et des technologies, introduit la distinction entre ce qui relève de la science et de la technologie, et ce qui relève d’une opinion ou d’une croyance. »
Ainsi certains aspects de la Nature de la Science sont mentionnés en objectifs de formation dans les introductions ou préambules et à travers les compétences visées par les programmes : démarche scientifique, caractéristiques de l'élaboration d'un savoir scientifique, distinction entre idées, croyances et faits scientifiques. Par contre, ils le sont rarement dans les tableaux de contenus à enseigner. Seuls quelques exemples de situations en lien avec l'histoire de certains savoirs y sont indiqués. Dans tous les cas, les connaissances sur la science ne font l'objet d'aucune indication de mise en œuvre, comme le montre déjà Pélissier et Venturini (2016) pour les anciens programmes de Physique-Chimie du lycée.
Seuls les nouveaux programmes d'enseignement scientifique du lycée en explicitent davantage certains aspects en faisant des connaissances sur la science des objectifs de formation aussi importants que les connaissances en science qui y sont abordées.
Qu'en est-il dans les pratiques des enseignants ?
1.4. L'image de la science chez les enseignants et les élèves
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur cette conception de la Nature de la Science par les enseignants et ont questionné son incidence sur les situations d'enseignement-apprentissage. Maurines et Beaufils (2011), Maurines, Gallezot, Ramage et Beaufils (2013) et Maurines, Fuchs-Gallezot, et Ramage (2018) relèvent que globalement les enseignants de science, les étudiants en science et les élèves ont une vision erronée de la science et de l'activité scientifique, correspondant à une démarche scientifique unique, principalement empirico-inductiviste. Cariou (2011) précise :
« Empiriste parce que la découverte partirait de faits perceptibles indépendamment d’idées préconçues et de théories ; inductiviste car de tels faits constitueraient un gisement duquel extraire les concepts. » (p 85)
Maurines et al. (2013) précisent au sujet des enseignants de science qu'ils :
- « [ont des conceptions sur la nature des sciences] le plus souvent non conformes aux conceptions contemporaines de l’entreprise scientifique et très souvent incohérentes. [...]
- n'ont pas conscience que l'enseignement des sciences présente une composante épistémologique et qu'ils transmettent inconsciemment une certaine image des sciences aux apprenants par leurs pratiques [...] ;
- privilégient les objectifs d'apprentissage liés aux savoirs et savoir-faire scientifiques en ne proposant pas aux élèves une réflexion explicite sur le processus de construction des connaissances, [...] ». (p 20-21)
Ces observations montrent globalement une méconnaissance de la Nature de la Science de la part des enseignants qui l'enseignent, et que cela a une conséquence sur la façon de l'enseigner et sur la construction que les élèves s'en font.
1.5. D'un double constat à une problématique
Si les programmes font de la Nature de la Science un objectif de formation pour les élèves, cela n'est pas toujours explicité vers les enseignants, qui parfois ont une conception erronée de ce qu'est la science. Cela peut conduire à la transmission d'une image de la science qui ne correspond pas à la science qui se fait. Pour concevoir une action de formation "Vivre la science pour l'enseigner", il faut donc mener une réflexion qui prenne en compte ces constats. Ainsi, en plus de l'apport ou de l'actualisation de connaissances en science, la formation doit pour les enseignants :
- montrer ou rappeler ce qu'est la science qui se fait pour développer leur perception de la Nature de la Science ;
- développer leurs compétences professionnelles pour favoriser le transfert de ces connaissances sur la science dans leurs classes.
Ainsi ce mémoire tentera d'apporter des éléments de réponse à la problématique suivante :
Quelle conception de formation mettre en place pour développer un enseignement de connaissances sur la science par les enseignants dans leur classe ?
2. Quels apports théoriques pour concevoir une action de formation "Vivre la science pour l'enseigner" ?
L'étiquette d'une formation "Vivre la science pour l'enseigner" nous invite à distinguer deux temps du point de vue de l'enseignant :
- d'abord vivre la science qui se fait ;
- puis concevoir des situations d'enseignement-apprentissage sur la science pour l'enseigner.
2.1. Développer la perception de la Nature de la Science chez les enseignants
Dans le cadre de notre problématique l'enseignant formé doit dans un premier temps "vivre la science qui se fait". Nous proposons que ce premier temps permette de développer sa perception de la Nature de la Science. Il s'agit donc ici de définir des modalités favorisant cette appropriation.
Comment faire vivre la science qui se fait ?
Pour vivre la science qui se fait, l'enseignant doit être mis au contact du monde scientifique, à travers ses individus (les scientifiques) ou ses lieux (laboratoires, lieux extérieurs de recherche).
Plusieurs dispositifs peuvent mettre en relation un scientifique et des enseignants à former : conférence, débat, table ronde, visite de laboratoires entre autres. Si certaines de ses formes permettent la transmission de connaissances en science vers les enseignants, il faut, dans le cadre de notre travail, favoriser également l'appropriation de connaissances sur la science, en particulier sur les pratiques scientifiques. Pélissier et Venturini (2012) proposent pour la formation des enseignants sur la Nature de la Science et l'investigation scientifique :
"... une première possibilité est de placer les enseignants en position de mener une recherche et de l'analyser. Nous ne pensons pas en effet que la visite ponctuelle de laboratoires comme cela se pratique parfois, soit réellement suffisante pour construire des savoirs épistémologiques. Par contre, la pratique d'une démarche d'investigation par les enseignants à leur niveau et dans un domaine disciplinaire qui leur est étranger (pour que la démarche soit authentique) peut donner lieu à une première sensibilisation aux questions épistémologiques, surtout si on l'associe à une prise de recul sur l'activité." (p 145)
c'est nous qui soulignons
La démarche d'investigation a été définie lors de son introduction dans les curricula relatifs aux sciences dans divers pays en réponse au constat d'une certaine désaffection pour les études scientifiques. Son objectif est de rendre plus attractif l'enseignement des sciences en développant la conduite d'investigation par les élèves (Venturini, 2012). Elles sont définies par Linn, Davis et Bell (2004, cité et traduit par Coquidé, Fortin et Rumelhard, 2009, p 52) comme :
« un processus intentionnel de diagnostic des problèmes, de critiques des expériences réalisées, de distinction entre les alternatives possibles, de planification des recherches, de recherches d’hypothèses, de recherches d’informations, de constructions de modèles, de débat avec ses pairs et de formulation d’arguments cohérents ».
Nous retiendrons donc ici que mettre les enseignants en posture d'investigation scientifique est un moyen de développer leur perception de la Nature de la Science.
2.2. Développer la perception de la Nature de la Science chez les élèves
Les recherches portant sur l'enseignement de connaissances sur la science proposent deux principaux leviers pour favoriser la compréhension de la Nature de la Science chez les élèves, à condition qu'ils s'intègrent dans une approche explicite d'apprentissages épistémologiques (Maurines et al, 2013):
- introduire des éléments d'histoire des sciences ;
- mettre les apprenants dans une réelle posture de chercheur (démarche d'investigation scientifique).
2.2.1. L'histoire des sciences pour enseigner la science qui se fait
L'histoire des sciences est depuis longtemps présente dans les manuels scolaires. Guedj, Laubé, et Savaton (2007) ont repéré trois catégories d'usage d'histoire des sciences dans les ressources à disposition des enseignants de science (manuels, documents d'accompagnement de programme) :
- le type « médaillon » correspond soit à la présentation d'un scientifique soit à un extrait de frise chronologique situant des évènements, sans contexte historique scientifique global, qui offre une vision "caricaturale et anecdotique, voire erronée" de la science ;
- le type « petit texte tronqué » correspond à un texte extrait d'une source primaire présentant une controverse ou un évènement scientifique, mais déraciné de leur contexte (place dans la démarche suivie, but...) ce qui limite leur intérêt didactique ;
- le type « approche constructive » est beaucoup moins fréquente et propose aux élèves d'entrer dans la peau d'un scientifique" d'une autre époque pour analyser sa démarche dans son contexte historique et à la lumière des faits d'observations de l'époque.
Ces auteurs soulignent ainsi que l'histoire des sciences telle qu'elle est souvent présentée ne correspond pas à l’histoire réelle. Cariou (2011, p 95) va également dans ce sens :
« ... plus souvent qu’à la déformation des concepts, nous assistons, dans les manuels scolaires, à celle… de l’histoire elle-même, par une extraction d’épisodes déracinés de leur contexte qui interdit de saisir la démarche suivie, les pistes infructueuses et les obstacles surmontés, quand elle n’est pas réarrangée au profit d’une présentation empiriste. »
Il encourage alors à « analyser les démarches tortueuses plutôt qu’exalter les découvertes » (p95) pour que l'histoire des sciences soit réellement un levier pour appréhender la construction des connaissances scientifiques et donc enseigner des connaissances sur la science.
La littérature didactique consultée nous permet de relever quatre types d'introduction de l'histoire des sciences dans une situation d'enseignement-apprentissage pour travailler l'image de la science (De Hosson & Caillarec, 2010 ; Maurines & Beaufils, 2010, 2011 ; Slaïma & Maurines, 2017 ; De Hosson & Caillarec, 2010) Ils sont schématisés en annexe 1.
Les trois premiers axes d'introduction d'histoire des sciences proposés (que nous nommons HdS 1,
HdS 2 et HdS 3) permettent respectivement de montrer la diversité dans certaines dimensions de la nature de la science (démarches, enjeux...), des interactions entre scientifiques (controverses, coopération...), des évolutions au cours du temps (de concept, liées aux techniques...). Ils reposent sur un même canevas où des textes historiques sont le support d'une investigation documentaire :
- un questionnement à caractère historique au sujet d'une connaissance scientifique déjà énoncée pour les élèves , du type "comment en est-on arrivé là ... ?" ;
- le relevé des hypothèses des élèves, aidés ou non par un questionnaire "épistémologique" pour faire émerger des hypothèses relatives à l'image de la science (existe-t-il une méthode scientifique type ou non ?, faut-il obligatoirement une expérience ?...) ;
- une investigation reposant sur plusieurs textes historiques répartis dans la classe et accompagnés d'une fiche de lecture pour y relever les informations importantes en lien avec l'objectif épistémologique à atteindre ;
- une étape de mutualisation permet la construction soit d'un tableau comparatif pour mettre en évidence des diversités, soit d'un diagramme pour montrer des interactions ou des évolutions ;
- une confrontation aux hypothèses pour les valider ou les invalider ;
- l'explicitation des objectifs d'apprentissages épistémologiques visés.
Les deux derniers axes articulent l'histoire des sciences et des manipulations ou des observations pour montrer les relations entre les théories scientifiques et les faits d'observation ou d'expérimentation. Dans le premier cas (HdS 4) les textes historiques servent de support à la formulation d'un questionnement scientifique ou à la formulation d'hypothèses :
[1] la formulation d'un questionnement et la formulation d'hypothèses par les élèves. C'est lors de ces deux premières étapes que l'histoire des sciences est introduite par la présentation de théories historiques concurrentes : soit pour faire émerger le problème scientifique lors de la première étape, soit pour amener les élèves à formuler des avis divergents en complément de leurs hypothèses. [2] la conception d'une stratégie d'investigation expérimentale ou d'observation ;
- la mise en œuvre de la stratégie ;
- la confrontation entre les résultats obtenus (les faits) et les hypothèses formulées pour les valider ou les invalider ;
- la formulation des connaissances scientifiques en jeu ;
- l'explicitation des objectifs d'apprentissages épistémologiques visés.
Dans le dernier axe (HdS 5), issu de notre propre réflexion, le texte historique présente un concept que l'élève s'approprie à travers des manipulations simples (conceptualisation par l'élève), puis il y a confrontation avec des faits d'observation ou d'expérimentation :
- l'introduction du texte historique présentant le concept étudié ;
- l'appropriation par des manipulations simples ;
- la confrontation avec des faits d'observation ou d'expérimentation ;
- l'analyse critique du concept (limite d'utilisation, usage raisonné...) ;
- la formulation éventuelle de connaissances scientifiques en lien avec le concept historique initial ; [6] l'explicitation des objectifs d'apprentissages épistémologiques visés.
2.2.2. Des démarches d'investigation scientifique pour enseigner la science qui se fait
Les démarches d'investigation ont été introduites dans les programmes de sciences suite aux recommandations pour un enseignement des sciences devant faire face à une désaffection pour les sciences et les études scientifiques (Lebeaume, 2013 ; Venturini, 2012 ; Boilevin, 2013). Plusieurs études ont été menées pour appréhender leur réception par les enseignants, leur mise en œuvre en classe, ou encore leur origine épistémologique et leur lien avec les démarches de la science qui se fait (Calmettes, 2012 ; Grangeat, 2011, 2013).
Dans le cadre de notre travail, c'est cette dimension épistémologique des démarches d'investigations scientifiques qu'il nous faut prendre en compte. Dans l'objectif d'un enseignement explicite de connaissances sur la science, tant sur la construction des savoirs que sur les pratiques scientifiques réelles, il nous faut proposer des outils permettant de proposer des démarches d'investigation aux élèves les plus authentiques possibles, c'est à dire les plus en adéquation possible avec la pratique scientifique de la science qui se fait.
Dans ses recherches, Cariou (2011) relève l'importance du rôle des hypothèses dans l'activité scientifique et montre leur importance dans les démarches d'investigation scolaires :
« Reconnaître dans les classes le rôle éminent des hypothèses et favoriser leur jeu, comme ce fut le cas dans les sciences elles-mêmes après leur longue disgrâce, constitue une autre approche possible pour faire pénétrer les élèves dans des rouages révélateurs de la nature de la science. »
Il propose d'évaluer l'authenticité d'une démarche d'investigation scientifique proposée à des élèves grâce à une échelle d'authenticité comportant dix critères. Ces derniers prennent en compte les choix des élèves et les temps d'échanges argumentés entre eux au cours de la démarche. Cette échelle CADI (Critères d'Authenticité des Démarches d'Investigation) est présentée en annexe 2.
Cet outil permet ainsi de vérifier si une situation d'enseignement-apprentissage engage les élèves dans une réelle posture de chercheur, ce qui répond à un de nos leviers pour développer leur perception de la nature de la science.
2.3. Des hypothèses pour concevoir notre formation
Grâce à l'éclairage des apports théoriques présentés ci-dessus, nous avançons l'hypothèse qu'une formation en deux temps permet d'inciter les enseignants à développer un enseignement de connaissances sur la science avec leurs classes :
- un premier temps pour développer chez eux l'image de la science à partir d'une mise en investigation scientifique ;
- un second temps pour s'approprier des leviers permettant d'intégrer ces connaissances sur la science dans leurs enseignements.
2.3.1. Conception d'une investigation pour vivre la science qui se fait
Francis Meilliez est géologue émérite de l'Université de Lille, spécialiste reconnu de la géologie de l'Ardenne. Nous avons eu l'opportunité de nous rencontrer plusieurs fois à travers les activités de deux sociétés savantes, la Société Géologique du Nord et la Société d'Histoires Naturelles des Ardennes, pour lesquelles il est ou a été membre du bureau d'administration et auxquelles je suis adhérent. Ces échanges ont nourri un projet de formation autour du fleuve Meuse et de son évolution au cours du dernier million d'années. Ce thème permet d'illustrer plusieurs items des différents programmes de SVT (voir tableau 2).
Tableau 2 : liens entre le thème de la formation et les programmes
Sa proposition initiale repose sur la critique d'une vieille "idée" transmise pendant des décennies en cours de sciences : "l'Ardenne est un massif ancien, une vieille montagne érodée". Or l'observation du tracé de la Meuse qui coupe le massif ardennais n'est pas cohérent avec cette idée : si l'Ardenne est une vieille montagne, comment expliquer que la Meuse la traverse alors qu'elle vient de plaines au sud de moindre altitude ?
Les connaissances scientifiques actuelles, issues d'une longue histoire de science, permettent de démontrer que l'Ardenne n'est pas une ancienne montagne en cours d'érosion (un relief résiduel) mais un plateau en cours de surrection entaillé par des vallées, dont celle de la Meuse. Cette histoire de science et cette "vieille idée" de l'Ardenne constituent une situation-problème adaptée pour concevoir notre situation d'investigation scientifique puisqu'elle met en tension une conception initiale généralement rependue (notamment chez les enseignants) et l'état des connaissances scientifiques actuelles. Cette investigation est de niveau universitaire, donc en accord avec celui supposé des enseignants à former et repose sur une question scientifique peu connue d'eux. Elle correspond donc aux critères précisés par Pélissier et Venturini (2012) pour une démarche d'investigation dans un objectif de formation épistémologique.
Pour concevoir notre situation d'investigation scientifique, nous nous appuyons sur le modèle à six dimensions des Enseignements Scientifiques Fondés sur les démarches d'Investigation (ESFI) de Grangeat
(2013). À partir de l'analyse des stratégies mises en œuvre par des enseignants, ce modèle identifie six dimensions (axes structurants) des démarches d'enseignement par investigation (annexe 3). Pour chacune des dimensions identifiées, le modèle propose quatre modes de réalisation selon un continuum où les premiers modes correspondent à des stratégies centrées sur l’enseignant et les contenus alors que les modes terminaux correspondent à des stratégies centrées sur les apprenants et la maîtrise de connaissances et de compétences. Il permet d'évaluer l'adéquation d'une situation d'enseignement avec les ESFI. Le tableau 3 présente, pour chacune des six dimensions du modèle, les modalités de mise en œuvre envisagées lors de notre situation d'investigation et leur positionnement à priori sur un des modes de réalisation.
Tableau 3 : modes de réalisation envisagés pour la situation d'investigation pour les 6 dimensions d'une ESFI d'après Grangeat (2013).
L'utilisation du modèle ESFI à six dimensions confirme que la situation proposée est bien une démarche d'investigation scientifique.
Quelques remarques sur notre positionnement sur ce modèle : nous évoquions précédemment que faire vivre la science qui se fait implique la rencontre des stagiaires avec les individus qui font la science et les lieux où elle se fait. La thématique de notre formation induit un contexte particulier puisque le lieu où se fait la science dont il s'agit ici est en extérieur. Cela entraîne des contraintes matérielles ou logistiques qui ont une incidence directe sur les choix envisagés pour la situation d'investigation proposée et donc sur certaines dimensions du modèle ESFI, par exemple :
- l'anticipation des lieux d'observation limite la marge de manœuvre des stagiaires dans leur choix sur le processus d'investigation (dimension 3) ;
- les ressources mise à disposition des stagiaires doivent être "transportables" et certaines doivent être en accès "à la demande" pour que l'investigation ne soit pas faussée par leur présence dès le début (dimension 2). Des technologies numériques (Serveur wifi nomade et QRcodes) sont utilisées pour répondre à ces contraintes.
2.3.2. Un bilan scientifique et épistémologique de l'investigation
La dimension 6 du modèle ESFI utilisé réfère à l'explicitation des savoirs visés lors de l'investigation. Nous y visons deux types de connaissances : 1/ des connaissances en sciences pour satisfaire à un objectif d'actualisation de connaissances scientifiques sur le thème proposé, et 2/ des connaissances sur la science pour développer la perception de la nature de la science chez les stagiaires. Ainsi nous proposons respectivement un bilan scientifique et un bilan épistémologique pour expliciter ces deux objectifs.
Le bilan scientifique est réalisé en salle, après l'investigation de terrain. Le choix de la structuration et de l'explicitation des connaissances (ici des connaissances en science) par le scientifique est fait pour répondre à notre objectif " découvrir ou redécouvrir des connaissances issues de la recherche scientifique". Le bilan est exposé par le scientifique. S'il est mené en salle en fin d'investigation, cela n'exclue pas cependant que les connaissances qui y sont mentionnées ont pu être explicitées lors de l'investigation sur le terrain par les stagiaires.
Le bilan épistémologique correspond à la « prise de recul sur l'activité » suggérée par Pélissier et Venturini (2012, p 145) pour permettre une « sensibilisation aux questions épistémologiques ». Comme l'évoquent Maurines et al. (2013) et Cariou (2011), nous nous appuyions sur deux leviers pour développer une meilleure compréhension de la Nature de la Science chez les stagiaires : leur vécu de l'investigation et l'histoire des sciences. Ce bilan est ensuite l'occasion de montrer les liens explicites et implicites entre les programmes et la Nature de la Science.
En voici les différentes étapes (un lien vers ce support de présentation est disponible dans l'annexe 4) :
- relever les items des contenus de programmes pouvant être illustrés ;
- identifier les points communs entre la démarche scientifique mise en œuvre précédemment et la compétence "Pratiquer des démarches scientifiques" des programmes ;
- faire émerger l'idée de connaissances sur la science à partir de la compétence "Pratiquer des démarches scientifiques" ;
- introduire la cadre théorique des dimensions de la Nature de la Science
- montrer la présence implicite de la Nature de la Science dans les programmes
- montrer que l'histoire des sciences permet d'illustrer des dimensions de la Nature de la Science complémentaires de celles pointées lors de l'investigation.
À la suite de ce bilan épistémologique, nous introduisons l'atelier où il sera question de concevoir des situations d'enseignements impliquant des connaissances sur la science.
2.3.3. Élaboration de l'atelier de conception de situations d'enseignement-apprentissage
Dans le cadre d'une réflexion sur l'enseignement de connaissances sur la science, il faut tenir compte des contraintes liées d'une part aux contenus clairement explicités dans les programmes (connaissances en science) qui constituent l'essentiel du temps des programmations des enseignants et d'autre part du contexte professionnel des enseignants (niveaux, localisation géographique...). Elles induisent une personnalisation des séquences d'enseignement-apprentissage. Ainsi, plutôt que de viser des situations d'enseignement-apprentissage finalisées en fin d'atelier, ces contraintes nous amènent plutôt à faire le choix de proposer aux stagiaires une réflexion sur l'introduction d'un enseignement explicite de la Nature de la Science dans leurs séances d'enseignement.
Nous proposons aux stagiaires de mener cette réflexion à partir de ressources, regroupées en différents corpus, relevant soit du levier "Histoire des Sciences", soit du levier "Démarche scientifique", soit des deux en même temps. L'essentiel des ressources est en lien avec l'investigation scientifique proposée le matin, certaines le sont moins, mais toutes restent dans le domaine de recherche du scientifique présent pour profiter de son expertise lors ces réflexions. Les ressources ancrées géographiquement dans les corpus sont associées à une fiche outil qui permet de produire une ressource équivalente pour un autre lieu géographique. Nous pensons que cela permet de focaliser sur la réflexion proposée sans trop se soucier de la personnalisation des ressources pour un contexte d'enseignement différent. Un lien vers les documents des corpus est disponible dans l'annexe 4.
Chaque corpus contient un tableau rappelant les dimensions de la Nature de la Science décrites précédemment et leurs objectifs d'apprentissage épistémologique.
À partir des données de la recherche présentées précédemment, nous proposons des fiches-outils didactiques en lien avec les leviers "démarche d'investigation scientifique authentique" et "l'introduction d'éléments d'histoire des sciences". Ces outils correspondent respectivement à l'échelle CADI et à la modélisation des axes d'introduction d'éléments d'histoire des sciences (HdS 1, 2, 3, 4 et 5).
La commande proposée aux stagiaires est la suivante :
"À partir des ressources à disposition, concevoir la trame d'une situation d'enseignement-apprentissage portant :
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-
-
-
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- sur une ou des connaissances en science issus des programmes,
- ET au moins un objectif d’apprentissage épistémologique en lien avec les dimensions de la Nature de la Science
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… pour repérer les points de vigilance et les modalités de conception ou de mise en œuvre qui vous semblent efficaces pour un enseignement explicite de connaissances sur la science."
Un document de travail à compléter comporte les champs ci-dessous :
- description de la situation intégrant un ou des objectifs explicites d'apprentissage épistémologique
- objectif(s) de connaissances en science visés ;
- objectif(s) d'apprentissage épistémologique visés ;
- obstacles élèves et aides envisageables ;
- ressources complémentaires (documentaires, matérielle...).
Ces documents de travail permettent de synthétiser chaque réflexion menée pendant l'atelier puis de les mutualiser.
Une présentation orale en fin d'atelier suggère à l'ensemble du groupe une piste d'exploitation pour chaque corpus : elle propose l'utilisation d'un des outils didactiques et au moins un objectif d'apprentissage épistémologique pour chaque corpus. Elles ne se veulent pas être une correction de chaque corpus mais une possibilité ou une piste d'utilisation, en lien avec les recherches didactiques. Du point de vue de l'enseignant, elles permettent également d'avoir un premier retour sur les attendus de l'atelier et une idée de ce qui pouvait être fait.
Pour que chaque stagiaire puisse construire après la formation ses propres situations adaptées à ses contraintes, une liste de ressources est fournie :
- catalogues des fiches-outils mentionnées dans les corpus ;
- fiches-outils didactiques en lien avec les leviers démarche d'investigation et histoire des sciences ;
- éléments de bibliographie didactique ;
- éléments de bibliographie en lien avec l'histoire des sciences.
Ces fiches outils et ces éléments de bibliographie sont consultables à partir du lien indiqué en annexe 4.
3. Analyse de l'action de formation
L'analyse de notre formation doit permettre de vérifier si nos hypothèses sont validées. Dans notre cas, il s'agit donc de vérifier si elle incite à la mise en place d'un apprentissage explicite de connaissances sur la science par les enseignants formés. Dans cette partie, nous présentons d'abords la méthodologie et les indicateurs utilisés pour vérifier nos hypothèses. Nous en présentons ensuite notre analyse et les interprétations que nous en inférons.
3.1. Méthodologie et indicateurs
Si notre hypothèse est juste, nous devons voir la mise en place d'un enseignement de connaissances sur la science par les stagiaires. Nous postulons que des démarches d'investigation authentiques et l'histoire des sciences sont des leviers efficaces pour y parvenir, à condition que les objectifs épistémologiques soient explicités. Nous devons donc évaluer d'une part l'appropriation de ces leviers par les stagiaires et d'autre part la mise en place d'un enseignement explicite de connaissances sur la science après la formation. La méthodologie mise en œuvre suit les types d'opérations définies par Reuter (2006) : constitution d'un document, construction des données, leur traitement puis leurs interprétations.
La constitution du document correspond à une enquête déclarative reposant sur deux questionnaires. Le questionnaire Q1, proposé avant l'action de formation, permet un recueil des conceptions des stagiaires sur la pratique de la démarche d'investigation, leur usage de l'histoire des sciences et leur enseignement de connaissances sur la science. Le questionnaire Q2, en fin d'action de formation, permet le recueil de leurs ressentis et de leurs intentions autour de ces mêmes points. Le questionnaire Q2 est complété par les fiches de synthèses remises par les groupes à la fin de l'atelier de conception de situation d'enseignement apprentissage. Les questions ouvertes du questionnaire Q1 laissent chaque stagiaire libre dans ses réponses : nous pensons qu'elles permettent d'obtenir un panorama suffisamment réaliste sur leur conception ou leur pratique. Ces questionnaires, leurs réponses et ces documents de synthèse sont consultables en suivant le lien indiqué en annexe 4.
Les opérations de construction et de traitement des données sont différentes pour les différents indicateurs retenus, et évidemment les interprétations qui en sont faites également. Ces étapes sont donc décrites dans les paragraphes dédiés à ces indicateurs.
Avant d'aller plus en avant dans la description des données et de leur analyse, nous devons préciser que l'effectif est plus restreint qu'initialement prévu. Seulement dix-neuf stagiaires étaient présents au lieu des trente cinq prévus. Ce contexte particulier pour cette formation du vendredi 13 mars 2020 peut en partie être expliquer par l'annonce la veille au soir de la fermeture jusqu'à nouvel ordre des établissements scolaires à compter du lundi suivant. Nous avons conscience que cet effectif restreint d'une part limite la portée de nos analyses et d'autre part n'a pas permis un réinvestissement immédiat par les stagiaires dans leur enseignement. Nous souhaitions proposer aux participants un retour d'expérience quelques semaines plus tard, mais qui n'a donc pas pu avoir lieu.
3.2. L'indicateur "appropriation du levier histoire des sciences"
L'introduction d'élément d'histoire des sciences peut être un levier pour mettre en place un apprentissage de connaissances sur la science, sous certaines conditions (voir paragraphe 2.2.1). Pour vérifier l'appropriation de ce levier et de ses conditions, il nous faut donc comparer les usages de l'histoire des sciences par les stagiaires avant la formation et ceux envisagés après la formation.
3.2.1. Construction des données
Les questions 6 et 7 du questionnaire Q1 (avant la formation) et les documents de mutualisation de l'atelier de conception de situation d'apprentissage (fin de formation) constituent les données à analyser. La question 8 du questionnaire Q2 propose en fin de formation une évaluation de la pertinence des outils didactiques sur l'introduction de l'histoire des sciences.
3.2.2. Traitement des données
Pour caractériser les objectifs recherchés par les stagiaires à travers l'usage de l'histoire des sciences chez les stagiaires, nous regroupons dans un premier temps leurs réponses à cette question par ressemblances. Nous obtenons un nombre plus restreint de catégories que nous comparons ensuite aux objectifs d'apprentissages épistémologiques décris dans au paragraphe 1.2. Ce traitement permet de vérifier la présence d'objectifs d'apprentissage de connaissances sur la science dans les pratiques avant la formation.
Pour caractériser les types d'usages de l'histoire des sciences chez les stagiaires, nous utilisons comme grille d'analyse les différents usages décris au paragraphe 2.2.1 pour éventuellement y reconnaitre : le type "médaillon", ou le type "petit texte tronqué", ou le type "constructiviste", ou un des axes d'utilisations proposés dans les outils didactiques (HdS 1, HdS 2, HdS 3, HdS 4 et HdS 5).
3.2.3. Interprétations
L'utilisation d'éléments d'histoire des sciences dans les enseignements est une pratique commune pour les stagiaires puisque seul l'un d'entre eux déclare ne jamais le faire. Les buts recherchés avec cette pratique peuvent être regroupés en neuf catégories, dont quatre correspondent à des objectifs d'apprentissages épistémologiques définis au paragraphe 1.2 (figure 1A) : montrer l'élaboration des savoirs scientifiques (cité 3 fois), montrer l'évolution des connaissances (9), montrer le lien avec les techniques (2), montrer des attitudes liées à l'activité scientifique (3).
Figure 1 : analyses des pratiques déclarées sur l'usage de l'histoire des sciences
A: objectifs visés par l'usage de l'histoire des sciences. B : diversité des objectifs visés par stagiaire
Cette première analyse révèle que l'histoire des sciences est un levier connu d'une partie des enseignants pour montrer ce qu'est la science, mais à travers quelques dimensions seulement. L'analyse individuelle des réponses conforte ce constat : nous identifions un maximum de deux objectifs d'apprentissage déclarés par stagiaire (figure 1B).
Les réponses formulées utilisent principalement les verbes montrer, introduire, illustrer, donner. Nous pensons que cela peut être la traduction d'un usage de l'histoire des sciences principalement comme monstration de certaines caractéristiques de la science ou des scientifiques, comme le décrit Guedj et al. (2005) dans les usages d'histoire des sciences du type « médaillon » ou « petit texte tronqué » (voir paragraphe 2.2.1). Aucun de ces usages n'utilise l'histoire des sciences comme support d'investigation ou d'activité à caractère épistémologique comme ceux proposés dans nos outils didactiques (HdS 1, 2, 3, 4 et 5). Nous regrettons ici de ne pas avoir posé dans notre questionnaire Q1 une question sur le comment les stagiaires utilisent l'histoire des sciences dans leurs enseignements pour confirmer ces interprétations.
L'analyse des documents de mutualisation sur les corpus étiquetés histoire des sciences montrent que deux des trois groupes proposent une utilisation de l'histoire des sciences se rapprochant d'un des axes d'utilisation proposés dans les outils didactiques (tableau 4).
Tableau 4 : usages de l'histoire des sciences proposés dans les travaux des participants
Conscients de ne pouvoir tirer une véritable conclusion au regard de l'échantillon très restreint pour notre analyse, nous noterons cependant que l'atelier a permis d'initier une première appropriation des outils proposés pour deux de trois groupes, soit neuf stagiaires sur dix-neuf.
L'évaluation de la pertinence des outils didactiques proposé après l'exposé oral des pistes d'utilisation des corpus concernés montrent une bonne réception de ces outils par la majorité des stagiaires (figure 2). Cela conforte l'idée d'un début d'appropriation de ces outils didactiques sur l'introduction d'éléments d'histoire des sciences pour mettre en place un enseignement de connaissances sur la science.
Figure 2 : évaluation de la pertinence des outils didactiques "histoire des sciences"
(de 1 le moins pertinent à 5 le plus pertinent)
3.3. L'indicateur "appropriation du levier démarche d'investigation authentique"
Dans notre travail, la démarche d'investigation est un levier pour permettre un apprentissage de connaissances sur la science, à condition qu'elle présente une certaine authenticité. C'est à dire qu'elle corresponde à une investigation où l'ensemble des propositions des élèves sont explorées, et pas uniquement celle que l'enseignant sait qu'elle sera vérifiée à la fin. Pour vérifier l'appropriation de ce levier, il nous faut donc comparer les degrés d'authenticité des démarches d'investigations proposées par les stagiaires avant la formation et avec celles proposées suite à la formation.
3.3.1. Construction des données
Les questions 3, 4 et 5 du questionnaire Q1 (avant la formation) et les documents de mutualisation de l'atelier de conception de situation d'apprentissage (fin de formation) constituent les données à analyser.
3.3.2. Traitement des données
Pour avoir une image de l'authenticité des démarches d'investigation proposées par les stagiaires, nous comparons les éléments descriptifs de leur pratique relevés dans ces données aux dix critères d'authenticité de l'échelle CADI. Le score obtenu sur dix points maximum permet d'évaluer l'authenticité de la démarche.
3.3.3. Interprétations
L'ensemble des stagiaires déclare mettre en place des situations d'apprentissage reposant sur une démarche d'investigation (figure 3A). L'analyse des conceptions des stagiaires avant la formation sur la démarche d'investigation donne des scores d'authenticité très variés d'un individu à l'autre, plutôt bas pour une majorité d'entre eux (figure 3B).
Figure 3 : analyses des pratiques déclarées sur la démarche d'investigation
A: fréquence d'usage. B : scores obtenus sur l'échelle CADI
Lors de l'atelier de conception de situation d'apprentissage, quatre groupes, soit neuf enseignants au total se sont positionnés sur des corpus étiquetés "démarche d'investigation". L'analyse de leur production montre que trois d'entre eux obtiennent un score de sept points, le dernier groupe obtenant un score de 2 points (figure 4A).
Figure 4 : analyses des situations d'enseignement apprentissage proposées lors de l'atelier
A: scores obtenus sur l'échelle CADI pour les situations d'enseignement-apprentissage proposées lors de l'atelier.
B : évaluation de la pertinence des outils didactiques "histoire des sciences" (de 1 le moins pertinent à 5 le plus pertinent)
Là encore le faible effectif limite la portée des interprétations qui peuvent en être faites, mais nous remarquons tout de même que le score obtenu est "satisfaisant" pour la majorité des groupes et que cela peut être le témoin d'un début d'appropriation de l'outil didactique proposé. L'évaluation de sa pertinence en fin de formation en suggère une bonne réception pour la majorité des stagiaires (figure 4B), ce qui nous conforte dans cette idée d'un début d'appropriation.
Ces interprétations limitées ne doivent cependant pas occulter le constat fait lors de l'analyse des pratiques déclarées et leur score d'authenticité relativement bas. En effet, bien que l'ensemble des stagiaires propose des situations de démarche d'investigation à leurs élèves, cela n'implique pas nécessairement que cette pratique permette de facto un apprentissage de connaissances sur la science en donnant une image de la science telle qu'elle se fait réellement.
Nous pouvons dès lors nous interroger sur l'écart entre cette analyse des pratiques déclarées par les enseignants et ce que montre la recherche en didactique sur les conditions d'authenticité d'une démarche d'investigation. Pour l'enseignant, les ressources de référence pour la mise en place d'une démarche d'investigation sont les programmes et leurs documents d'accompagnement, autrement dit les prescrits. Dans une analyse épistémologique des prescriptions accompagnant l'introduction de la démarche d'investigation dans l'enseignement des sciences en France, Cariou (2013, 2015) souligne la disparité des définitions données à cette démarche, le manque de précision dans sa description, et les ambigüités d'interprétations qui en découlent, le tout pouvant « placer les enseignants en situation d’inconfort » (2015 p 29) au moment de réfléchir à la mise en œuvre d'une démarche d'investigation.
Il alerte même sur :
« la tentation de faire « à peu près » des DI [= démarche d'investigation], ou de se focaliser sur les aspects les plus visibles et partout valorisés – l’expérience et le concret – peut être grande, au risque de faire empiéter considérablement la part de la tâche manuelle sur celle de la tâche intellectuelle.»
(2013, p 162)
Cette tentation est peut-être, au moins en partie, responsable du décalage que nous avons observés dans notre analyse entre ce que peut être une démarche d'investigation authentique et les pratiques déclarées.
3.4. L'indicateur "mise en place d'un enseignement explicite de connaissances sur la science"
Pour déterminer si la formation incite à la mise en place d'un enseignement explicite de connaissances sur la science, il nous faut comparer les pratiques déclarées avant la formation aux intentions déclarées en fin de formation.
3.4.1. Construction des données
La question 8 du questionnaire 1 (avant la formation) et les questions 10 et 11 du questionnaire Q2 (fin de formation) constituent les données à analyser. En complément les documents de mutualisation de l'atelier de conception de situation d'apprentissage permettront d'appréhender les explicitations envisagées pour ces enseignements.
3.4.2. Traitement des données
La comparaison des pratiques déclarées et des intentions ne nécessite qu'un traitement statistique simple en pourcentage ou en fréquence. Pour les obstacles déclarés par les stagiaires à ce type d'enseignement (réponses à la question 11 de fin de formation), ils ont été regroupés par ressemblance pour définir un nombre plus restreint de catégories d'obstacles, et ainsi en faciliter l'interprétation. Enfin, pour appréhender les explicitations envisagées dans les situations d'enseignement apprentissage proposées, nous retenons quatre possibilités d'explicitation :
- dans l'introduction : l'objectif épistémologique est indiqué dans la présentation de la situation d'enseignement apprentissage
- dans la consigne : l'objectif épistémologique correspond à la consigne (ex : "montrer quelles sont les interactions entres les scientifiques au cours de la construction de la connaissance scientifique...")
- dans le bilan : l'objectif épistémologique est explicité en fin de séquence (ex : "cette activité nous montre que...")
- aucune explicitation.
3.4.3. Interprétations
En fin de formation, l'ensemble des stagiaires pensent intégrer un enseignement explicite de connaissances sur la science alors que seulement 53 % déclarait le faire avant la formation, sans pour autant l'évaluer (seulement 4 stagiaires sur 17 le font).
Figure 4 : analyses sur l'enseignement explicite de connaissances sur la science
A: intégration d'objectifs épistémologiques déclarée dans les pratiques avant la formation.
B: intégration d'objectifs épistémologiques envisagée dans les pratiques après la formation
C: moments de l' explicitation des objectifs épistémologiques relevés dans les situations d'enseignement apprentissage proposées par les participants
L'analyse des situations d'apprentissage proposées par les stagiaires montre que les six groupes qui ont rendu leurs travaux ont visé au moins un objectif d'apprentissage épistémologique, mais que seule la moitié l'a explicité. Nous remarquons également qu'aucune explicitation n'est faite au niveau des consignes : cela montre que les activités proposées ne sont pas des activités à caractère épistémologique dominant et que les connaissances en science restent le cœur des situations proposées. Cette analyse pointe un besoin de réflexion sur les stratégies possibles pour expliciter ces objectifs épistémologiques.
Nous pouvons quand même voir dans ces éléments d'analyse une première étape vers une volonté de changement de pratique professionnelle. Cependant, lorsqu'il leur est demandé de décrire les obstacles qu'ils pourraient rencontrer pour mettre en place cette pratique, ils en mentionnent deux principaux types (tableau 5) :
- ceux liés au manque de temps en classe pour cet enseignement de connaissances sur la science,
- ceux liés à l'accès à des documents originaux (textes historiques) et leur didactisation pour en faire des ressources d'enseignement opérationnelles.
Tableau 5 : obstacles ou freins déclarés par les stagiaires (12 réponses sur 19 stagiaires)
Le nombre de réponses (12 sur 19) montrent que la mise en place de cette pratique professionnelle nécessite un accompagnement que l'action de formation n'a pu apporter entièrement.
Le premier type d'obstacle évoqué (obstacle "temps") montre qu'il y a une dualité entre les connaissances en science (les "notions", le "programme") et les connaissances sur la science. En nous appuyant sur des travaux de la recherche en didactique, nous avons montré que cette dualité ne doit pas être et que ces deux types de connaissances sont présentes dans les programmes à enseigner et que le temps consacré aux connaissances sur la science doit être pris en considération dans les réflexions de programmation. Nous devons donc constater que l'analyse épistémologique des programmes présentée aux stagiaires avant les ateliers n'a pas permis une prise de conscience suffisante de ces aspects. Nous devons poursuivre notre réflexion en concevant une ingénierie qui le permettrait. Un travail sur les programmes avec une grille de lecture où figurent les objectifs d'apprentissages épistémologiques issus de la recherche didactique peut être une piste à explorer.
Le second type d'obstacle évoqués (obstacle "ressources") est étroitement lié au levier histoire des sciences. Les ressources documentaires nécessaires à la mise en place d'activités à partir des outils didactiques proposées ne correspondent pas à celles habituellement disponibles dans les manuels. Cela implique effectivement un travail documentaire pour constituer de telles ressources d'enseignement. Nous pensons que le travail collectif est une piste à approfondir pour les générer puis les mutualiser. Qu'une grande majorité des stagiaires soit favorable à l'idée de mutualiser leurs ressources nous conforte dans cette piste (question 12 Q2).
3.5. Bilan de la formation : vers un changement de pratique professionnelle ? Oui mais...
La méthodologie et les indicateurs retenus montrent une bonne réception des outils didactiques proposés et la volonté d'un changement de pratique vers la prise en compte d'un enseignement explicite de connaissances sur la science.
Notre hypothèse de formation en deux temps est donc en partie vérifiée : vivre la science à travers une investigation scientifique et proposer des outils didactiques sur l'authenticité d'une démarche d'investigation et sur l'usage de l'histoire des sciences sont bien des leviers qui permettent d'initier une réflexion sur la mise en place d'un enseignement de connaissances épistémologiques.
Cependant, l'analyse révèle aussi un besoin d'accompagnement pour confirmer cette nouvelle pratique professionnelle. Celui-ci doit a priori porter sur quatre axes :
- une lecture plus approfondie des programmes à travers le prisme de la Nature de la Science pour assimiler les enjeux d'un enseignement de connaissances sur la science et ne pas le mettre en tension avec celui des connaissances en science ;
- un travail sur l'authenticité des démarches d'investigation, peut être à l'intérieur d'un travail plus général sur les différentes démarches possibles dans un enseignement pour en faire ressortir ses spécificités et expliciter les critères de son authenticité ;
- réfléchir aux moyens d'expliciter les objectifs épistémologiques visés ;
- inviter à la mutualisation pour créer une banque de ressources historiques et des pratiques d'enseignement explicite de connaissances sur la science en classe.
Une piste pour apporter cet accompagnement pourrait être la création d'un groupe d'action-recherche sur l'enseignement de connaissances épistémologiques et de l'image de la science dans nos enseignements, dans lequel pourraient coopérer des enseignants, des formateurs et des chercheurs en didactiques spécialistes de ces questions.
3.6. Critiques a posteriori de notre formation
Notre analyse a permis d'identifier des points d'amélioration envisageables si cette formation devait être reconduite.
Le premier est dans le choix des questions pour les enquêtes de pré et post-formation. Nous avons mentionné dans une partie précédente un exemple de question que nous n'avons pas posée mais qui méritait de l'être pour analyse plus fine de notre action.
Un autre aspect qui mériterait une autre mise en œuvre est la gestion du temps lors de l'animation de l'action de formation. Les ateliers de conception de situation d'enseignement apprentissage proposés l'après-midi ont été plus courts que prévu et a posteriori pas suffisants pour permettre une réflexion suffisamment approfondie de la part des stagiaires. Plusieurs remarques formulées dans le questionnaire post-formation vont dans ce sens. Nous pensons également que notre présentation orale de ces ateliers a été trop brève pour une bonne compréhension des enjeux épistémologiques à inclure dans les situations d'enseignement apprentissage à concevoir. Nous pensons que la réflexion sur le "comment expliciter " ce type d'enseignement épistémologique n'a pas ou peu été abordé pour cette raison.
Une explication envisageable à cette gestion du temps est le temps pris pour le bilan scientifique en salle. Menée par le scientifique, cette partie a débordé d'une heure, réduisant d'autant l'atelier de conception pour une durée d'1 h 30 au final au lieu des 2 h 30 prévues initialement, malgré le planning établi en concertation avec le scientifique. Accentuer la co-construction de la formation avec lui est selon nous une piste pour un meilleur ajustement temporel du déroulé de la formation.
En conclusion : quelles perspectives après cette expérience du mémoire professionnel ?
Pour conclure, faisons un pas de côté pour porter un regard sur cette expérience de conceptionanimation d'une action de formation conjuguée à la rédaction de ce mémoire professionnel. Je souhaite ici partager mes réflexions personnelles sur cette expérience, selon différentes perspectives : celle du formateur, celle de l'enseignant et celle de la formation.
Une formation uniquement disciplinaire à destination des enseignants du secondaire ?
Il pourrait m'être reproché que ma réflexion sur un enseignement explicite de connaissances sur la science dans ce mémoire reste trop disciplinaire, et limitée au secondaire.
Les études mentionnées dans ce travail montrent que cette problématique d'une image de la science erronée s'étend à l'ensemble des niveaux de la scolarité : ces enjeux de formation peuvent donc être étendus du premier degré jusqu'à la formation universitaire des futurs enseignants. Cela peut d'ailleurs être l'occasion de s'interroger sur une progressivité de ces apprentissages d'objectifs épistémologiques au cours des cursus.
D'autre part, nous avons vu que la compréhension de ce qu'est une connaissance scientifique et de façon générale l'acquisition d'une culture scientifique est d'autant plus important que la société actuelle est empreinte de techno-sciences. Si l'élève futur citoyen a besoin de cette culture pour faire des choix éclairés sur ces questions techno-scientifiques, il a également besoin d'être armé pour faire des choix éclairés sur des questions d'ordre historiques ou socio-économiques. La recherche scientifique et les connaissances qu'elle produit ne se limite pas au champ des sciences de la nature. Les sciences humaines, sociales et historiques reposent sur les mêmes attendus cognitifs que les sciences de la nature. Une connaissance scientifique des sciences de la nature et une connaissance scientifique des autres champs de la recherche répondent des mêmes processus d'élaboration et partagent donc des caractéristiques épistémologiques. Comprendre l'élaboration de l'une permet également de comprendre l'élaboration de l'autre. Quant bien même ma réflexion repose sur le domaine des sciences de la nature, elle peut aussi s'étendre à l'ensemble des champs disciplinaires où des connaissances scientifiques sont enseignées.
Une nouvelle posture de formateur.
Mes premières expériences de conception et d'animation de formation correspondaient à un partage d'expériences considérées comme innovantes et/ou efficaces. Celle dont il est question ici est le fruit d'une réflexion menée pour répondre à une problématique. Les éléments proposés pour y répondre ont convoqués des cadres théoriques issus de la recherche en didactique qui ont constitué le socle de ma conception de formation. J'ai essayé d'en proposer des outils pratiques pour leur transposition en classe par les enseignants. Cette démarche s'apparente à la pragmatisation des écrits de la recherche en didactique évoquée par Lhoste et Schneeberger (2018) c'est à dire rendre opérationnel les concepts de ces écrits pour le praticien (l'enseignant). Notons qu'un de ces outils (l'échelle CADI) était directement proposé dans les écrits didactiques, les autres (ceux en lien avec l'histoire des sciences) ont nécessité une adaptation et une compilation pour en faire un outil pratique sous forme de modèle.
Le rôle du formateur peut donc être considéré ici comme le trait d'union entre la sphère de la recherche en didactique et celle des enseignants, dans le but de modifier ou d'enrichir leurs pratiques, comme le proposent Goigoux et Cèbe (2009) en rendant raisonnable (compatible avec les pratiques de classe) ce qui est souhaitable (les concepts issus de la recherche). Ce rôle de passeur entre ces deux sphères prend d'autant plus d'importance que de nombreuses études montrent que les écrits en didactiques ne trouvent pas ou peu écho dans les pratiques enseignantes (Daro, Graftiau, Stouvenakers, & Hindryckx, 2018).
L'expérience transcrite dans ce mémoire montre ainsi un changement dans ma posture de formateur qui prend dorénavant en compte la pragmatisation de la recherche en didactique en plus du partage de pratiques. Je reconnais cependant un besoin d'explorer davantage ce champ conceptuel en vue de prochaines formations.
Des changements en tant qu'enseignant.
Les réflexions menées et les lectures d'écrits issus de la recherche didactique lors de cette expérience de rédaction de mémoire professionnel m'ont invité à questionner mes pratiques de classe en rapport avec les démarches d'investigations et l'usage de l'histoire des sciences. Le processus de pragmatisation évoqué précédemment a donc également eu lieu à mon échelle personnelle puisque les écrits de la recherche consultés dans le cadre de ce mémoire ont et vont avoir une incidence sur ma pratique d'enseignement au travers de nouvelles stratégies d'enseignement pour développer l'image de la science chez mes élèves. Cette pragmatisation s'étendra probablement à d'autres aspects de mes pratiques.
Bibliographie
Abd-El-Khalick, F. (2012). Examining the Sources for our Understandings about Science: Enduring conflations and critical issues. Research on nature of science in science education.
Boilevin, J.-M. (2013). La place des démarches d’investigation dans l’enseignement des sciences. Dans M. Grangeat, Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation. Des formations et des pratiques de classe (pp. 27-53). Grenoble: PUG.
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ANNEXES
ANNEXE 1
ANNEXE 2 : échelle CADI selon Cariou (2011)
ANNEXE 3 : le modèle à 6 dimensions de ESFI selon Grangeat (2013)
ANNEXE 4 : documents complémentaires consultables en ligne
1/ support de présentation du bilan épistémologique de l'action de formation https://drive.google.com/file/d/1pn6R_w-clhU5-6oXI9aN8qwkGnwwjrE_/view?usp=sharing
2/ corpus proposés lors de l'atelier de conception de situation d'enseignement-apprentissage https://drive.google.com/drive/folders/1Hp-9rHLe7mzv5VV_2x3og8GuofDY0RIy?usp=sharing
3/ fiches outils mises à disposition des participants : https://drive.google.com/file/d/1kcpq0ZPJ12oXSkAZtaX8LbZdpwadzAaA/view?usp=sharing
4/ éléments de bibliographie communiqués aux participants : https://drive.google.com/file/d/1WJc8hvFn9baDGK_gbJaMN1KeJMW8X-1V/view?usp=sharing
5 / questionnaire Q1 (avant la formation) : https://docs.google.com/forms/d/1qnsgCaYxKA2n5flgoi59f1rqa3VS_Osn1SUnAR16gTc/viewanalytics
6/ questionnaire Q2 (après la formation) : https://docs.google.com/forms/d/1uKQjDd8eYU73Rtg5L6CvB5IlVx8hT7xJcJVRQWvyGYk/viewanalytics
7/ documents de synthèse de l'atelier de conception : https://drive.google.com/drive/folders/1Ih5o4ggcevNAqcwrwDTjxxC0sDR5fReH?usp=sharing
[1] Par exemple : le concept de Pachyderme proposé au XIXe siècle par Cuvier (l'observateur) regroupait entre autres les éléphants, les hippopotames, les rhinocéros. Ce concept de Pachyderme est maintenant scientifiquement obsolète, mais les éléphants, les hippopotames et les rhinocéros existent toujours (l'observé).
[2] Par exemple : si je cherche des clés perdues, je limite les hypothèses sur leur "déplacement" (elles ne sont pas passées par la fenêtre, ou n'ont pas sauté seules au des dessus d'une armoire...).
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