
(Se) former à enseigner la lecture aux allophones du 2nd degré.
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2017-2019
Mémoire professionnel
Discipline : Lettres
Titre : (Se) former à enseigner la lecture aux allophones du 2nd degré.
Auteur : MERCIER Franck
SOMMAIRE
I. GLOSSAIRE DES PRINCIPALES NOTIONS
III. DE LA LECTURE - DES ALLOPHONES
A. Cadre théorique et institutionnel : l’enseignement de la lecture
1. Les conférences de consensus
2. Le Guide fondé sur l’état de la recherche
3. Construire le parcours d'un lecteur autonome
B. Cadre institutionnel et théorique : les élèves allophones nouvellement arrivés en France
1. L’inclusion comme principe de scolarisation
2. Les éana : du lecteur expert à l’apprenti lecteur
3. Des caractéristiques propres ?
IV. MISE EN ŒUVRE DE LA DEMARCHE DE RECHERCHE
B. La commande institutionnelle
C. Méthodologie de la recherche
1. Chronologie de la démarche et outils mobilisés
2. Retour sur les outils et les situations
3. Interprétations des données
A. Légitimité, sentiment de légitimité
2. Les intervenants et les contenus
4. L’évaluation de l’action de formation
E. Projection et développement
I. GLOSSAIRE DES PRINCIPALES NOTIONS
Allophone : C’est un apprenant qui, à l’origine, parle une autre langue que le pays d’accueil et que le système éducatif qu’il fréquente.
Allophone non-lecteur : Ce terme désignera ici un élève allophone qui ne sait lire dans aucune langue que ce soit, y compris sa langue d’origine. « Apprenti lecteur » sera également employé pour désigner un profil d’élève similaire.
Conscience phonologique : C’est la capacité à identifier les composants phonologiques de la langue et à pratiquer des opérations sur ces composants (les localiser, les enlever, les substituer, les inverser, les combiner).
Correspondances graphèmes <=> phonèmes: À chaque phonème correspond un ou plusieurs graphèmes composés d’une, deux ou trois lettres, avec l’apport éventuel de signes diacritiques.
Décodage (ou déchiffrage) : C’est l’action qui consiste à faire correspondre des graphèmes à des phonèmes.
Encodage : C’est l’action qui consiste à faire correspondre des phonèmes à des graphèmes.
FLS : Français Langue Seconde. C’est une langue non maternelle, secondairement acquise, qui servira en France de langue d’apprentissage.
FLSCo : Français Langue de Scolarisation, au carrefour des compétences langagières et des connaissances disciplinaires. C’est la langue de l’Ecole dans toutes ses dimensions et ses richesses.
Graphème : Le graphème est la plus petite unité du système graphique destiné à transcrire les phonèmes. Il est constitué par une ou plusieurs lettres, par exemple : [o] = o, au, eau (3 graphèmes pour un phonème).
Pseudo-mot : Mot dépourvu de sens mais dont la structure syllabique est vraisemblable.
Phonème : Le phonème est la plus petite unité distinctive de la chaine parlée, c’est-à-dire la plus petite unité de son capable de produire un changement de sens lorsqu’on substitue un phonème à un autre.
Comprendre le Principe Alphabétique : C’est comprendre que les lettres et signes diacritiques se combinent, de manière systématique et prévisible, pour transcrire les sons du langage oral. En français, c’est comprendre également que les lettres s’assemblent de gauche à droite.
La maîtrise du principe alphabétique suppose de comprendre qu’à une lettre isolée ou à un groupe de lettres (graphème) correspond un segment du mot oral (phonème).
Syllabe :
- Syllabe orale : Phonème ou combinaison de phonèmes dont le noyau est une voyelle prononcée parfois entourée d’une ou plusieurs consonnes.
- Syllabe écrite : La syllabe écrite s’appuie sur un découpage de lettres axé sur les voyelles graphiques.
II. INTRODUCTION
Empruntons à S. Cèbe et R. Goigoux une formule qui, détournée de son sens premier et ainsi réinterprétée, dressera un pont entre les deux objets d’étude de ce mémoire :
« Lire, c’est traduire », suivie de cette invitation : « On va faire comme si la langue écrite était une langue étrangère (…)».
Lire en langue étrangère. Apprendre à lire dans une langue étrangère.
Enseigner la lecture à des allophones. (Se) former à cette didactique.
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Je suis chargé de mission au casnav de l’Académie de Reims. A ce titre, je contribue à l’animation du Plan Académique de Formation par des actions de formation à destination, notamment, des personnels chargés de l’accueil, de la scolarisation et de l’inclusion des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA).
Inclure dans les classes les élèves allophones, élèves à besoins éducatifs particuliers, peut se révéler certes pédagogiquement stimulant, mais potentiellement déstabilisant. Comme pour tous les profils d’élèves de nos classes, cela nécessite souplesse et bienveillance, adaptation et différenciation. Cela implique, sans aucun doute, de prendre le temps de la réflexion et du partage entre professionnels, le temps de la formation.
Adossant son action au Projet Académique[1], le casnav s’emploie ainsi à « développer chez tous les personnels la maîtrise de gestes professionnels qui permettent une meilleure prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers au cœur de leur classe.»
Mais la scolarisation des éana, je l’ai vécue d’abord comme enseignant-coordonnateur d’une Unité
Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants (UPE2A) en collège, dispositif facilitateur de l’inclusion en classe dite « ordinaire » (selon la dénomination retenue par le Ministère).
Même avec de l’expérience, l’accueil des allophones non-lecteurs restait un moment particulier dans la vie de l’UPE2A, et a fortiori, dans le quotidien des disciplines d’inclusion.
Ma formation de professeur de Lettres, de professeur de Français Langue Seconde, les échanges avec mes homologues coordonnateurs d’UPE2A et mes collègues des disciplines me permettaient d’entrevoir des pistes, mais celles-ci se trouvaient plutôt du côté de la compréhension et de la production orales, du lexique en contexte ... que du décodage, que de la « mécanique ».
Les modalités mises en place n’offraient un cadre professionnel ni satisfaisant ni sécurisant, malgré des réussites d’incontestables. Les échanges avec des enseignants du 1er degré ont été évidemment riches d’enseignement pour moi, mais demeurait un sentiment d’incomplétude.
Désormais, s’il est une question qui préoccupe le formateur que je suis, c’est bien celle de l'accompagnement des allophones non-lecteurs du 2nd degré par la formation des équipes qui en ont la charge.
Les récentes formations de formateurs organisées à l’Ifé-ENS[2], dans le cadre du Plan National de Formation, autour des questions des Allophones d’une part, de la Lecture au cycle 2 d’autre part, m’ont amené à poursuivre ma réflexion sur les moyens qui permettraient aux enseignants des UPE2A de proposer des modalités les plus favorables à l’accompagnement de ces élèves dans une scolarité épanouissante.
D’aucuns évoqueraient peut-être, avec ce profil d'élèves, les limites de l’inclusion. A la suite de J.M
Zakhartchouk, rappelons que pour l’enseignant comme pour le formateur « le pessimisme […] est quasiment une faute professionnelle »[3]. Tenons donc cet état d’esprit à distance.
Dès lors, comment accompagner les enseignants des UPE2A du 2nd degré dans l'enseignement initial de la lecture, et surtout, dans quelle mesure une formation à cet enseignement favoriserait-elle l’inclusion des éana non-lecteurs dans les classes ?
Je me propose d'abord de rappeler le cadre actuel de l’enseignement initial de la Lecture à l’école française. Il sera également essentiel dans cette première partie de définir les profils d’éana accueillis dans les collèges et lycées afin d’interroger les caractéristiques propres des allophones non-lecteurs.
Viendra dans un deuxième temps, la présentation des démarches que j’ai entreprises dans le cadre de ce mémoire auprès des enseignants d’UPE2A afin de recenser leurs pratiques, leurs besoins et de confronter mes hypothèses à leur expérience.
La dernière partie s'intéressera à la stratégie de formation à développer au regard des données analysées et de la demande institutionnelle. Cette mise en tension me permettra de réfléchir aux modalités favorables d’une action de formation utile et efficace.
III. DE LA LECTURE - DES ALLOPHONES
A. Cadre théorique et institutionnel : l’enseignement de la lecture
L’enseignement initial de la lecture est, de par ma formation et mon parcours professionnel, un espace qui ne m’est pas familier. Dans le cadre de cet écrit professionnel, j’ai eu besoin d'actualiser mes connaissances en consultant des écrits de cadrage théoriques et institutionnels.
1. Les conférences de consensus
A la lumière des récentes recherches en linguistique, en psychologie cognitive et en neurosciences, le
CNESCO[4] et l’Ifé ont souhaité prolonger et compléter les constats de la Conférence de consensus
« L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE A L’ECOLE PRIMAIRE » qui avait été organisée par le PIREF[5] en 2003 autour des premiers apprentissages de la lecture.
Ainsi, une nouvelle conférence de consensus, intitulée « LIRE, COMPRENDRE, APPRENDRE : Comment soutenir le développement des compétences en lecture ? » s'est tenue à l’ENS de Lyon en mars 2016. Elle a donné lieu à la rédaction d’une série de recommandations d’un jury pluricatégoriel à destination des professionnels de l’éducation, recommandations qui, comme celles de 2003, ont irrigué la réflexion institutionnelle.
Le travail entrepris en 2016 visait à « améliorer l’apprentissage continu de la lecture et favoriser la compréhension des élèves à partir de supports de lecture variés ». La liste des recommandations générales du dossier de synthèse [annexe I] nous donne à voir l’ensemble des pistes à explorer.
Le champ d'étude s’est élargi depuis 2003. Désormais, il est reconnu unanimement que le développement des compétences en lecture s'inscrit dans un continuum long, et en ce qui nous concerne du moins, tout au long de la scolarité obligatoire. « La continuité de l’apprentissage de la lecture de l'école maternelle jusqu’à la fin de la scolarité, sans rupture inter-cycles » est affirmée par le jury comme un des leviers qui permettra aux élèves français de mieux réussir à l’école.
Autre levier évoqué : la professionnalisation de tous les enseignants par la formation à l’apprentissage de la lecture par les élèves. Les enseignants ainsi formés seraient plus à même d’accompagner les apprentis lecteurs vers l’autonomie par un enseignement explicite des mécanismes et des stratégies à l’œuvre dans l'acte de lire.
Les résultats des études internationales (notamment PISA 2015[6] En ligne : https://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/40/4/depp-ni-2016-38-PISA-2015-comprehension-ecrit-culture-mathematique_678404.pdf )au sujet de la compréhension de l’écrit des élèves français de 15 ans ont sans aucun doute influencé cette démarche d’ouverture au cours des quinze dernières années. Il y est rappelé que le score de la France dans ce domaine se situe juste au dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.
Il est désormais démontré que la compréhension de l'écrit en autonomie, finalité de l'enseignement / apprentissage de la lecture, est conditionnée en grande partie par la vitesse à laquelle le lecteur identifie les mots par le décodage et par l’automatisation de ce processus (Deauviau, Bruno, Espinoza) :
La corrélation entre les résultats en matière de vitesse de déchiffrage et de compréhension d’un texte écrit retient particulièrement l’attention. Si lire c’est comprendre, il semble bien ainsi que ce soit la précision et la fluidité du déchiffrage
qui sont le mieux à même d’assurer la compréhension. ( DEAUVIAU, J. (dir.). (2013) Lecture au CP : un effet-manuel considérable, En ligne : http://www.sciences-sociales.ens.fr/IMG/pdf/rapport_enque_te_lecture_deauvieau.pdf, p 21)
Nous comprenons alors la raison pour laquelle la conférence de consensus de 2016 insiste sur l’apprentissage continué du décodage au delà du cycle 2 dans ses recommandations générales :
L’analyse phonologique et l’étude des correspondances graphèmes / phonèmes [doivent être poursuivies] tant que l’élève éprouve des difficultés à oraliser les mots écrits, ceci tout au long du cycle 2, voire du cycle 3.
Les élèves allophones apprentis lecteurs présents dans les classes des collèges et lycées nous invitent à prolonger cette recommandation bien au-delà du cycle 3.
La recommandation 46 de la conférence, qui fait référence au profil d’élèves que nous étudions, rappelle que « l’accès aux compétences de lecture et de compréhension, nécessaires pour l’accès à l’autonomie, est un objectif prioritaire, y compris pour les élèves potentiellement les plus fragiles ». La recommandation se poursuit ainsi :
La question du déchiffrage reste importante. Tout élève, quel que soit son âge, doit poursuivre cet apprentissage tant qu’il n’est pas parvenu à automatiser les procédures d’identification des mots écrits.
2. Le Guide fondé sur l’état de la recherche
Le guide « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », qui reprend massivement les recommandations de la conférence de 2016, a été présenté en avril 2018 par le MEN afin de servir d’outil pédagogique aux enseignants de CP. Il y est rappelé dans le détail les principes retenus par le
Ministère et énoncé les modalités favorables à l’entrée dans la lecture des jeunes élèves, afin d’atteindre à terme l'objectif de 100% de lecteurs à la fin du CP.
Même si chaque cycle joue un rôle déterminant pour l’élève dans le développement de toutes les composantes de la lecture, c’est bien uniquement la classe de CP, moment charnière de l’apprentissage structuré de la lecture, dont il est question dans ce document de cadrage ministériel.
Reprenons-en ici quelques principes :
L’acte de lire repose sur deux processus fondamentaux et transversaux :
- l’identification de mots écrits qui est spécifique à la lecture,
- la compréhension qui relève de processus généraux non spécifiques à la lecture.
Sur le premier point, S. Dehaene (2007, p339) formule que « L’étape charnière de la lecture, c’est le décodage des graphèmes en phonèmes, c’est le passage d’une unité visuelle à une unité auditive. C’est sur cette opération que doivent se focaliser les efforts ».
Il est nécessaire de mener un enseignement explicite, organisé et systématique des correspondances graphèmes / phonèmes.
Il s’agit également de donner rapidement à entendre et à voir l’organisation des graphèmes et des phonèmes en syllabes - « clés universelles pour la lecture de tous les mots » - afin que l’élève établisse consciemment le lien entre les éléments qui composent la langue. A cet effet, l’élève est encouragé à lire et à prononcer ce qu’il écrit à voix haute.
L’image auditive et l’image orthographique s’autoalimentent par cette dynamique.
Nous parlons avec des mots articulés en syllabes, et nous retrouvons dans la lecture les mêmes articulations syllabiques de ces mots.[7]
La démarche syllabique, parce qu’elle permet une automatisation d’un décodage de qualité, apparaît alors comme la seule capable de permettre aux élèves l’accès au sens de ce qu’ils lisent. De cette automatisation pourront naître le désir et le plaisir du lecteur débutant face aux écrits qu’il rencontre, le plaisir du chercheur de sens / chercheur de code (Chauveau, 1990, p23).
Ecrire est un des moyens pour apprendre à lire
Les sciences cognitives ont permis d’établir que les activités d’écriture menées conjointement aux activités de lecture permettaient une consolidation réciproque des compétences Lire et Ecrire.
L. Sprenger- Charolles écrit qu’« il a en effet été montré que la production manuscrite des lettres permet une meilleure mémorisation des mots écrits et aussi une meilleure reconnaissance en lecture, la mémoire sensorimotrice venant assister la mémoire visuelle ».[8]
Elle ajoute que « grâce à l’écriture, les élèves entrent dans une expérience de la langue qui les conduit à renforcer la perception des mots qu’ils rencontrent en lecture » ou selon la fameuse formule d’A.Ouzoulias, « C'est la main du jeune écriveur qui structure le regard du jeune lecteur ».
Ecrire permet de fixer les lettres, puis les mots, par le geste qui les a fait naître, de rendre la langue visible pour mieux réfléchir sur elle et l’étudier.
« L'écriture oblige à inscrire sur la page les lettres les unes après les autres. Elle conduit ainsi naturellement à l'épellation, c'est-à-dire à un traitement analytique du mot qui dépasse la perception globale » (Ouzoulias, 2004).
G. Chauveau invite en outre à faire écrire l’élève au quotidien afin que celui-ci se détache de sa perception visuelle de la lettre (A, a, a, a..) pour n’en garder que le « concept ». L’élève fera ainsi le tri entre ce qui est pertinent du point de vue linguistique et ce qui n’est qu’esthétique (l’accès à l’invariance perceptive, Dehaene, 2007, p43) ; il améliorera de ce fait sa vitesse de lecture, et sans doute, sa compréhension de l’écrit.
Mais au delà même du geste d’écriture, la démarche de l’élève écriveur-écrivain l’invite à manipuler la langue, à l’organiser, pour donner du sens (faire naître et partager).
Meirieu (2007, p3) résume cette opération par cette formule incontournable : « L’enfant qui écrit est un enfant qui lie ».
3. Construire le parcours d'un lecteur autonome
Le BO spécial 3 du 26 avril 2018, dans la partie intitulée Lecture : construire le parcours d'un lecteur autonome, rappelle dans son préambule que l’une des missions fondamentales de l’Ecole est de « former à la fois de bons lecteurs et des lecteurs actifs ayant le goût de la lecture ».
Le texte se poursuit en affirmant la nécessité de « conduire durant toute la scolarité obligatoire un travail régulier et structuré qui permette aux élèves d'acquérir des automatismes et de maîtriser les mécanismes de la lecture pour lire de manière fluide et aisée ».
Ainsi, le cycle 2, qui était particulièrement représenté dans le guide « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP », n’est pas le seul à être mobilisé dans l’enseignement et la consolidation des fondamentaux, compétences de lecture au premier plan. Nous pouvons penser, a minima, que la classe de 6ème, qui marque la fin du cycle de consolidation, doit contribuer au renforcement de l’automatisation du déchiffrage, comme préconisé dans les recommandations de la conférence de 2016.
Le Ministère publie au printemps 2018, en complément du guide, les 4 priorités pour renforcer la maîtrise des fondamentaux, précisément « destinées aux professeurs des écoles et des collèges ».
Cependant, il n’est plus fait mention que des élèves du primaire dans l’infographie présentant les 4 priorités sur le site ministériel [annexe II].
Est-ce à dire finalement que le travail autour des microprocessus de la lecture, dont le décodage et la reconnaissance de mots, est pensé malgré tout comme relevant uniquement du 1er degré ? Constatons en tout cas qu’un puissant focus est fait sur l’école primaire.
Le site Eduscol, qui accueillait déjà de nombreux documents d’information et d’accompagnement à destination des professionnels de l’éducation, s’est rapidement enrichi de ressources au printemps 2018 « pour accompagner les professeurs en CP 100 % de réussite dans la construction des situations d'enseignement ». Nous pouvons imaginer que ces ressources soient exploitées au delà du cycle visé, dans le cadre de l’UPE2A, et pourquoi pas, lors des heures d’accompagnement personnalisé proposées dans le 2nd degré. J’interrogerai les enseignants des UPE2A des collèges et lycées sur leur connaissance de ces ressources, notamment celles produites à la suite des évaluations de CP pour permettre la remédiation.
Les programmes d’enseignement de novembre 2015 ont été consolidés par le BO du 26 juillet 2018 pour les cycles 2 à 4, réaffirmant particulièrement la place prépondérante de la maîtrise des langages (en référence au domaine 1 du Socle), au premier rang desquels, la langue française, vecteur de tous les apprentissages.
Le tableau synoptique [annexe III] recense les attendus de fin de cycles en Français dans les compétences de Lecture et Compréhension de l’écrit. Notons que le Ministère prévoit d’instaurer des attendus de fin d’année qui compléteront dès la rentrée prochaine les repères déjà présents pour les cycles de la scolarité obligatoire.
Au fil du cursus scolaire, les compétences en lecture évoluent pour s’orienter de plus en plus vers la compréhension, l’interprétation et la production de textes variés, dans tous les champs disciplinaires.
Les travaux menés pour le conseil de l’Europe par l’équipe du didacticien J.C Béacco autour des compétences en Français Langue de Scolarisation (FLSCo) sont à ce propos très riches d’enseignement et invitent toutes les disciplines de l’Ecole à se penser dans leurs dimensions linguistique et langagière. Le Socle commun ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que toutes les disciplines concourent à la maîtrise de la langue et que, par conséquent, la langue doit s’acquérir, lexique et structures, dans toutes les disciplines.
Les formations d’établissement menées par le casnav permettent un espace de réflexion collectif propice au travail autour de ces questions ; l’inclusion des éana sert de porte d’entrée vers la prise en considération de la langue de scolarisation comme bien commun à acquérir et à maîtriser par tous les élèves. Un des rôles de l’école n’est-il pas également d’élargir le répertoire discursif des élèves dans toutes les disciplines (Lecocq, 2018) ? Question rhétorique.
Grâce au tableau synoptique, nous pouvons déjà imaginer la tension entre les attendus de fin de cycles et les éana apprentis lecteurs présents dans nos classes du 2nd degré. Une connaissance fine de ces attendus pour tous les cycles permettra aux enseignants des UPE2A, y compris des lycées, de définir les objectifs à prioriser dans leur enseignement de la lecture et de les faire connaître aux équipes pédagogiques, ainsi qu’aux élèves et à leur famille.
B. Cadre institutionnel et théorique : les élèves allophones nouvellement arrivés en France
1. L’inclusion comme principe de scolarisation
Bien que l’accueil organisé des élèves « migrants » ait été pensé il y a plusieurs décennies, c’est au cours de ces dix dernières années que l’intégration puis l’inclusion des élèves étrangers arrivant sur le territoire français ont été structurées.
Le rapport de l’Inspection Générale de l'Education Nationale de septembre 2009 intitulé « La scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France » a lancé une réflexion sur les nouvelles modalités de scolarisation des éana, qui seront confirmés à cette occasion dans leur statut d’élèves à besoins éducatifs particuliers, relevant d’une situation de handicap linguistique temporaire.
Ainsi, en écho à la résolution du 2 avril 2009 formulée par le Parlement Européen qui recommande aux états membres d’éviter de créer « des écoles-ghettos ou des classes spéciales pour les enfants migrants » et qui incite à répartir les enfants « en fonction de leur niveau scolaire ainsi que de leurs besoins individuels », l’IGEN préconise d’intégrer partiellement les éana en classe ordinaire et d’accompagner leurs besoins linguistiques au sein d’unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A).
La Loi d’orientation et de programme pour l'Avenir de l'École du 23 avril 2005 avait déjà mentionné des « actions particulières » à mettre en place pour l’accueil et la scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France. Les articles L 321-4 et L 332-4 du Code de l’Education, rédigés en 2005 puis confirmés par la Loi d’orientation et de programmation pour la Refondation de l’école de la République de juillet 2013, encadrent l’accueil des éana à l’Ecole. En outre, la Loi de 2013 « réaffirme la nécessité de promouvoir une École inclusive pour tous les enfants, au titre du droit commun. Le principe d’inclusion scolaire et d’accès à une formation de qualité pour tous les élèves est inscrit dans le code de l’éducation, avec une attention portée à la prise en compte des besoins éducatifs particuliers des élèves allophones nouvellement arrivés ».
C’est ce principe que l’on trouvait déjà en germe dans la circulaire nationale d'octobre 2012 au
sujet de l’organisation de la scolarité de ces mêmes élèves :
L'inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de scolarisation. Elle est le but à atteindre, même lorsqu'elle nécessite temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers.
L'objectif légal d'inclusion scolaire et d'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences est celui du droit commun et s'applique naturellement aux élèves allophones arrivants sur le territoire de la République.
En cohérence avec l’affirmation de l’école inclusive, la formation des professionnels de l’enseignement et de l’éducation a été repensée. Un référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation a été rédigé ; il recense les compétences que chaque professionnel doit maîtriser pour l’exercice de son métier.
La prise en compte de la diversité des élèves et, par corrélation, la nécessité de différencier et d’adapter son enseignement aux élèves à besoins éducatifs particuliers y sont confirmées comme des incontournables du métier.
L’inclusion des éana, mais plus largement de tous les profils d’élèves, ne repose donc pas sur le degré d’empathie que chacun d’entre nous éprouve pour la question.
2. Les éana : du lecteur expert à l’apprenti lecteur
Comme le rappelle B. Lecocq (2018) : « si le public ordinaire n’est pas toujours homogène (niveau scolaire, degré de maîtrise de la langue…), le public des EANA se caractérise par une hétérogénéité multidimensionnelle ».
Les élèves allophones ont en commun le fait d’être récemment arrivés en France et d’être en âge d’être scolarisés.
Ils se distinguent en revanche par leur âge et leur contexte d’arrivée, la proximité linguistique de leur(s) langue(s) familiale(s) avec le français, le milieu socioprofessionnel de la famille.
Mais comme le soulignent également les auteurs, à la suite de J.C Rafoni (2007), les paramètres ayant « la plus grande incidence sur la rapidité et la réussite de l'intégration dans le système scolaire français » sont le niveau de scolarisation antérieure à l'arrivée en France, couplé au degré d'acculturation à l’écrit.
Les entretiens et les tests diagnostics, menés auprès des allophones arrivants au sein des Centres d’Information et d’Orientation et des UPE2A, permettent notamment de déterminer le degré de connaissance de l’écrit et, pour les lecteurs, la fluence en lecture dans la langue d’origine.
B. Lecocq (2018, p19) [annexe IV] met en relation les différents profils d’élèves allophones recensés dans les UPE2A et les différentes compétences à développer ou à consolider en lecture.
Aux éana déjà lecteurs, il faudra donner les moyens de transférer les compétences acquises en langue d’origine vers la langue française par un travail plus ou moins conséquent (en fonction de la proximité entre la langue source et la langue cible) autour des correspondances graphophonologiques, du lexique et de l’orthographe dans une approche comparative explicite.
La langue orale française qui a servi de « pré-texte » (Rafoni, 2007) aux jeunes élèves « natifs » n’a pas été utilisée par les allophones, mais la langue d’origine a été utilisée, manipulée et des compétences se sont développées chez ces adolescents, quelle qu’ait été leur relation à l’école. Sur ces points, il sera nécessaire d’interroger les enseignants des UPE2A du 2nd degré de l’Académie pour recueillir leur expérience sur les compétences, « le déjà-là », des éana apprentis lecteurs.
Pour les non-lecteurs, qui se distinguent des autres profils, et a fortiori des « natifs » ayant été scolarisés en maternelle, c’est la conscience phonologique (perception et manipulation des syllabes, des phonèmes…) qui sera à travailler ou à vérifier en urgence, accompagnée d’un travail sur la construction du principe alphabétique (ce que Rafoni appelle malicieusement « passer le mur du son »). J’ajouterai évidemment, en fonction de chacun et sans chercher l’exhaustivité, le graphisme et l’apprentissage de l’écriture des lettres menés conjointement à l’appropriation de l’alphabet.
Que nous dit l’institution sur les objectifs à atteindre avec ce public à qui il manque des prérequis essentiels pour leur permettre de rentrer dans les apprentissages formalisés de l’Ecole ?
La circulaire EANA de 2012, qui fixe aujourd’hui encore le cadre d’organisation, demande aux établissements du 2nd degré de permettre aux « élèves très peu ou pas du tout scolarisés dans leur pays d'origine avant leur arrivée en France (…) d'acquérir les connaissances de base correspondant au cycle III de l'école élémentaire » et pointe évidemment « l'enseignement des bases de l'écrit, en lecture et en écriture »comme une urgence.
Les objectifs visés sont proches alors des compétences de lecture d’un élève natif de CM2 (selon la composition des cycles d’avant 2015) et ce, quels que soient l’âge, la classe d’inclusion et le temps dont dispose l’apprenti lecteur avant de quitter le milieu scolaire. Les échanges avec les enseignants des UPE2A me font penser que des écarts significatifs existent entre les objectifs et les réussites.
3. Des caractéristiques propres ?
Faire un focus sur le public allophone apprenti lecteur, ce n’est pas ignorer les faibles lecteurs « natifs » présents dans les classes « ordinaires » du 2nd degré (faibles compreneurs, faibles identifieurs...). Les démarches et les outils utilisés pour les uns peuvent souvent être mobilisés pour les autres.
Cependant, cette perméabilité ne doit pas faire oublier les paramètres particuliers de l’accompagnement des éana « âgés » dans leur entrée dans un apprentissage structuré de la lecture.
Pour eux seuls, cet apprentissage se fait simultanément à celui du français oral, qui permet l’acquisition du vocabulaire, des structures syntaxiques de base ainsi que la familiarisation avec les phonèmes et la prosodie du français (Lecocq, 2018).
N’oublions pas que le français est, au début de l’apprentissage, une langue totalement étrangère pour l’immense majorité de ces adolescents non-lecteurs, et qu’il faut trouver un intérêt à apprendre à lire dans cette langue alors qu’on ne sait pas lire dans sa propre langue. Cette dimension psychoaffective n’est pas à minorer. L’enrôlement de l’allophone dans l’apprentissage de la lecture dépend de son projet de lecteur renforcé par l’intérêt qu’on aura su susciter chez lui pour cette activité, activité désormais incontournable de son quotidien d’élève.
Si « rien ne peut être acquis sans que l’apprenant ne l’articule à ce qu’il sait déjà »[9], rappelons que rien ne pourra être lu sans que l’apprenant ne l’ait déjà prononcé en contexte (Abdallah-Pretceille, 1982, p 116). Il faudra proposer des situations orales qui fassent écho à un environnement familier. La lecture et l’écriture prendront appui sur des énoncés maîtrisés par les élèves, des énoncés de référence à partir desquels on pourra ensuite explicitement étudier la langue dans son fonctionnement.
Le travail sur un matériau linguistique simplifié et adapté à leur degré de maîtrise de la langue orale, dans des situations de communication issues du quotidien […] pourra les aider à mobiliser leurs efforts sur l’apprentissage du code graphophonologique en allégeant les difficultés spécifiques qu’ils éprouvent pour accéder au sens. (Lecocq, 2018, p30).
Certes, les particularités des allophones apprentis lecteurs ne remettent pas en cause les cadres préalablement cités qui déterminent l'enseignement initial de la lecture. Toutefois, il ne faut pas oublier que les démarches et les principes qui régissent cette didactique sont pensés dans une organisation temporelle particulière, pour des élèves de CP francophones, familiarisés à l’oral scriptural utilisé à l’école et déjà rentrés dans l’écrit, en réception et en production.
Le guide de 2018 précise qu’en CP « Les dix heures [hebdomadaires] prévues par le programme pour enseigner le français sont à verser intégralement à l’apprentissage de la lecture dans toutes les dimensions », dont une quarantaine de minutes quotidiennes, en cumulé, réservées pour les séances de code.
Cette durée conséquente est actuellement difficilement mobilisable dans le 2nd degré compte-tenu des temps d’inclusion en classe ordinaire à respecter et des organisations de service des enseignants des UPE2A qui, rappelons-le, partagent leur temps d’enseignement entre le dispositif et leur discipline de formation initiale.
Dès lors, cette situation peut induire une série de questions pour les enseignants concernés :
comment puis-je accélérer l’entrée dans l’écrit des éana apprentis lecteurs pour les guider rapidement vers l’autonomie ? - et en écho aux objectifs du référentiel du métier - comment sélectionner des approches didactiques appropriées au développement des compétences visées ?
Des interrogations qui entrent en résonance chez le formateur et se traduisent ainsi pour un traitement à deux niveaux :
- Comment accompagner ces enseignants dans l'enseignement initial de la lecture ?
- Dans quelle mesure une formation à cet enseignement favoriserait-elle l’inclusion des éana non-lecteurs dans les classes ?
IV. MISE EN ŒUVRE DE LA DEMARCHE DE RECHERCHE
A. Le contexte académique
De juin 2013 à juin 2018, ce sont 63% d’éana supplémentaires qui ont été scolarisés dans les EPLE de l’Académie de Reims[10], et parmi ceux-ci, un nombre en constante augmentation d’adolescents apprentis lecteurs ou totalement non-lecteurs.
Parmi les pays d’origine des arrivants dans notre Académie, nombreux sont ceux référencés par l’UNESCO comme ayant un taux d’analphabétisme important (Mali, Soudan, Niger, Tchad, République Centrafricaine, Afghanistan, Pakistan…). Les adolescents arrivant de ces pays sur le territoire national sont en grande majorité des Mineurs Non Accompagnés (MNA) ou des jeunes majeurs sans famille à proximité (ce qui ne facilite pas la co-éducation).
Des éana inscrits dans nos classes de collèges et lycées présentent des compétences en lecture extrêmement limitées voire absentes. Ils ont deux profils qu’il est nécessaire de détailler :
D’une part, ce sont des allophones qui ont bénéficié d’un enseignement scolaire, mais qui ont une maîtrise très insuffisante de la lecture et de l’écriture, à cause d’une longue période de déscolarisation ou d’une scolarisation lacunaire. Ils sont alors en situation d’illettrisme, même si en France cette dénomination ne s’applique généralement qu’aux individus de plus de 18 ans. On pourra désigner ces élèves par l'acronyme PSA, c’est à dire, Peu Scolarisés Antérieurement, qui met en relief des connaissances et des compétences fragiles et qui se sont émoussées au fil du temps.
D’autre part, des éana sont effectivement analphabètes, n’ayant pas bénéficié d’un enseignement des compétences de lecture - écriture par défaut de scolarisation ou d’instruction. C’est le cas des élèves appelés NSA (Non scolarisés Antérieurement). Cette caractéristique les distingue de l’ensemble des élèves accueillis dans les collèges et lycées de France. En plus des apprentissages fondamentaux, il sera nécessaire de les familiariser très rapidement au métier d’élève.
Les enseignants des UPE2A du 2nd degré, sur lesquels reposent exclusivement la charge de faire entrer les éana dans la lecture, du moins sur les compétences « mécaniques », se voient alors plus régulièrement sollicités par l’augmentation de ces profils dans les établissements.
Et si l’on veut que les enseignants des classes « ordinaires » mènent une inclusion dynamique et raisonnée des NSA-PSA, il faut sans doute donner aux enseignants des UPE2A les moyens de préparer et de soutenir au mieux cette inclusion. Cela n'exclut pas la formation des enseignants des disciplines d’inclusion, bien évidemment.
L’approche empirique qui pouvait quelquefois permettre d’accompagner les rares élèves NSA-PSA dans l’écrit doit laisser place à une démarche structurée et réflexive qui puisse également être présentée à l’ensemble des équipes pédagogiques. Les demandes « du terrain » ont été fortes et le demeurent.
A cet effet, dès 2014, le Plan Académique de Formation a été mobilisé pour la question et le casnav de Reims a invité le linguiste J.C Rafoni pour une conférence sur les jeunes éana non-lecteurs.
Les enseignants des UPE2A 1er et 2nd degrés de l’Académie se sont vu présenter, sur une journée, le modèle didactique à l’apprentissage de la lecture en Français Langue Seconde élaboré par l’intervenant pour l’entrée dans la lecture des éana du 1er degré [annexe V].
Néanmoins, le 2nd degré avait semblé peu investir ces ressources à l’issue de la venue du linguiste ; « l’écosystème » du 1er degré avait été ressenti comme plus favorable aux outils et aux démarches présentés. Le voyage vers la Zone Proximale de Développement professionnel des enseignants (Goigoux citant Vygotski, 2007) des UPE2A du 2nd degré n’avait pas eu lieu à cette occasion !
En outre, 40% des enseignants de l'Académie intervenant actuellement en UPE2A - 1er et 2nd degrés - n’étaient pas encore présents lors de la formation évoquée, d’où la nécessité de proposer une nouvelle action.
B. La commande institutionnelle
En écho au Projet Académique, Axe 2 – objectif 5 (Faire réussir tous les élèves en reconnaissant la diversité des excellences - Construire des modalités pédagogiques adaptées aux besoins des élèves) une fiche de proposition de module académique a été rédigée au printemps 2018 par la responsable du casnav. Le module de formation été validé et présenté à l’inscription sous l’intitulé « Différenciation Pédagogique – Entrer dans la Lecture et l’Ecriture (EANA) » [annexe VI].
J’en reprends quelques informations afin de les analyser :
1. Public cible
Ce module est à candidature individuelle : tous les enseignants des disciplines d’inclusion sont à ce titre également mobilisables, sans profilage « UPE2A ». Néanmoins, l’ensemble des enseignants de l’Académie intervenant en UPE2A (1er et 2nd degrés) sera convoqué par le casnav comme « public désigné » ; ce stage participant à leur formation continue. Environ 120 stagiaires sont attendus.
Nous ne retrouvons pas la fiche déclinée au niveau départemental en direction des professeurs des
Ecoles. Les services de formation continue des DSDEN m’ont confirmé que seuls les enseignants des UPE2A 1er degré pourraient être retenus. Aucune information de ce fait sur le degré d’intérêt ou les besoins ressentis des enseignants du 1er degré de classe « ordinaire » au sujet de la question de l’enseignement initial de la lecture aux éana n’a pu être recensée.
Seules 8 enseignantes de classe « ordinaire » se sont inscrites pour le 2nd degré (4 professeures de Lettres, 2 professeures documentalistes, une coordinatrice ULIS et une enseignante d’anglais, représentantes de collèges, LGT et LP de 3 départements de l’Académie).
La moitié de ces enseignantes fait son service dans un établissement support d’un dispositif UPE2A, 3 autres enseignantes voient les éana de leur établissement suivre des cours de FLS/FLSco dans une UPE2A voisine, 1 enseignante est engagée dans l’entrée en français des éana de son collège qui ne peuvent avoir accès à une UPE2A. Toutes sont confrontées à l’inclusion d’éana dans leurs cours, mais aucune à un profil non-lecteur en langue d’origine.
2. Objectifs
Selon P.Y Roux (2015), les objectifs d’une formation peuvent relever de 3 domaines :
- L’actualisation des connaissances
- Le renforcement des compétences
- La modification des comportements
Un des « défis » du formateur (Perrenoud, 2001) repose sur la nécessité d’aider les stagiaires à construire des compétences et à s’exercer à mobiliser des savoirs pour agir le moment venu en « connaissance de cause ».
L’objectif de la formation n’est pas ici de former des enseignants de CP. Nous devons envisager cette action comme une proposition de réduire les écarts entre l’existant (enseignants partiellement démunis face à l’enseignement de la lecture, élèves éloignés des compétences de base en lecture) et les attendus (faire de tous les élèves des lecteurs autonomes et épanouis). La mise en place de références communes garantissant une compréhension partagée des processus d’apprentissage, des démarches, des enjeux est un objectif majeur.
3. Contenus de la formation
La forte représentation des enseignants des UPE2A des 1er et 2nd degrés ne doit pas nous laisser imaginer une homogénéité pédagogique de fait. La formation initiale, le parcours professionnel et l’implication dans la formation, l’ancienneté dans le dispositif UPE2A, l’organisation du dispositif sont autant de paramètres qui distinguent les enseignants entre eux.
Il ne faut pas négliger la présence des enseignantes représentant les disciplines d’inclusion des NSA/PSA. Leur degré de familiarité avec les contenus et les démarches de la didactique du Français
Langue Seconde et de la didactique de la lecture, les profils d’éana est sans doute hétérogène ; leur présence invite à la mise en perspective et en questionnement des habitudes des enseignants experts ès allophones.
La densité des contenus relatifs à l’apprentissage initial de la lecture ne devra pas étouffer la réflexion sur les publics spécifiques dont nous parlons, mais la nourrir. Un équilibre sera à trouver pour permettre aux stagiaires d’adhérer à la formation, à la fois en prenant connaissance des principes généraux incontournables qui font consensus et en retrouvant la spécificité des élèves dont il est question.
Ainsi, considérant l’hétérogénéité des profils de stagiaires, les contenus à diffuser en amont de la formation représentent, à mon sens, un paramètre important de l’engagement de chacun lors de la formation. Un apport différencié est à imaginer en s’appuyant sur un espace de partage numérique, où chacun viendra chercher les informations qu’il jugera nécessaires (terminologie relative à la linguistique et aux allophones, attendus de fin de cycle, fiches Eduscol…).
Les savoirs de recherche doivent incontestablement être exposés pour être mis en discussion. C’est la raison pour laquelle, leur présentation sera sans doute à organiser sur les moments de regroupement des stagiaires, c’est-à-dire, au cours des 12 heures de présentiel retenues pour l’ensemble du dispositif.
C. Méthodologie de la recherche
S’appuyant sur les recherches de R. Goigoux, l’Ifé rappelle dans le préambule de son livret[11] que la formation porte en elle trois dimensions indissociables : observatoire (mieux comprendre le travail de l’enseignant pour mieux intervenir), conservatoire (transmettre les savoir-faire du métier) et laboratoire (permettre d’expérimenter pour modifier ses connaissances et ses conceptions).
La première dimension invite à recueillir des données relatives à l’expérience professionnelle du public cible, soit ici, les enseignants des UPE2A de l’Académie de Reims confrontés aux NSA/PSA. Ces enseignants font leur service dans les cycles 2, 3 et 4, ainsi que dans les classes des lycées (LGT et LP).
1. Chronologie de la démarche et outils mobilisés
Je reproduis sous forme de tableau [annexe VII] les outils et les objectifs visés à chaque étape de ma démarche. Je prends à nouveau pour cadre de ma réflexion le référentiel du formateur. Je m’appuie également sur les propositions issues des « 5 directions pour nourrir l’individu et le collectif » présentées dans le livret de l’Ifé dans sa partie « Lire ensemble le réel » [annexe VIII]. La codification des modalités retenues me permettra d’alléger mon propos dans les parties d’exposition et d’analyse des données : E = entretien ; OCE = observation de classe et entretien ; Q = questionnaire.
2. Retour sur les outils et les situations
a) Les observations de classe / entretiens
OCE1 avait pour objectif de me familiariser avec les apprentis lecteurs à la frontière des cycles 1 et 2, cependant que je poursuivais mes lectures de cadrage théorique autour des compétences du Lire - Ecrire. A noter qu’aucun élève allophone n’était inscrit dans l’école.
La durée et le rythme des activités, les compétences développées par les enfants dans le domaine de la lecture - écriture avant le CP étaient directement observables (conscience phonologique, principe alphabétique, consciences lexicale et grammaticale). Cela a participé de mon autoformation.
Les entretiens que l’enseignante m’a accordés ont mis au jour une approche réflexive aboutie de sa part, analysant les gestes pédagogiques mobilisés pour chaque situation de classe, chaque activité menée, mais sans références théoriques assumées, alors même que mes lectures du moment prenaient forme in vivo. J’observais les « savoirs de métier » en action, sans la mention des « savoirs de recherche » dans nos échanges ; cela m’a déstabilisé, il faut bien l’avouer, concernant un domaine « sensible » comme l’enseignement de la lecture.
A la suite de cette observation et de la clôture du premier questionnaire, j’ai organisé deux rencontres avec des enseignantes d’UPE2A du 2nd degré (OCE2 et E1) afin, notamment de les interroger sur la place des activités de production et de compréhension écrites d’une part, de leur connaissance du prescrit, d’autre part.
Cette complémentarité organisée entre l’observable impliquant directement l’individu dans le quotidien de son métier et le déclaratif à distance (questionnaires) m’a paru satisfaisante dans la démarche de collecte de données… à défaut d’autres modalités possibles. En effet, il n’a pas été envisageable de filmer des moments de classe, ni d’enregistrer les entretiens, tant les réserves sur ces approches s’étaient fait sentir.
- Lors de l’entretien 2 (OCE2), je me suis rendu dans un lycée des Métiers dont le très récent dispositif UPE2A accueille des NSA/PSA. L’enseignante m’a immédiatement signifié qu’elle ne s’était pas renseignée sur le cadre actuel de la didactique de la lecture en arrivant sur le poste UPE2A – elle est enseignante contractuelle et effectue l’intégralité de son service dans le dispositif – mais qu’elle avait fait le choix immédiat de travailler par l’entrée syllabique, « lointain souvenir d’un stage en primaire lors de [son] passage à l’IUFM ».
Les activités de développement de la conscience phonologique tel que le comptage de syllabes
(appelées « mots frappés » par l’enseignante et les élèves), les activités de décodage (« les mots fous » pour les pseudo-mots, « quelle lettre, quel son, dans quel mot»), de discrimination des phonèmes en s’appuyant sur la méthode phonético-gestuelle de Borel-Maisonny, d’encodage avec les dictées de mots sur ardoise… tout cela constituait pour l’observateur un ensemble disparate mais qui faisait ses preuves sur des adolescents jusqu’alors éloignés de l’Ecole, puisque tous entraient progressivement dans l’écrit et se repéraient dans les activités proposées. Du côté de l’enseignante, point de références théoriques récentes, ni de programmation définie. Les supports utilisés étaient tous issus de sites pédagogiques d’enseignants du 1er degré ou avaient été créés par l’enseignante du dispositif.
L’inclusion dans les heures d’atelier représentait une réussite ; les inclusions dans les enseignements généraux étaient plus délicates ; un certain nombre de prérequis disciplinaires faisant défaut, selon les remarques les plus fréquemment entendues.
- E1, dernier moment de rencontre avec les enseignants, m’a permis de poser des questions que je n’avais pas envisagées au début de ma recherche, et d’accueillir également des propos d’une grande richesse. Les échanges avec deux enseignantes expérimentées dans l’accueil des NSA/PSA ont été fructueux ; mes questions, nourries d’abondantes lectures et du recensement des données de Q1 et Q2, étaient sans doute plus précises à ce moment de mon expérimentation qu’elles n’auraient pu l’être quelque temps auparavant.
Cet entretien m’a fait découvrir la nomenclature mise en place dans la communication interne à l’établissement pour signifier le degré de maîtrise des compétences de lecture des élèves. A noter que cet établissement est le seul collège de l’Académie depuis de nombreuses années à accueillir un public d’allophones presque entièrement composé de NSA/PSA. Les élèves apprentis lecteurs y sont ainsi désignés par leur niveau de lecteurs-scripteurs selon ces termes « Alpha » et « Post alpha » qui synthétisent un profil et par conséquent renseignent les équipes sur les besoins et objectifs à accompagner.
Néanmoins, il m’a été précisé par les enseignantes que malgré l’histoire de l’établissement et la connaissance des profils d’élèves par les collègues, l’inclusion des éana apprentis lecteurs était timidement mise en place : « accueil, oui, inclusion, pas sûre ! ». Les compétences de lecture acquises au fil du temps en UPE2A par les élèves ne semblaient pas être stimulées lors des heures de présence dans les disciplines. Les questions de l’adaptation et de la différenciation étaient à travailler au sein de l’établissement ; l’entretien que m’a accordé la principale du collège le même jour s’est conclu sur la demande d’une formation d’établissement, à public désigné, pour réfléchir à une inclusion plus dynamique des éana en classe ordinaire.
Les deux enseignantes, également professeures de Lettres et titulaires de la certification complémentaire en Français Langue Seconde, avaient assisté à la conférence de J.C Rafoni quelques années auparavant. Elles ne l’ont pas mentionné au cours de nos échanges. Elles ont en revanche déclaré s’appuyer sur des connaissances acquises au cours de leur formation continue.
Ainsi, l'une d'entre elles a mentionné une formation cycle 3 animée par des intervenants dans le cadre du réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) au cours de laquelle ont été présentés des travaux de S. Dehaene. Elles ont également participé à une conférence autour de la problématique des troubles DYS.
Les attentes formulées par les enseignantes relèvent d’un besoin d’outils récents et adaptés à l’âge des éana (elles utilisent un manuel pour les adultes illettrés étrangers et s’appuient sur les fiches de phonologie du site pédagogique d’un professeur des écoles). Elles souhaiteraient bénéficier d’un temps de partage formalisé avec les collègues des UPE2A. La pérennisation du dispositif avec la dotation actuelle permettant le regroupement des élèves par groupes de besoins, « condition idéale », est également au centre de leurs préoccupations.
A l’issue de l’entretien, les enseignantes m’ont déclaré que ce moment d’échange avait permis « de réfléchir sur ce que l’on fait par habitude ». Elles sont conscientes de l’existence des attendus de fin de cycle 2 et 3 relatifs aux compétences de lecture – écriture, mais n’ont pas éprouvé le besoin de s’en servir comme cadre pour les éana. Elles m’ont dit, en revanche, ignorer l’existence des fiches Eduscol rédigées pour accompagner la remédiation en lecture au cycle 2.
Leur dernier commentaire a porté sur les activités langagières recensés par le CECRL correspondant aux compétences de lecture-écriture [annexe IX]. Le niveau A1 semble le seul atteignable à l’issue des deux années de prise en charge en UPE2A ; des compétences de A2 sont rarement atteintes.
Les entretiens (OCE2 et E1) ont mis en relief d’autres paramètres que les compétences en lecture des élèves et qui semblent retarder ou limiter les inclusions en classe ordinaire. La non connaissance des « règles du jeu » de l’Ecole (dans sa double fonction de formation et de socialisation) et le développement fragile des capacités cognitives comme la mémorisation, le raisonnement, la structuration de la connaissance sont avancés pour expliquer que les temps d’inclusion disciplinaires sont rares pour les NSA/PSA.
Au début de ma recherche, j’étais parti de l’hypothèse que la méconnaissance de la lecture était le problème capital qui limitait l’inclusion des élèves. Les questions de Q1 et de Q2 n’avaient pas pris en compte d’autres problèmes que celui-ci, et finalement avaient risqué de borner la réflexion des répondants. Une question aurait pu ainsi proposer de hiérarchiser les obstacles à l’inclusion, et parmi ceux-ci, la non maîtrise de la lecture.
b) Les questionnaires
J’ai fait le choix du questionnaire anonyme préalable en ligne compte-tenu de son degré élevé reconnu d’acceptabilité par les répondants et de son utilisabilité par le formateur (Ifé, 2017). Les questionnaires, comme les entretiens, ont été précédés de la communication des objectifs de ma démarche : le recensement des données permettant d'enrichir la réflexion académique sur la question de la lecture aux PSA/NSA afin de concevoir une action de formation pertinente.
J’ai préparé le questionnaire (Q1) intitulé « L’enseignement de la lecture-écriture aux éana d'âge
« collège / lycée » sur la plateforme en ligne Askabox. J’ai pris soin de tester ce questionnaire sur 2 enseignants volontaires avant de le mettre à disposition des 60 enseignants intervenant en UPE2A 2nd degré par le biais de leur messagerie électronique professionnelle.
Pour pouvoir établir, malgré l’anonymat, des relations entre les profils de répondants [annexe X] et les réponses, j’ai demandé à chacun des participants d’indiquer son ancienneté dans le poste UPE2A. Ce paramètre m’a semblé important ; il me permettra de définir le degré de corrélation entre les besoins, les blocages, les solutions trouvées et le temps passé dans la fonction.
Comme je connais l’ensemble des enseignants des UPE2A, j’ai pensé l’anonymat comme paramètre permettant d’éviter d’induire des comportements de défense, des postures de justification ou de produire « la bonne réponse ». Néanmoins, certains participants m’ont contacté pour me signifier qu’ils avaient répondu au questionnaire ou qu’ils ne souhaitaient pas répondre à certaines questions. Situation singulière.
Une partie « Commentaires » était systématiquement présente à la suite de chacune des 12 questions obligatoires afin de permettre à chaque répondant de compléter sa réponse ou de commenter la question.
Mon approche s’est modifiée au fil des semaines, à l’issue du recensement des données de Q1. Je me suis tourné vers les UPE2A du 1er degré pour mettre en question l’implicite qui m’avait fait imaginer une urgence moindre dans le besoin d’accompagnement des enseignants de FLS du primaire sur l’enseignement de la lecture.
Ainsi, le questionnaire Q2 [annexe XII] « L'enseignement de la lecture aux éana » a été proposé, selon les mêmes modalités que Q1, aux 30 enseignants des UPE2A 1er degré pour mettre en résonance les expertises et les questionnements des 2 degrés.
Pour les deux questionnaires, 50% des répondants ont une expérience réduite de l’enseignement au sein d’une UPE2A. Malheureusement, je n’ai pas d’information concernant leur ancienneté comme enseignants, ce qui aurait été intéressant pour déterminer si les problèmes rencontrés ou les solutions envisagées par ces professionnels relevaient du degré de professionnalité et d’expertise du métier.
Dans le 2nd degré, soit Q1, 80% des répondants attestaient avoir, au moment du questionnaire, au moins un élève non-lecteur dans l’effectif de l’UPE2A (dont 30% qui déclarent en accueillir plus que 3, jusqu’à 16). Si j’exclus les enseignants nouvellement nommés sur poste, tous les répondants ont déclaré recevoir tous les ans au moins un élève non-lecteur.
Ce sont 77 non-lecteurs allophones qui ont été certifiés présents par les répondants du 2nd degré, dont 10 non-lecteurs francophones à l’oral, ressortissants de pays d’Afrique où le français est langue officielle et / ou administrative. Ces NSA, par définition, ne l’ont pas appris à l’école de façon structurée ; le français faisant partie du répertoire langagier de ces jeunes, mais n’occupant pas la place principale.
Notons que les arrivées d’éana se poursuivent dans l’académie et que les mouvements d‘élèves
(souvent Mineurs non Accompagnés) font que des enseignants sans NSA/PSA à un moment de l’année se retrouvent confrontés à la question.
De leur côté, tous les enseignants du 1er degré interrogés annonçaient accompagner au moins un éana non-lecteur dans son entrée dans la lecture (ce qui compte-tenu de l’âge des élèves en UPE2A
1er degré – entre 6 et 11 ans – n’était pas étonnant ; beaucoup de jeunes élèves découvrant l’école grâce à une scolarisation en cycle 2 à leur arrivée en France).
J’avais rappelé en préambule des questionnaires la définition d’éana non-lecteur afin d’éviter tous malentendus : « un élève allophone qui ne sait lire dans aucune langue que ce soit, y compris sa langue d’origine ».
Bien que ma problématique de départ se concentre sur les élèves et les enseignants des UPE2A du 2nd degré, je mettrai en vis-à-vis les données recueillies des Q1 et Q2 quand cela semblera pertinent pour interroger l’existence de caractéristiques propres au secondaire sur cette question, tant en matière d’obstacles rencontrés, que de leviers ou d’outils mobilisés.
3. Interprétations des données
a) La question des objectifs
Pour rappel, quel que soit son profil scolaire au moment de son affectation, un éana sera accueilli dans un dispositif UPE2A au maximum pendant deux années, à l’issue desquelles il sera inclus, non plus à temps partiel, mais à temps complet dans une classe. Une forte proportion des éana du 2nd degré doit partager son temps entre deux établissements : l’établissement où il est élève en inclusion disciplinaire et l’établissement support du dispositif UPE2A.
Q1 [annexe XI] et Q2 [annexe XII] m’ont permis de proposer aux enseignants de réfléchir sur les écarts qu’ils percevaient entre des attendus institutionnels et les objectifs que leurs élèves apprentis lecteurs pouvaient atteindre.
J’avais défini comme cadre de réflexion les deux éléments suivants :
- les attendus de fin de cycle 2 des programmes de Français dans les compétences de Lecture (en m’appuyant sur les travaux de B. Lecocq qui prend ce cycle comme référence pour les NSA/PSA)
- le niveau A2 du CECRL dans l’activité langagière « Lire et comprendre » (en écho avec les attendus de fin de cycle 4 pour les Langues Vivantes, LV1 et LV2)
A noter que tous les enseignants des UPE2A sont familiers des niveaux du CECRL grâce à la formation délivrée par le casnav de l’Académie.
J’ai pris soin de reproduire pour les répondants, avant chacune des deux questions correspondant aux objectifs, les éléments de cadrage institutionnel relatifs à ces attendus de fin de cycles.
Pour la plupart de vos éana actuellement non-lecteurs, à l'issue de la prise en charge en UPE2A, les attendus de fin de cycle 2 pour la compétence : "Lecture et compréhension de l'écrit" vous paraissentils : accessibles / suffisants pour réussir son inclusion / inaccessibles / dépassables / autre réponse ?
33 % des répondants du 2nd degré jugent inaccessibles ces attendus contre 42 % pour le 1er degré.
Quels paramètres interviennent dans cet écart entre les deux degrés ? Le 2nd degré distingue-t-il correctement les NSA/PSA des éana déjà entrés dans la lecture en langue d’origine ? Les modalités de prise en charge inégalement organisées sur les deux degrés pénalisent-elles les élèves du 1er degré dans la possibilité de réserver des créneaux à l’apprentissage de la lecture ?
Les quatre répondants du 2nd degré qui ont une ancienneté de 9 ans et plus ont jugé ces attendus inaccessibles, ce qui va à l’encontre des réponses majoritaires pour cette question de Q1. Ancienneté lucide, réponse mathématique (plus d’ancienneté = plus d’éana accueillis = plus d’élèves qui n’atteignent pas ces objectifs) ? Les commentaires n’ont pas apporté d’explication. Quoi qu’il en soit, mon hypothèse selon laquelle il aurait pu y avoir une corrélation entre des objectifs ambitieux pour les
NSA/PSA et l’ancienneté de leur enseignant dans la fonction est remise en cause. A noter que les nouveaux arrivés sur poste pensent en majorité que les attendus fixés par le cadre sont accessibles.
Un répondant récemment arrivé sur poste UPE2A met en perspective sa réponse « attendus de fin de cycle 2 accessibles » puisqu’il ajoute : « mais très insuffisants pour une inclusion au cycle 4 », ce qui fait résonance avec les difficultés rencontrées par les enseignantes et partagées lors de OCE2 et E1.
Seuls 16 % des répondants jugent d’ailleurs « suffisant[e]s pour réussir son inclusion » ces compétences de fin de cycle 2 ; un unique répondant pense que les attendus sont dépassables pour les seuls élèves qui sont affectés, à temps complet par conséquent, dans l’établissement support d’une UPE2A.
Pour la plupart de vos éana actuellement non-lecteurs, à l'issue de la prise en charge en UPE2A, la compétence "Lire" du niveau A2 du CECRL vous paraît-elle : accessibles / suffisants pour réussir son inclusion / inaccessibles / dépassables / autre réponse ?
Même constat que pour la question précédente : les répondants « anciens sur poste » du 2nd degré jugent « inaccessible » cette compétence (cf. E1 où le niveau A1 semble le seul accessible pour les enseignantes interrogées). Cependant, une plus forte proportion de répondants que pour la question précédente juge au moins « accessibles » ces compétences de lecture présentées par le CECRL. Le français langue vivante étrangère comme référence plutôt que le français langue de scolarisation ? Un constat d’étape ou une limite d’acquisition ?
b) La question des obstacles et des leviers
- Quels sont les obstacles que vous rencontrez dans l'accompagnement des éana non-lecteurs ?
Deux catégories d’obstacles sont convoquées ici. D’abord, ce qui relève de problèmes didactiques et pédagogiques (manque de formation, manque d’outils pédagogiques adaptés au contexte et au public, gestion de l’hétérogénéité). Ensuite, des problèmes structurels (emploi du temps du dispositif peu favorable à un suivi régulier des élèves, créneaux NSA/PSA non réservés et effectifs du dispositif jugés trop importants). Si les problèmes d’organisation se retrouvent mentionnés, il est à noter que le manque de connaissances et de formation dans l’enseignement / apprentissage de la lecture arrive en tête des obstacles pour mener à bien sa mission auprès des apprentis lecteurs.
- Quels sont les leviers qui favorisent, d'après vous, la réussite de ces élèves dans leur apprentissage de la lecture ?
Cette question ne portait pas sur les compétences déjà présentes chez les éana et qui favorisent leur apprentissage. Il aurait fallu que je réserve un espace dans le questionnaire pour recenser ces compétences. Il s’agissait ici de déterminer les conditions matérielles et pédagogiques qui permettaient la réussite. Comme pendant les entretiens, c’est l’existence d’heures réservées à l’enseignement de la lecture qui est apparue prioritaire (et qui fait écho à la difficulté de gérer l’hétérogénéité très forte de certains groupes d’éana réunis en UPE2A).
Ces problèmes relevant de l’organisation interne de l’établissement ne seront pas résolus pendant la formation « Entrer dans la Lecture et l’Ecriture (EANA) », mais ne peuvent être évacués. Cela fera partie sans doute des passages à risque pour le formateur ; il s’agira de permettre aux stagiaires de réfléchir collectivement aux moyens de servir d’appui pertinent au pilotage pédagogique de l’établissement support d’une UPE2A.
En deuxième position, le recours aux compétences d’un enseignant d’UPE2A du 1er degré dans le 2nd degré paraît être un élément de réponse favorable aux besoins des élèves apprentis lecteurs, tout comme la co-intervention, qui est mentionnée en troisième intention.
Deux commentaires sont intéressants d’autant qu’ils sont formulés par des « nouveaux sur poste UPE2A » qui n’envisagent pas d’externaliser le problème en laissant aux enseignants du 1er degré la gestion des NSA/PSA du 2nd degré, et préfèrent gérer l’hétérogénéité du groupe :
- « La co-intervention s’est, pour l’instant, révélée la technique la plus efficace : elle permet aux nonlecteurs de bénéficier de la dynamique de groupe de l’UPE2A ».
- « La co-intervention d'une autre personne (enseignant de lettre[s], assistant pédagogique ou enseignant du 1er degré) ne peut qu'être favorable ».
c) La question des outils et des supports
Quels sont les outils et supports que vous utilisez pour accompagner les éana non-lecteurs dans l'apprentissage de la lecture-écriture ?
« J’ai créé des supports et des outils » arrive systématiquement en tête des réponses, suivie des manuels de cycle 2. Le 2nd degré mentionne les sites et outils numériques comme appui, ce que l’itinérance des enseignants du 1er degré semble interdire, puisqu’aucune réponse ne les évoque.
Les supports et outils ainsi utilisés sont la plupart du temps des adaptations de manuels destinés à un autre public, à un autre contexte. Il s’agit de méthodes de cycle 2 (notamment pour la progression annuelle qui est présente) ou de méthodes pour adultes étrangers illettrés éditées par la Croix Rouge.
Le numérique est seulement représenté par la fréquentation de sites Internet d’enseignants de cycle 2 de classe ordinaire et de quelques sites académiques des casnav.
Je constate que les ressources institutionnelles pour le CP que l’on trouve sur Eduscol ne sont pas mentionnées par les UPE2A 2nd degré dans la liste des outils mobilisés (sauf par le répondant « 5 ans d’ancienneté »). Le plus étonnant étant sans doute que les enseignants du 1er degré ne nomment pas non plus ces références comme supports mobilisables.
Malgré ses 13 ans d’ancienneté sur poste et la régularité de la présence de NSA/PSA dans l’UPE2A dont il a la charge, un répondant profite de la question pour avouer son incapacité « à accompagner ces élèves ».
4. Discussion
A l’issue de cette analyse et pour reprendre le leitmotiv de l’Ifé en ouverture de nombreuses formations, je pose cette question : « C’est quoi le problème ? »
La « navigation à vue » ne semble pas offrir un cadre de travail rassurant à de nombreux enseignants qui s’appuient sur un cadre mouvant car totalement ou partiellement méconnu ; les principes généraux et les outils propices à la réussite des apprentis lecteurs sont inégalement connus, et ce, dans les deux degrés. Un enseignant du 1er degré me faisait la confidence que « n’[ayant] eu que des
CM2 avant de travailler dans une UPE2A, [il] n’avai[t] jamais enseigné l’apprentissage du code ».
Gageons qu’il n’est pas le seul avec ce profil.
Les questions initiales que j’avais posées comme cadre de réflexion à ce mémoire : « Comment accompagner les enseignants des UPE2A du 2nd degré dans l'enseignement initial de la lecture, et surtout, dans quelle mesure une formation à cet enseignement favoriserait-elle l’inclusion des éana non-lecteurs dans les classes ? » restent valides, mais nécessitent d’être enrichies à la lumière des données recueillies et de la commande institutionnelle.
V. L’ACTION DE FORMATION
Partant du principe qu’« un adulte peut apprendre seul, par tâtonnement, réflexion personnelle, lecture », Perrenoud (2001, p168) affirme que le travail du formateur est d’« accélérer [le] processus d’autoformation, à travers une pratique plus réflexive encadrée, un étayage théorique et conceptuel, des démarches plus méthodiques ». La formation continue comme plus-value, incontournable, mais non comme préalable. L’humilité est de mise dans l’élaboration d’une formation.
A. Légitimité, sentiment de légitimité
La question de ma légitimité sur la question est présente à mon esprit depuis le choix de la thématique de ce mémoire. A part le fait que le sujet m’intéresse comme formateur et qu’il m’a posé problème comme enseignant, qu’est-ce qui justifie que je conçoive une action autour de cette problématique ? Cette réflexion n’est pas anodine et peut se poser sans fragiliser ma loyauté envers les commanditaires de la formation.
P.Y Roux (2015) invite à une approche fondée sur le besoin des stagiaires et non contrainte par les compétences du formateur dans le domaine. Il ajoute que « ce ne sont pas les champs de compétences ou de prédilection des formateurs qui déterminent les thématiques ». Dont acte.
Je me suis alors tourné vers ces principes afin de dépasser mes inquiétudes :
Le formateur ne peut pas être spécialiste de tout, mais il doit sans arrêt faire le vaet-vient entre sa « lecture du monde », organisée par sa propre formation et sa propre expérience, et celle des professionnels avec qui il travaille. (Ifé, 2017, p8)
R. Goigoux ajoute que former, c’est prendre le risque de faire avec ce que l’on sait et ce que l’on est à un moment. Mais si « le formateur, comme l’enseignant, doit assumer d’agir en état d’ignorance partielle […] il n’a pas le droit d’ignorer les principaux acquis de la recherche ».
Mon état actuel de connaissances autour de la problématique de l’entrée en lecture n’est certes plus celui du début de ma recherche. Je me suis nourri de lectures, de rencontres et d’analyses. Mon degré d’ignorance est bien moindre désormais.
Il m’a semblé néanmoins pertinent de me tourner vers une expertise plus consistante que la mienne pour densifier l’action de formation à venir. C’est la raison pour laquelle, j’ai contacté des spécialistes de la question afin que nous concevions ensemble des contenus, diversifiés et complémentaires, susceptibles de répondre aux besoins des différents profils de public attendus.
B. Présentation de l’action
Deux journées sont mobilisables sur l’action de formation. Les intervenants ne pourront pas se déplacer plusieurs fois ; le regroupement de tous les stagiaires sur le même site à chaque journée est la modalité que j’ai retenue par conséquent afin que chacun bénéficie de la totalité de l’action la même année.
La disponibilité des intervenants représente une contrainte importante dans l’organisation de l’action. Les deux journées se dérouleront le 24 mai et le 4 juin 2019 dans une succession des interventions qui fera sens et qui sera présentée aux stagiaires. Je reviendrai sur cette question dans la partie qui traitera des contenus.
Les questionnaires et entretiens menés ont permis de faire émerger des besoins chez les enseignants. J’ai également constaté les manques chez les répondants et mis en tension avec les objectifs du module de formation. Ainsi, les connaissances sur la didactique de la lecture, le rappel du cadre d’intervention et des enjeux, la présentation de démarches et d’outils récents dessinent un contenu incontournable.
1. Le lieu
En m’adossant au référentiel de compétences du formateur qui m’invite à « anticiper les moyens logistiques, les outils et les supports nécessaires à la réalisation de l’action », j’ai imaginé des modalités pouvant offrir un cadre adapté à la formation.
J’ai sollicité en conséquence le site CANOPE de Reims pour accueillir les 2 journées de formation en présentiel.
Outre la présence d’un vaste amphithéâtre pour accueillir le large public attendu, plusieurs avantages m’ont orienté vers ce choix.
D’une part, les ouvrages que présenteront les intervenants seront disponibles à la médiathèque ; un espace de présentation sera réservé pour exposer les supports convoqués par les conférenciers.
D’autre part, après accord des intervenants, j’ai contacté le service audiovisuel de CANOPE qui sera chargé d’assurer la captation vidéo des parties « conférences ». Ainsi cette démarche assurera la permanence des informations pour une utilisation ultérieure (visionnage de séquences des conférences sur d’autres actions de formation avec accès aux présentations numériques commentées des intervenants, retour des stagiaires sur le contenu pour approfondissement par le biais d’un espace M@gistere> dédié, information sur le site académique…).
2. Les intervenants et les contenus
La 1ère journée de formation s’organise autour de la présentation des travaux de L. Corny, docteure en didactique des langues et des cultures, qui exposera sa réflexion sur « L’entrée dans la lecture écriture des élèves allophones NSA : quelle méthodologie adopter ? ».
En réponse à la commande académique, l’intervention débutera par la présentation des processus cognitifs à l’œuvre dans les activités de lecture-écriture. Puis, L. Corny proposera l’analyse d’activités autour du sens et du code issues des travaux de D. de Keyzer[12] pour permettre l’accélération de l’entrée dans la lecture des éana. Je m’appuie sur le référentiel du formateur qui invite à « suivre avec attention les expérimentations et les innovations mises en œuvre ». Ici, je me suis tourné vers l’Académie de Créteil qui expérimente la transposition d’activités de la méthode naturelle de lecture - écriture en direction des allophones « âgés ».
Des séquences vidéo d’enseignants utilisant les outils exposés jalonneront le propos de L. Corny ; cela contribuera à « ramener le réel en formation » (Ifé, 2017).
Un moment sera réservé à la présentation commentée d’ouvrages, notamment d’albums sans texte pour adolescents, comme libérateurs de parole. Suivra une reprise de quelques éléments de la didactique d’apprentissage de la lecture en langue seconde [annexe V] élaborée par J.C Rafoni : la dictée à l'adulte et l'écriture tâtonnée comme transitions vers l'écriture autonome.
A défaut d’un temps d’ateliers, compte-tenu du nombre de stagiaires et du nombre de formateurs mobilisables sur cette journée, des temps de réaction en groupes de proximité sur l’intervention séquencée seront réservés. Cela participera des pauses cognitives nécessaires, y compris ou a fortiori, lors des formations d’adultes ; j’ai déjà expérimenté ces modalités comme stagiaires.
Le 2nd jour de formation, B. Lecocq, qui a coordonné la rédaction de deux ouvrages pratiques relatifs aux compétences du Lire-Ecrire chez les allophones, viendra présenter ses outils : « Entrer dans la lecture en FLS » et « Ecrire en FLS et FLSCO ». Sa venue répond aux besoins formulés par les enseignants et à la « présentation et analyse d’outils pratiques à utiliser en classe », notamment numériques, qui représente un des objectifs de la demande académique.
P. Picard rappelait, lors des formations qu’il encadrait à l’Ifé, que lors de la présentation d’une démarche, on doit également présenter les supports permettant cette démarche, supports qui seront éprouvés par les stagiaires à la lumière de leur expérience. C’est la désormais célèbre formule « Oser les outils ! ». Nous entrons ainsi dans la dimension laboratoire de la formation, selon la nomenclature de R. Goigoux.
Au cours de ces deux journées qui constitueront l’action de formation, je souhaite proposer un parcours, en élargissant le spectre : des NSA vers les autres profils de lecteurs, du français de communication vers le français de scolarisation, avec une gradation dans la maîtrise des compétences de lecture/écriture.
C. Points de vigilance
1. Le prescrit
Comme je l’ai évoqué plus haut, la mise en place d’un espace Padlet14 permettra de partager en amont et en complément du présentiel des éléments de cadrage institutionnels et théoriques.
Toutefois, il serait insuffisant de ne penser le partage de ces éléments que par le biais du Padlet.
La plus-value du présentiel réside à ce moment dans la possibilité de réfléchir collectivement aux dilemmes et aux tensions inhérentes du métier, qui naissent des écarts entre le prescrit et ce que l’on en fait dans le travail « réel » (Ifé, 2017, p8).
Une interrogation à laquelle ma recherche n’a pas permis de répondre demeure : y a-t-il méconnaissance du prescrit par les enseignants (compétences du Socle, attendus de fin de cycle…) ou évacuation du prescrit ?
14 https://padlet.com/franck_mercier1/cmh05sxvhytf
Les échanges liminaires lors de la 1ère journée pourront sans doute permettre d’apporter des éléments de réponse. Cet espace de parole participe de l’entrée en formation des stagiaires, en mobilisant les dimension « faire comprendre » et « faire dire » du référentiel du formateur.
2. La transparence
Un second moment de ce début de formation doit porter sur le partage de données récoltées au cours de ma recherche auprès des enseignants. Cela représente la garantie pour l’ensemble des stagiaires que la formation prend appui sur des informations communiquées et des attentes formulés par eux mêmes ou par leurs pairs. Cela favorise ainsi leur mise en confiance et sans doute de leur enrôlement dans l’action (« installer un environnement bienveillant et sécurisant » du référentiel du formateur).
La formation ne sera efficace que si le formé est volontaire et conscient de ses besoins. Dans le meilleur des cas, ces sentiments précèdent la formation, dans le cas contraire, charge au formateur de les faire naître en présentiel par la stratégie et des techniques d’animation appropriées.
Pour une approche andragogique raisonnée (M.S Knowles, 1990), il ne faut pas oublier certains principes incontournables. La transparence des objectifs, des méthodes et des contenus sont trois facteurs essentiels qui participent de la réussite d’une formation d’adultes. Ainsi, en complément de la présentation préalable du cadre et des enjeux de la formation, un programme sera distribué aux stagiaires pour une meilleure lisibilité de l’action dans sa globalité.
3. L’acceptabilité
Quel écart est acceptable pour les stagiaires entre les finalités visées (inclusion dynamique et épanouissante des NSA en classe ordinaire) et l’existant (des élèves qui entrent dans la lecture pas à pas face à l’exigence de rapidité d’apprentissage à laquelle ils sont soumis) ?
Le parcours entre l’existant (ce que l’on a), l’objectif (ce que l’on peut atteindre) et la finalité (ce que l’on voudrait) représente un véritable problème de métier à gérer. Il faut aider le stagiaire à prendre conscience de ces écarts, de ces étapes afin de ne pas se tromper sur la chronologie des solutions à apporter et afin de réussir à gérer les frustrations (comprendre qu’il est probable que « je n’y arriverai pas tout de suite et pas tout seul ! »).
4. L’évaluation de l’action de formation
Le transfert qui pourrait s’accomplir de la formation vers la classe, ou en d’autres termes, des bénéficiaires directs (les enseignants) en direction des bénéficiaires finaux (les élèves) peut difficilement avoir lieu dans un temps si contraint ; la proximité des deux interventions n’est pas un paramètre facilitant, pas plus que le moment avancé de l’année où se tiendront les deux journées (fin mai-début juin). Les expérimentations en classe et le réinvestissement des ressources à l’issue de la formation devront sans doute être différés à la rentrée prochaine.
N’oublions pas que la finalité de cette formation est de favoriser une inclusion réussie des apprentis lecteurs en classe ordinaire, et que l’impact de la formation ne sera visible qu’après un délai certain, même si une entrée plus rapide dans la lecture peut être manifestement observable.
Quoi qu’il en soit, une évaluation à chaque fin de journée sera proposée aux participants afin de recenser leurs avis sur le degré d’utilité, d’utilisabilité et d’acceptabilité des démarches et ressources présentées.
Il sera matériellement difficile de réajuster, le cas échéant, l’organisation de la 2nde journée à la lumière de l’évaluation de la 1ère journée faite par les stagiaires, compte-tenu de la proximité des deux moments. Néanmoins, à l’image de l’introduction de la 1ère journée, un temps de retour et d’échanges sera réservé à l’ouverture de la seconde partie de l’action.
Une partie « C’est vous qui le dites » est déjà présente sur le Padelt pour permettre les commentaires, en amont, pendant et à l’issue de la formation.
Un questionnaire Q-sort est prévu au 1er trimestre 2019-2020 pour relancer la réflexion des participants de mai-juin 2019 avant la mise en place d’une éventuelle et souhaitable formation Lecture de niveau 2.
D. Question en suspens
Le taux de réponse aux questionnaires Q1 et Q2 me paraît assez faible, puisqu’il est respectivement de 33% pour le 2nd degré et de 40 % pour le 1er degré.
Que faut-il en déduire ?
Ph. Perrenoud (2001, p165) pourrait proposer une réponse assez abrupte en imaginant que « chacun joue la comédie de la maîtrise de son milieu professionnel » et qu’il est insolite de se mettre en danger en avouant ses propres manques. D’où une abstention.
Une autre réponse pourrait se situer du côte de la défiance envers l’institution, une forme de défiance de celui qui s’est « débrouillé » tout seul pour tenter de résoudre les problèmes qu’il a rencontrés, avant qu’on ne lui propose de réfléchir collectivement à ces problèmes, qui sont ceux de nombreux enseignants.
Le manque de temps pourrait également être convoqué, ainsi que l’utilisation restreinte de l’adresse académique comme adresse principale, puis un nombre conséquent d’autres explications plausibles.
Ce qu’il faut retenir, c’est que parmi le public des deux journées de formation, nombreux seront ceux qui n’auront pas répondu à mes sollicitations. Entre les candidatures individuelles, les répondants aux questionnaires, les enseignantes qui m’ont accueilli et les non-répondants, le degré d’engagement dans la formation peut être variable.
E. Projection et développement
Il a déjà été envisagé avec la responsable du casnav de prolonger l’action de cette année,
« Différenciation Pédagogique – Entrer dans la Lecture et l’Ecriture (EANA) », sur l’année 20192020 pour permettre aux stagiaires de partager les acquis de la formation et de poursuivre leur processus de formation.
Ainsi, une formation de niveau 2 pourrait s’articuler autour de la question de la compréhension des écrits (travaux de M.F Bishop, B. Kervyn, L. Corny…) et compléter les contenus abordés précédemment.
Des regroupements départementaux en inter degré seraient cette fois sans doute plus favorables aux échanges et aux travaux de groupes. Le travail avec la formation continue est à mener.
L’ouverture d’un M@gistere inter degré serait d’un appui certain et prendrait le relais du Padlet pour offrir un parcours de formation complet et différencié sur ce sujet.
Cet outil serait un atout supplémentaire pour attirer vers la question de l’enseignement-apprentissage de la lecture des élèves allophones les enseignants des classes d’inclusion, comme le préconisent les rédacteurs de la conférence de consensus de 2016 [annexe I]. Même si cette ambition peut paraître encore éloignée des attentes des enseignants des disciplines, le travail sur l’inclusion des éana de quelque profil que ce soit est à poursuivre.
Je pense également me rapprocher du lycée des Métiers qui m’avait accueilli pour un moment d’observation en UPE2A, cette fois dans une démarche d’accompagnement de la récente coordinatrice et de questionnement des équipes d’inclusion des apprentis lecteurs (avec cette fois un peu moins de guidage dans mon questionnement que lors des questionnaires Q1 et Q2 afin de laisser plus de place à l’imprévu des réponses).
VI. CONCLUSION
Le manque de motivation des élèves, si souvent convoqué en général, est le grand absent des commentaires des enseignants en charge des NSA/PSA. Ne contrarions pas cette envie d’apprendre par des maladresses et des méconnaissances.
Il ne s’agit pas, en un an ou deux, de rendre un apprenti lecteur autonome dans tous les types d’écrit de l’école ; il s’agit de lui permettre de rentrer avec appétit dans la lecture, de le rassurer sur son avenir de lecteur. Il faut assurer le fonctionnement du cercle vertueux : mise en sécurité et en confiance, estime de soi, goût pour l’écrit sous toutes ses formes. Quand on peut, on veut !
Il ne s’agit pas non plus de discréditer, de disqualifier certaines pratiques d’enseignement par une action de formation culpabilisante, mais plutôt de permettre à chaque enseignant de s’engager en conscience dans un enseignement explicite et structuré, avec des objectifs bien définis pour chaque profil d’élève.
Dans quelle mesure une formation à l'enseignement initial de la lecture pour les enseignants du 2nd degré favoriserait-elle l’inclusion des éana non-lecteurs dans les classes ?
La plus-value de la formation réside sans doute dans la possibilité de partager les connaissances les plus récentes, les plus favorables, de poser collectivement les questions qui agitent chacun d’entre nous dans son quotidien de professionnel, d’éprouver des outils à la lumière de notre expérience.
Rendre le processus transparent, aider l’élève à « penser à voix haute » les étapes de son apprentissage, l’accompagner dans la réflexivité et la collaboration, voilà le cadre que nous propose la recherche et qu’il serait regrettable d’ignorer, même avec ce public si particulier d’allophones nonlecteurs.
______________________________________________________
« Bien savoir lire et écrire ne garantit pas automatiquement la réussite dans les autres disciplines, mais, sans ces savoirs, l’avenir scolaire des jeunes élèves est d’avance compromis »[13].
VII. REFERENCES
Ouvrages
- ABDALLAH-PRETCEILLE, M. (1982). Des enfants non francophones à l’école : quels apprentissages ? Quels français ?,
Paris : Armand Colin
- CEBE, S., GOIGOUX, R. (2009). Lector & Lectrix. Paris : Retz
- CHAUVEAU, G., MAYO C. (2004). Il a du mal à apprendre à lire, Paris : Albin Michel
- CHAUVEAU, G. (2008). Le mal lecture, INRP
- DEHAENE, S. (2007). Les neurones de la lecture, Paris : Odile Jacob
- GIASSON, J. (1996). La compréhension en lecture, Bruxelles : De Boeck
- GOIGOUX, R., Cèbe, S. (2006). Apprendre à lire à l’école. Paris : Retz
- KLEIN, C. (dir.). (2012). Le Français comme langue de scolarisation, Canopé-CNDP
- LECOCQ, B. (dir.). (2018). Entrer dans la lecture en FLS, Canopé Edition, collection Agir
- LECOCQ, B. (dir.). (2018). Ecrire en FLS et FLSCO, Canopé Edition, collection Agir
- MEIRIEU, Ph. (2007). Pourquoi est-il (si) difficile d’écrire ? Paris : Bayard
- OUZOULIAS, A. (2004). Favoriser la réussite en lecture : Les MACLE. Paris : Retz
- PERRENOUD, Ph. (2001). Développer la pratique réflexive. Paris : ESF Editeur
- RAFONI, J.C. (2007). Apprendre à lire en français langue seconde, Paris : L’Harmattan Articles
- BUCHETON, D., SOULE,Y. Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées. Éducation et didactique, 3 - n°3, octobre 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011 (p29-48)
- CHAUVEAU, G., ROGOVAS-CHAUVEAU E. (1990). Les processus interactifs dans le savoir-lire de base.
Revue française de pédagogie, (90), janvier·février-mars 1990
- OUZOULIAS, A. (2004). La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture et/ou pour y remédier. In : Comprendre et aider les enfants en difficulté scolaire, coédition FNAME-Retz
Présentation numérique
- ROUX, P.Y. (2015). De l’analyse des besoins à l’évaluation de l’impact [fichier PowerPoint]. BELC. CIEP Sèvres
Rapports et conférences
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En ligne : www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/CCLecture_recommandations_jury.pdf
- GOIGOUX, R. (dir.). (2016/03) LIRE et ECRIRE, synthèse du rapport de recherche. Ifé-ENS Lyon
- GOIGOUX, R. (2016/11). Quels savoirs utiles aux formateurs ?. Centre A. Savary – Ifé-ENS Lyon
Référentiels professionnels
- Bulletin officiel n° 30 du 23 juillet 2015, Annexe1 : Référentiel de compétences professionnelles du formateur de personnels enseignants et éducatifs
- Bulletin officiel n° 30 du 25 juillet 2013. Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation
VIII. SOMMAIRE DES ANNEXES
Annexe I : Recommandations générales du dossier de synthèse – Conférence de Consensus 2016 ……………… i
Annexe II : 4 priorités pour renforcer la maîtrise des fondamentaux ………………………………………………………….… ii
Annexe III : Tableau synoptique des attendus de fin de cycles en Français
dans les compétences de Lecture et Compréhension de l’écrit ………………………………………….…….….. iii
Annexe IV : B. Lecocq (2018, p19) …………………………………………………………………………………………………………………. iv
Annexe V : Modèle didactique d’apprentissage de la lecture en Français Langue Seconde (Rafoni) ……………... v
Annexe VI : Fiche de module de formation PAF Reims 2018-2019 - Différenciation Pédagogique –
Entrer dans la Lecture et l’Ecriture (EANA) …………………………………………………………………………………. vi
Annexe VII : Outils et objectifs de la démarche ……………………………………………………………………………………………. vii
Annexe VIII : Cinq directions pour nourrir l'individu et le collectif – Ifé ……………………………………………………..…. viii
Annexe IX : Tableau des descripteurs des activités langagières (réception et production) –
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues ……………………………………….……………..…. ix
Annexe X : Profils des répondants aux questionnaires …………………………………………………………………………………. xiv
Annexe XI : Questionnaire Q1 ……………………………………………………………………………………………………….……………… xv
Annexe XII : Questionnaire Q2 …………………………………………………………………………………………………………………… xxxiv
Annexe I : Recommandations générales du dossier de synthèse – Conférence de Consensus 2016
En ligne : http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/CCLecture_dossier_synthese.pdf
Annexe II : 4 priorités pour renforcer la maîtrise des fondamentaux
Annexe III : Tableau synoptique des attendus de fin de cycles en Français dans les compétences de Lecture et Compréhension de l’écrit
Annexe IV : B. Lecocq (2018, p19)
v
Annexe V : Modèle didactique d’apprentissage de la lecture en Français Langue Seconde (Rafoni)
Annexe VI : Fiche de module de formation PAF Reims 2018-2019 - Différenciation Pédagogique – Entrer dans la Lecture et l’Ecriture (EANA)
Annexe VII : Outils et objectifs de la démarche
Annexe VIII : Cinq directions pour nourrir l'individu et le collectif16
16 Ifé, Concevoir des formations pour aider les enseignants à faire réussir tous les élèves version 6 novembre 2017
Annexe IX : Tableau des descripteurs des activités langagières (réception et production) – Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
Annexe X : Profils des répondants aux questionnaires
Annexe XI : Questionnaire Q1
Annexe XII : Questionnaire Q2
[1] http://web.ac-reims.fr/books/projet-academique/2018/Projet-academique.pdf
[2] Institut Français de l’Education – Ecole Normale Supérieure
[3] ZAKHARTCHOUK, JM. (2017, 15/02). Enseigner au XXIè siècle [Blog Educpros]
En ligne : http://blog.educpros.fr/Jean-Michel-Zakhartchouk/2017/02/15/pourquoi-si-pessimistes/
[4] Le Conseil national d’évaluation du système scolaire
[5] Programme incitatif de recherche en éducation et formation
[6] DEPP. (2016, 12) NOTE D’INFORMATION n° 38
[7] Guide fondé sur l’état de la recherche - Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP, Avril 2018, MEN , p 22
[8] op.cit. p 41
[9] Meirieu, Ph., (1987). Apprendre, oui, mais comment ? (p10).Paris : ESF Editeur
[10] Rapport d’activités Casnav de Reims, juillet 2018
[11] Centre Alain Savary. (2017, nov). Concevoir des formations pour aider les enseignants à faire réussir tous les élèves. Ifé-ENS, version 6
[12] De Keyzer, D. (1999). Apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte. Paris :Retz
[13] Guide fondé sur l’état de la recherche - Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP, Avril 2018, MEN , p16
-
Étiquette(s) de repérage (mot principal)
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