
La gestion des émotions dans la pratique réflexive de l'enseignant, un levier d'efficacité dans la relation pédagogique.
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2017-2019
Mémoire professionnel
Discipline : Economie et gestion commerciale
Titre : La gestion des émotions dans la pratique réflexive de l'enseignant, un levier d'efficacité dans la relation pédagogique.
Auteur : MINEUR Céline
Sommaire
I. Première partie : CONSTATS ET EXPERIENCE PROFESSIONNELLE
A. Les motivations du thème choisi
1. Le métier d’enseignant : un métier riche en émotions
2. La bienveillance dans l’enseignement
3. Les compétences socio-émotionnelles dans l’action de formation
B. LE QUESTIONNEMMENT LIE A LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE
II. DEUXIEME PARTIE : LE CADRE THEORIQUE
A. Naissance et déploiement du concept d’intelligence émotionnelle
2. Définition du concept d’intelligence Emotionnelle
3. De l’intelligence émotionnelle aux compétences émotionnelles
B. La définition des émotions et leurs rôles dans les processus d’enseignement et d’apprentissage
2. Le fonctionnement des émotions
3. L’apport des neurosciences affectives (conférence 06/02/2019 Catherine GUEGUEN)
A. L’accompagnement : encourager la posture réflexive
B. Des instruments au service de la réflexivité
C. Le journal de bord : un outil d’écriture réflexive ?
Un grand merci à Patricia, ma référente, pour son accompagnement et surtout pour cet appel un soir qui m’a permis de lever un grand nombre de blocages. Tu m’as été d’une aide précieuse.
A Valérie, qui m’a encouragée dans cette démarche de certification. Cela m’a conduit à porter un autre regard sur moi et sur les autres.
A ma famille et mes amis, avec qui j’ai partagé, avec enthousiasme, le fruit de mes réflexions et de mes recherches.
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Introduction
Les métiers de l’éducation et de la formation ont beaucoup évolué en l’espace de quelques années. La notion de compétence s’est imposée dans un grand nombre de pratiques professionnelles se propageant au sein du monde éducatif de la maternelle jusqu’à la formation des adultes.
Le socle commun de connaissances et de compétences définit la compétence comme « une combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité ».
Sur le marché du travail, les compétences sont considérées comme un ensemble de qualités personnelles et d’expériences individuelles qui, au-delà de la formation initiale, permettent de favoriser l’employabilité en fonction des besoins de l’entreprise.
Ce sont bien davantage les compétences, appelées soft kills ou compétences émotionnelles, qui ont envahi le monde professionnel et qui s’apparentent davantage au savoir-être qu’au savoir théorique.
A ce titre, dans son rapport de 2016, le Forum économique mondial prône les bénéfices des compétences émotionnelles en termes d’insertion professionnelle.
Depuis 1980, l’organisation constate l’émergence d’un nombre important de métiers requérant ces compétences, dont plusieurs joueraient un rôle moteur dans la réussite professionnelle et relationnelle en entreprise : la créativité, l’esprit critique, la capacité de communication et de collaboration, l’adaptabilité.
Face à cette nouvelle donne, le système éducatif et tout particulièrement l’enseignement supérieur s’en trouve impacté. Ainsi, au premier plan, les enseignants se trouvent confrontés aux nouvelles exigences du marché du travail corrélé aux exigences de leur propre métier face à l’hétérogénéité des publics, la diversification des parcours, la massification et la démocratisation des études supérieures.
Parallèlement, les prérogatives ministérielles entraînent des changements dans les méthodes d’apprentissages nécessitant aux enseignants de travailler et de coopérer en équipe.
Mais le co-enseignement peut être ardu. Il est porteur de remises en question, de discussions, d'ajustements mutuels, de compromis, de concessions qui peuvent représenter aussi une source de stress : se mettre d’accord génère des émotions et cela suppose d’être capable de les surmonter et de les gérer. Les conflits d'idées peuvent glisser en conflits de personnes.
Face à ce nouveau paradigme, les enseignants sont-ils préparés et formés pour accompagner leurs élèves ? sont-ils préparés à faire face à cet ascenseur émotionnel qui fait partie intégrante de leur quotidien ?
Se connaitre, savoir gérer ses émotions dans un environnement mouvant, un climat scolaire parfois tendu ou hostile où la motivation et le mental de l’enseignant peuvent être soumis à rude épreuve, semblent devenir des incontournables dans des métiers très riches émotionnellement.
Si les compétences émotionnelles font désormais partie du paysage éducatif, il n’en demeure pas moins qu’elles restent encore mal reconnues à leur juste valeur dans la formation initiale et continue. Or, leur prise en compte renvoie à de réelles compétences utiles pour faire face aux adaptations nécessaires et aux changements qui interviennent dans nos sociétés.
A ma connaissance, peu d’initiatives d’accompagnement et d’actions de formation semblent avoir été proposées pour faciliter cette prise en compte des émotions et ainsi participer au développer des compétences émotionnelles des enseignants.
La forte mobilisation, en février dernier, lors de la 3ème journée académique de l’innovation portée par la CARDIE et animée par Catherine Gueguen, pédiatre, précisément sur ce thème des émotions, démontre qu’il existe un vrai besoin et une réelle demande de la part des acteurs du monde éducatif.
Ce présent mémoire traitera d’intelligence émotionnelle, plus précisément dans sa forme plus opérationnelle, des compétences émotionnelles et de leur prise en compte dans la relation pédagogique comme levier d’épanouissement, de bien-être et d’efficacité professionnelle.
La première partie présentera les motivations du thème choisi et les constats qui m’ont amené naturellement à formuler ma problématique professionnelle.
Une seconde partie retracera le cadre conceptuel et théorique malgré quelques raccourcis inévitables.
Enfin la troisième partie portera sur quelques pistes de réflexion sur l’instrumentalisation qui pourrait être menée dans des situations d’accompagnement d’enseignants.
I. Première partie : CONSTATS ET EXPERIENCE PROFESSIONNELLE
A. Les motivations du thème choisi
1. Le métier d’enseignant : un métier riche en émotions
1er septembre 1999, j’obtiens mon premier poste à Lille. Premier poste, premières responsabilités puisque je suis nommée professeure principale d’une classe d’examen et coordinatrice de la section technologique dans un établissement classique et moderne. Pour la jeune enseignante que j’étais, cela constituait déjà un sacré défi à relever. Pour ce premier poste, j’ai été confrontée à des difficultés que je n’avais pas même soupçonnées : l’hostilité du climat scolaire, le harcèlement, l’absence de travail en équipe, les désillusions et la défiance de certains collègues face à l’institution. Toutes les meilleures conditions n’étaient pas réunies pour aborder mon premier poste avec sérénité et confiance.
Ces trois années éprouvantes mais en même très formatrices, m’ont en même temps permis d’apprendre le métier et de trouver les sources et ressources pour ne pas mettre à mal mon énergie et ma motivation. Cet apprentissage, parfois solitaire, m’a permis de développer une personnalité et une capacité à m’adapter à gérer des situations complexes.
Certes, ma formation à l’IUFM m'avait légué des outils nécessaires pour enseigner à mes élèves les connaissances prévues au programme, inculqué les « bonnes et mauvaises pratiques » en face-à-face élève où la neutralité de l’enseignant doit être de mise. Elle m’avait bien moins préparée à appréhender cet enchaînement d’émotions dans mon quotidien.
Dans ces conditions, j’ai appris qu’enseigner c’est développer sa propre individualité, admettre l’incertitude, savoir écouter et renoncer à vouloir modifier l’autre mais plutôt de chercher à faire avec l’autre.
J’ai vécu tout au long de ses années des émotions agréables liées à l’euphorie ressentie après un cours que les élèves ont jugé passionnant mais aussi des émotions négatives lorsque des conflits s’installent et que la colère prend subitement le pas. Certaines situations que je jugeais insurmontables ou irréversibles ne l’étaient que très peu en réalité.
Et combien sommes-nous à avoir vécu frustration et exaspération à la suite d’un comportement irrespectueux d'un élève ?
Très vite, l'émotion nous envahit. Nous sommes en colère après cet élève qui semble tout faire pour nuire au bon déroulement du cours.
Nous nous sentons directement attaqués et réagissons alors spontanément en ridiculisant l'élève en classe ou en le punissant ou en le grondant et ce, malgré notre connaissance des méfaits de notre geste sur l'élève. Dans le feu de l'action et sous le coup de l'émotion, nous ne remettons pas toujours en doute notre lecture de la situation.
Ces actions lorsqu’elles se répètent dans une carrière peuvent mettre à mal notre sentiment d’efficacité et affaiblir la confiance en soi, et entrainer à terme des situations de mal-être, particulièrement importantes dans le milieu enseignant.
Selon Lafortune « Lorsque des émotions envahissent le champ subjectif d'une personne, il peut s'avérer difficile de les contrôler et de les gérer efficacement de manière à choisir une action qui soit efficace, efficiente, appropriée et en cohérence avec soi-même. Nos émotions peuvent « nous tromper, nous faisant estimer que nous avons raison, même lorsque la décision prise se révèle être inefficace ».
Pédagogie et éducation sont les deux faces d’une même pièce. Ignorer les émotions ne les supprime pas.
2. La bienveillance dans l’enseignement
Elle est partout : « la bienveillance au travail », « devenir un manager bienveillant en X points clés », « pour une parentalité bienveillante » etc. On pourrait la définir très simplement comme une « disposition favorable envers quelqu’un » (Larousse)
La loi de refondation de l’École française de 2013 a donné une place forte à la bienveillance dans le cadre de son projet au service de l’école de la confiance.
Elle fait même partie des quinze compétences présentes dans le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, conduisant les futurs professeurs à être capables « d’installer avec les élèves une relation de confiance et de bienveillance ».
Elle invite le corps enseignant à développer de nouvelles postures et pratiques et invite à repenser la dimension collective du métier.
Le mot bienveillance suscitent aussi de vives réactions voire d’émotions lorsqu’elle est évoquée dans certaines situations. Elle frôlerait la démagogie et l’hypocrisie peut-on entendre dire parfois. Pas besoin donc a priori d’une ingénierie pédagogique de haut niveau, ni d’une reconstruction totale de la manière de faire classe… simplement d’avoir une disposition favorable envers les élèves.
Je me suis ainsi posée la question suivante : que recouvre la notion de bienveillance du professeur ? En prolongeant le raisonnement, puis-je manquer de bienveillance envers mes élèves quand les émotions me submergent ? Comment réguler mes émotions qui peuvent à un moment donné entraver ce devoir de bienveillance ?
On le sait les élèves apprennent par mimétisme. Beaucoup sont sensibles à notre façon de parler, de regarder, de sourire, d’agir et de réagir.
Pour Bellisa, « Les enseignants ne sont pas toujours conscients de l’impact affectif qu’ils ont sur leurs élèves. Et pourtant, le professeur joue un rôle primordial dans le développement de leur vie affective et sociale. Un mot d’encouragement, authentique marquera plus sûrement l’apprentissage qu’une sanction ou une critique. A cet encouragement spontané, l’élève acquiert et développe un ressenti de confiance, de fierté et de plaisir. Un encouragement, une appréciation de leur part qui seraient perçus comme des banalités par des adultes, auront chez un enfant en recherche de sécurisation, une valeur inestimable. L’enseignant a ainsi entre ses mains un pouvoir, un « trésor » insoupçonné et pourtant quand il ne l’ignore pas il la redoute. Car lui aussi doute et il en est conscient.
Ce que pense ou dit un élève peut fortement impacter aussi l’attitude et le ressenti de l’enseignant. »
Selon elle, « enseigner c’est avant tout un savoir-faire. Donc un pouvoir d’action sur les choses et sur les êtres. Trop d’enseignants estiment que connaitre ce qu’ils transmettent et transmettre ce qu’ils connaissant sont les bornes nécessaires et suffisantes de leur champ d’intervention. Et ce n’est pas exclusivement du bien-être de l’enfant qu’il s’agit. Le résultat obtenu sera un cadeau pour l’enseignant (…) parce qu’il aura trouvé les mots et le ton qui aident et qui acceptent, parce qu’il aura su s’interdire les mots qui jugent et qui punissent, parce qu’il aura su parler au cœur ».
S’occuper de soi, se percevoir et entretenir avec soi-même une véritable relation bienveillante est un travail constant. C’est à travers cette réalité globale que l’enseignant doit trouver le moyen de transmettre son message. Parce que je suis bienveillant envers moi, je n’ai pas peur de mes émotions, de mes besoins, de mes attentes et de mes convictions.
La bienveillance n’a donc rien à voir avec une sorte de complaisance avec laquelle on l’identifie parfois car, en effet, être bienveillant n’implique pas l’abandon de ses exigences et ses valeurs.
3. Les compétences socio-émotionnelles dans l’action de formation
J’anime des actions de formation : former les enseignants et former des élèves sont deux missions bien distinctes. La différence se trouve dans ce paradigme : on enseigne à un enfant, mais on forme un adulte.
On peut être très bon dans sa classe et ne pas avoir pour autant les compétences pour former des adultes. La question des correspondances entre les pratiques pédagogiques avec les élèves et celles avec les adultes est complexe.
D’un côté, il est possible de reprendre en formation et réciproquement des pratiques de classe
(Travaux de groupes avec rapporteurs, situations-problèmes, etc.), mais le risque est grand d’une transposition mécanique, qui peut conduire aux reproches « d’infantilisation ».
Il est important de contrôler ses affects, le formateur devant lui-même contrôler ses émotions et rester maître de lui-même pour rester maître de sa situation professionnelle.
Il est nécessaire, avant d’animer une action de formation, d’anticiper les différences de points de vue, l'opposition, voire l'hostilité des interlocuteurs, car elles peuvent engendrer des réactions émotionnelles difficiles à réguler.
Face à une objection, le formateur peut ressentir de la peur, de la colère, de la tristesse et risquer alors de perdre le contrôle de la situation, de ne faire plus que répondre « du tac au tac » et, souvent, à la même fréquence émotionnelle que l’interlocuteur. L’enchaînement des questions et des réponses peut devenir une réelle difficulté. Les arguments de l’interlocuteur risquent de l’emporter, simplement parce qu’il ne pilote plus l'échange. Pour répondre de façon adéquate, il est donc important de rester maître de soi.
Accompagner les enseignants suppose que formateur sache appréhender les résistances l’anxiété qui peuvent se manifester à l’idée d’un changement. Il est possible que la formation puisse susciter des angoisses en remettant en cause une pratique professionnelle bien établie.
Les compétences émotionnelles sont d’ailleurs clairement identifiées dans le référentiel de compétences professionnelles du formateur de personnels enseignants et éducatifs (Bulletin Officiel n° 30 du 23 juillet 2015) dans la compétence « Mettre en œuvre-Animer » :
Ø Installer un environnement bienveillant et sécurisant ; ne pas ignorer les répercussions émotionnelles de la formation chez les personnes en formation.
B. LE QUESTIONNEMMENT LIE A LA PRATIQUE PROFESSIONNELLE
1. La problématique
Ces constats m’ont amenée à m’interroger sur les émotions et sur leur place dans le milieu enseignant. Si l’école s’est très longtemps attachée à s’intéresser à l’intelligence cognitive, il est aujourd‘hui admis que des individus manifestement brillants et intelligents (au Quotient Intellectuel élevé par exemple) puissent à l’inverse être dépourvus de sensibilité, d’adaptabilité, d’inaptitude relationnelle, et soient en vrai échec dans leur vie personnelle.
« Le malaise affectif est profond, palpable chez nos élèves et se manifeste de plusieurs façons : repli sur soi, problèmes relationnels, anxiété, dépression, manque de concentration, agressivité délinquance. Rapporté à l’enseignement, notre système éducatif semble comprendre l’urgence de la nécessité de l’apprentissage de la gestion des émotions chez nos élèves » (Haag, 2017).
Un grand programme en plein développement dans les écoles américaines, le “SEL” (Social and Emotional Learning) vise à éduquer émotionnellement les enfants de la maternelle au lycée. Des chercheurs se sont intéressés aux bienfaits concrets de ce programme. Ils ont compilé pas moins de
213 études scientifiques sur le sujet (75 % d’entre elles ont été publiées au cours des vingt dernières années), impliquant 270 034 enfants (57 % d’enfants en maternelle et primaire, 31 % de collégiens, et 13 % de lycéens).
« Les enfants ayant suivi un programme SEL ont développé significativement leurs compétences émotionnelles. Il apparaît notamment qu’ils sont capables, bien plus que ceux ayant suivi un cursus scolaire standard, de réguler leurs émotions, de savoir attendre leur tour, de gérer leur anxiété, leur stress, et de résoudre les conflits en négociant plus subtilement et habilement.
Ils sont plus empathiques, détectent plus facilement les émotions chez eux et chez autrui, sont de manière générale plus positifs et plus respectueux. Ils sont aussi moins sujets à la dépression, moins agressifs et violents. Ils commettent moins d’actes de délinquance. Ils ont plus confiance en eux, affirment leur « leadership », prennent plus facilement des décisions. Les chercheurs montrent en effet que dans les écoles, l’équipe en place est tout à fait capable, à condition d’être formée en amont.
Parce que la relation d'apprentissage met en jeu non seulement des processus cognitifs, intellectuels, mais aussi et surtout des processus émotionnels et affectifs, le vécu affectif de l’enseignant dans la relation pédagogique demeure essentiel mais assez marginalisé au sein de l’institution ».
Notre système éducatif ne doit-il pas s’engager à développer les compétences émotionnelles dans la formation des enseignants ? Si cet apprentissage peut être à l’initiative de chacun en fonction de son appétence et de sa sensibilité, rien ou presque dans la formation des enseignants ne les prépare à dispenser auprès de leurs élèves ce type d’enseignement.
Ce mémoire portera sur la problématique suivante :
« La gestion des émotions peut-elle développer le sentiment d’efficacité professionnelle de l’enseignant et améliorer la qualité de la relation pédagogique ? »
2. Les hypothèses de travail
Je poserai les hypothèses suivantes :
- Hypothèse 1 : L’intelligence émotionnelle est un levier de la réussite scolaire.
- Hypothèse 2 : La gestion des émotions est un moyen d’améliorer l’efficacité relationnelle de l’enseignant.
II. DEUXIEME PARTIE : LE CADRE THEORIQUE
A. Naissance et déploiement du concept d’intelligence émotionnelle
1. Repères Historiques :
Dans l’antiquité, les stoïciens conseillaient de réprimer les émotions, considérées comme un phénomène passionnel, au profit de la raison considérée a contrario plus noble.
Historiquement, Charles Darwin (1832) a cherché à mettre en évidence les émotions semblables entre l’homme et l’animal. D’après lui, nous partagerions les émotions de base de « plaisir, douleur, bonheur et malheur ».
Peu à peu, l’expression des émotions s’est étendue. C’est surtout au début des années 90 que le monde scientifique s’est intéressé aux émotions avec Salovey et Mayer, deux universitaires et psychologues américains qui conceptualisèrent les émotions en « Intelligence Emotionnelle (IE) ».
Si les jalons ont été posés par Salovey et Mayer, c’est véritablement avec Goleman, Docteur en psychologie qui en 1995 a largement popularisé le concept d’Intelligence Emotionnelle avec l’ouvrage devenu un bestseller aux Etats-Unis « L’intelligence émotionnelle, comment transformer ses émotions en intelligence ».
2. Définition du concept d’intelligence Emotionnelle
Salovey et Mayer ont donc été les pionniers à définir le concept d’IE comme "l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres".
Goleman, après plusieurs autres publications telles que "L'Intelligence Emotionnelle, accepter ses émotions pour s'épanouir dans son travail", la définit de la façon suivante : « l’expression intelligence émotionnelle […] recouvre la maîtrise de soi, l’ardeur et la persévérance, et la faculté de s’inciter soi-même à l’action ». Nous nous accorderons à identifier l’IE comme un spectre de compétences, qui dès lors que l’on en prend conscience, permet d’identifier et percevoir ses émotions (réponses physiologiques) afin de mieux s'épanouir (dans sa vie personnelle mais aussi au sein de l'entreprise).
L’IE est donc un ensemble de paramètres importants mettant en avant des compétences inter personnelles et intra personnelles pour utiliser ses émotions (dimensions affectives) et cognitions (acquisition de connaissances) pour être plus compétent au quotidien et notamment dans le monde professionnel.
3. De l’intelligence émotionnelle aux compétences émotionnelles
De plus en plus, les milieux professionnels et divers domaines d'études à travers le monde s'intéressent à la compétence émotionnelle. Toutefois, dans notre système, la compétence émotionnelle semble un aspect encore peu abordé dans les pratiques de formation ou d'accompagnement en formation initiale et continue.
En dépit des différences, un large consensus se dégage autour de l’idée que les compétences émotionnelles réfèrent aux différences dans la manière dont les individus identifient, expriment, comprennent, régulent et utilisent leurs émotions et celles d’autrui. Développer son intelligence émotionnelle revient donc à développer 5 compétences émotionnelles :
D'après Mikolajczak, « le plus important n’est pas d’exprimer ou supprimer ses émotions mais la flexibilité à adopter le comportement le plus adapté au contexte ».
Ses recherches ont prouvé que plus un individu dispose de compétences émotionnelles, mieux il gérera ses rapports sociaux et sa réussite personnelle, tout en ayant moins de risques de stress ou de troubles psychologiques.
Selon l’une de ses études, à compétences techniques et intellectuelles égales, les personnes qui ont de meilleures compétences émotionnelles performent mieux. Meilleures sont les compétences émotionnelles, plus satisfaisantes et durables sont les relations avec les autres (meilleure qualité de la relation et diminution des conflits).
Par ailleurs, l’inclusion d’un module de formation aux compétences émotionnelles à l’école ou au travail aurait un effet bénéfique sur la société (diminution de 10% des dépenses en soin de santé et baisse du niveau de violence)
Selon elle, les compétences émotionnelles de base se distinguent sur trois niveaux :
connaissances, habiletés et dispositions.
- Le premier niveau, celui des connaissances, renvoie aux connaissances implicites et explicites de l'individu à propos de chacune des cinq compétences de base.
- Le second, le niveau des habiletés correspond à la capacité de l'individu à appliquer ses connaissances en situation émotionnelle.
- Le troisième, le niveau des dispositions ou traits réfère à la propension de l'individu à se comporter de telle ou telle manière dans les situations émotionnelles en général.
D’après Goleman, l’intelligence émotionnelle ne peut pas constituer en elle-même un prédicateur fiable de la performance professionnelle, ce sont plutôt les compétences émotionnelles qui reflètent la performance des individus dans le milieu de travail.
Selon lui, « la compétence émotionnelle est une capacité acquise fondée sur l’intelligence émotionnelle et sans laquelle une performance professionnelle hors pair est impossible. Au cœur de cette compétence, on trouve l’empathie c’est-à-dire la capacité à déchiffrer les sentiments d’autrui, un talent pour les rapports humains, qui nous permet de gérer adroitement ces sentiments. »
« Notre intelligence émotionnelle révèle à quel point nous avons su traduire ce potentiel dans nos compétences « sur le terrain ». Un haut degré d’IE ne garantit pas qu’une personne va acquérir les compétences émotionnelles nécessaires à son travail mais indique que cette personne a un excellent potentiel pour les apprendre », nous dit Goleman.
Il développe dans son analyse les caractéristiques d’une personne ayant des compétences émotionnelles élevées (tableau ci-après).
Tableau des 25 compétences émotionnelles
B. La définition des émotions et leurs rôles dans les processus d’enseignement etd’apprentissage
1. Qu’est-ce qu’une émotion ?
On pourrait chercher des heures durant la définition la plus exacte de l’émotion tellement la psychologie et la littérature abondent en la matière. Sa complexité est telle et son champ d’application si vaste, qu’elle nécessite quelques raccourcis et approximations.
Kotsou, chercheur en psychologie des émotions et co-fondateur de l’association
« Emergences » parle « d’une manifestation physique liée à la perception d’un évènement dans l’environnement externe ou dans notre espace mental ». A chaque microseconde, notre cerveau perçoit des milliards d’informations relatives à la perception, au traitement et à la régulation de nos émotions.
L’émotion correspond « à une réaction corporelle agréable ou désagréable de courte durée en réponse à un stimuli interne (une pensée) ou externe (un évènement) ». Dans le langage courant, nous avons tendance à confondre « émotion » et « sentiment ». Le sentiment renvoie plutôt à la prise de conscience de l’émotion et de l’état affectif de l’individu.
Dans les années 70, le chercheur américain Paul Ekam a compilé les émotions d’après leurs effets sur les muscles du visage. Sa recherche a abouti à une liste de 6 émotions de base : la colère, la peur, le dégoût, la joie, la tristesse et la surprise.
D’après lui, ces émotions seraient universellement identifiables par des expressions faciales caractéristiques qui constituent une sorte de langage des émotions.
En 1980, Plutchik identifie huit émotions primaires qu’il regroupe en quatre paires d’opposés polaires (joie-tristesse, colère-peur, confiance-méfiance, surprise-anticipation).
Depuis, plus d’une trentaine d’études ont confirmé le caractère universel de plusieurs familles d’émotions.
Plutchik propose une liste élargie d’émotions de base, une gamme d’émotions positives et négatives qui ne sont pas toutes codées dans les muscles faciaux. Les émotions nouvellement incluses sont : l’amusement, le mépris, le contentement, l’embarras, l’excitation, la culpabilité, la fierté, le soulagement, la satisfaction, le plaisir sensoriel et la honte.
2. Le fonctionnement des émotions
Les émotions sont cruciales et indispensables à notre survie. Elles influencent notre vie toute entière.
Ainsi Damasio affirme que l’émotion agit comme « un guide de la raison » dans son ouvrage « L’erreur de Descartes : la raison des émotions ». Pour lui, « l’émotion ne doit plus être perçue comme altérant la raison mais comme un processus qui guide nos décisions et influence nos jugements dans la vie quotidienne ».
Selon lui, « nos émotions nous aident à affronter des situations et des tâches trop importantes pour être confiées au seul intellect, comme le danger ou des pertes douloureuses. Chaque émotion nous prépare à agir d’une certaine façon ».
Pour l’essentiel, toutes les émotions, confirme Goleman, « sont des incitations à l’action ; ce sont des plans instantanés pour faire face à l’existence que l’évolution a instillés en nous.
Dans notre répertoire d’émotions, chacune joue un rôle spécifique. Par exemple, concernant la peur, elle dirige le sang vers les muscles des jambes qui commandent le mouvement du corps, ce qui prépare à la fuite et fait pâlir le visage, le sang en étant chassé.
Les centres émotionnels du cerveau sécrètent ainsi des hormones qui mettent le corps en état d’alerte, celui-ci étant prêt à agir face à une menace imminente ».
Selon l’auteur, nous aurions deux esprits : un qui pense et un qui ressent. La plupart du temps
esprit rationnel et esprit émotionnel fonctionnent en parfaite harmonie. Il y a d’ordinaire équilibre entre les deux mais quand les passions s’emballent l’esprit prend le dessus, ce qui peut expliquer les coups de violence par exemple. L’interaction de ces deux outils donne naissance à notre vie intérieure. Lorsque les émotions intenses surgissent, celles-ci peuvent rapidement envahir le champ subjectif d’une personne et influencer sa perception des évènements, son attention, ses choix et ses décisions.
Ces éléments théoriques peuvent nous aider à comprendre l’importance de la gestion de ses émotions dans le cadre enseignant.
3. L’apport des neurosciences affectives (conférence 06/02/2019 Catherine GUEGUEN)
Les neurosciences affectives s’occupent de nos capacités relationnelles et de nos émotions alors que les neurosciences cognitives s’intéressent à notre intellect. Les chercheurs ont découvert depuis peu que d’importantes zones du cerveau étaient dédiées à nos relations sociales.
En France, il existe beaucoup de chercheurs en neurosciences cognitives (mémoire, apprentissage, pensée…) mais peu de chercheurs en neurosciences affectives & sociales (émotions, sentiments & capacités relationnelles).
Les émotions sont très importantes. Lorsqu’on y est connecté, on sait qui nous sommes et orientons mieux notre vie. Les émotions sont des signaux, des indicateurs nous permettant de reconnaitre nos émotions et de les verbaliser.
Les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises : elles sont en revanche agréables ou désagréables et émettent dans ce cas un signal pour nous alerter dans quel état d’esprit nous sommes à un moment donné.
Elles représentent la connaissance et la conscience de soi. Un être humain ne se construit que s’il a une connaissance de lui-même. Favoriser l’expression des émotions dès le plus jeune âge est fondamental pour la construction de l’être humain.
Quand, dans l’enfance, il y a humiliation verbale ou physique, l’enfant se déconnecte de ses ressentis pour ne pas souffrir. Toutes les maltraitances poussent l’individu à se déconnecter et donc l’empêchent de se connaître.
L’expression des émotions apaise et régule notre cerveau émotionnel.
Un comportement bienveillant permet la sécrétion d’ocytocine, une hormone qui favorise le développement de la coopération, l’amour, l’amitié, la confiance, l’empathie et la diminution du stress.
Quand on est chaleureux avec un enfant, son cerveau mature et l’ocytocine se sécrète. Il devient empathique à son tour.
SCHEMATISATION DU PROCESSUS DE L’INFLUENCE DES EMOTIONS NEGATIVES
Les adultes empathiques et aimants développent ces structures cérébrales chez l’enfant. Les adultes durs et rigides rendent les enfants agressifs, anxieux, déprimés, susceptibles de succomber aux addictions une fois adultes.
Une attitude chaleureuse, empathique et bienveillante fait maturer le cerveau de l’enfant d’un point de vue intellectuel et affectif.
Gueguen (2018) relève que la bienveillance doit être au cœur des relations entre les élèves et leur enseignant : « Créer des relations bienveillantes et chaleureuses avec les enfants n’est pas réservé à la famille. [...] Cette qualité de la relation a aussi des effets bénéfiques sur les enseignantes et contribue à une atmosphère de confiance et de bien-être favorable à l’apprentissage ».
De nombreuses études réalisées, nous dit-elle, depuis une quinzaine d’années dans les pays européens, les pays nordiques, au Canada ou encore au Japon, se sont penchées sur l’impact spectaculaire de ce développement des compétences socio émotionnelles (…).
Celles-ci permettaient aux enseignants de les protéger du burnout, de les rendre plus compétents, plus épanouis.
L’enseignant qui aura développé ses propres compétences socio émotionnelles va pouvoir les transmettre à ses élèves. Dès la maternelle, les retombées sont positives. Les enfants s’épanouissent davantage, sont plus enclins à coopérer, à s’entraider.
Ces compétences, liées à la réussite scolaire, favorisent également les préapprentissages de
la lecture et de l’écriture.
En 2012, un professeur en psychologie de l’université du Texas confirme dans le cadre d’une recherche que les interventions destinées aux enseignants pour leur permettre de réfléchir à leurs sentiments et à leurs comportements vis-à-vis des élèves augmentent leur capacité de répondre de façon sensible aux enfants et ainsi à diminuer les conflits au sein de la classe.
Les individus qui éprouvent le plus de difficultés à gérer leurs émotions sont ceux qui ont une réactivité émotionnelle élevée et des capacités de régulation faibles.
4. La prise en compte des émotions dans le cadre enseignant : l’exemple d’une enquête doctorale au Québec
Entre 2006 et 2007, une recherche menée par Lafortune et Lafranchise au Québec rend compte des manifestations d’expressions d’émotions ressenties par des enseignants lors de séquences d’enseignement. Onze enseignants hommes et femmes et ayant moins de 2 ans d’expérience ont été observés pendant 12 mois. La collecte et l’analyse des données révèlent :
- Qu’il est inhabituel pour certaines personnes enseignantes (en insertion professionnelle) de prendre en compte les émotions pour comprendre une interaction dans une situation de classe
- Que de nouvelles compétences et connaissances ont été construites au cours de l’accompagnement
- De la reconnaissance de retombées positives dans la relation pédagogique
- Qu’un accompagnement dans une perspective socioconstructiviste axé sur le développement des compétences émotionnelles peut favoriser la prise en compte des émotions parce qu’elles pouvaient les aider à mieux se comprendre et participaient à entretenir un climat de confiance avec les élèves.
Les enseignants auraient mobilisé leurs nouvelles connaissances et réinvesti le fruit de leur prise en compte des émotions dans leurs interventions auprès des élèves. Ces actions semblent avoir eu des retombées favorables pour la relation pédagogique et pour les enseignants eux-mêmes. En effet, la prise en compte des émotions aiderait à prendre du recul face aux situations, diminuerait l’anxiété et l’impulsivité et permettrait d’agir de façon adéquate, efficiente au regard de sa fonction enseignante.
Les pistes de réflexions suggèrent de prendre en compte le développement de compétences émotionnelles par :
- La mise en œuvre de partages entre pairs sur les pratiques vécues
- L’analyse réflexive de ses réactions émotionnelles
- L’analyse de situations problèmes
Certains chercheurs s’intéressent à l’intelligence émotionnelle dans le cadre de la formation des enseignants mais selon Lafortune « les études sont encore peu nombreuses mais si l’on s’appuie sur certains travaux de spécialistes des sciences de l’éducation on s’accorde à dire que les compétences émotionnelles constitueraient des compétences clés pour tout formateur, qui pourrait mettre en œuvre un corpus d’habiletés à mobiliser dans le processus pédagogique ».
A l’aune de ces travaux, ces sujets méritent donc qu’on leur accorde davantage d’attention et qu’on leur fasse une plus grande place dans la formation des enseignants.
III. TROISIEME PARTIE : PISTES DE REFLEXION Soutenir la mise en œuvre de pratiques réflexives par l’instrumentalisation de la gestion des émotions de l’enseignant
Pourquoi et comment traiter les émotions dans l’enseignement ? Peu d’occasions sont offertes aux enseignants de réfléchir individuellement et collectivement au sujet de leurs émotions.
Cette dimension émotionnelle qui commence à prendre de l’essor en France dans l’éducation suppose une grande part d’ouverture de l’enseignant et d’aisance à parler de sa vie émotionnelle mais rien ou presque ne prépare l’enseignant dans sa formation initiale à se questionner à propos de ses émotions et à ses effets dans sa pratique éducative.
Très peu de recherches ont été menées jusqu’à présent afin de comprendre comment ces émotions sont prises en compte chez les enseignants et peu d’initiatives d’accompagnement semblent avoir été instituées pour faciliter cette prise en compte de l’émotion dans le corps enseignant.
Comment accompagner l’enseignant à la gestion de ses émotions négatives et/ou positives, qui peuvent entraver et dégrader sa relation avec ses élèves et mettre à mal le climat scolaire ?
Comment engager l’enseignant dans une démarche individuelle et collective de développement personnel et professionnel ?
Au-delà des outils et pistes de réflexion que nous verrons ci-dessous, il importe d’accompagner l’enseignant et de l’engager dans une démarche réflexive et surtout entrevoir quels réinvestissements il peut en faire dans sa pratique avec ses élèves et quels bénéfices retirer de cet accompagnement pour lui-même et son bien-être.
A. L’accompagnement : encourager la posture réflexive
1. L’accompagnement :
Selon Bellanger, l’accompagnement désigne « la fonction qui, dans une équipe pédagogique, consiste à suivre un stagiaire, à cheminer avec lui durant une période plus ou moins brève afin d’échanger à propos de son action, d’y réfléchir ensemble ».
Maela Paul s’est intéressée à la question de l’accompagnement. Ses travaux ont démontré l’ampleur du défi que représente l’élaboration d’une définition de l’accompagnement.
Selon elle, pour qu’il y ait accompagnement, il doit y avoir prise en compte de la personne et de son vécu. Il faut donc être à l’écoute en l’aidant sans se substituer à elle, à faire un travail de réflexion nécessaire à son cheminement tout en facilitant le dialogue et la réflexion partagée.
La personne qui exerce une fonction d’accompagnement doit être en mesure d’adopter une posture où s’équilibrent trois attitudes : conduire (diriger, enseigner, former) ; guider (orienter, conseiller) et escorter (aider, protéger, surveiller).
L’accompagnement de l’enseignant qui œuvre auprès d’élèves présentant des difficultés de comportement doit prendre en compte le ressenti émotionnel qui est souvent teinté de peur, de colère, de stress.
De fait, quels outils et instruments en formation seraient susceptibles d’accompagner l’enseignant dans sa démarche, de le soutenir dans son développement personnel et professionnel ?
2. La réflexivité
Selon Perrenoud (1996) « n’importe quel être humain est capable de réflexivité ; c’est une condition de régulation de son action. Penser à ses actions en devenir ou réalisées est une caractéristique de tous les êtres humains. Mais, la réflexion exige que j’aille plus loin que ce que je fais quand je réfléchis spontanément dans la vie de tous les jours. Je dois pouvoir valoriser ma réflexion, la rendre consciente et explicite et la mettre en œuvre en recourant à des outils d’analyse ».
Perrenoud fait une distinction entre réfléchir dans l’action, c’est-à-dire pendant que l’on enseigne en classe et réfléchir sur l’action, en dehors du feu de l’action. La question maintenant est celle du « comment » ?
L’analyse réflexive peut se faire à partir de plusieurs dispositifs.
Les instruments proposés ci-dessous s’inspirent de ceux présentés par Lafortune dans ses travaux de recherche : entretiens d’accompagnement de groupe, cahier d’observation, fiches réflexives…
Notons néanmoins qu’aborder les émotions comme la peur, la culpabilité, la honte implique un effort particulier que tous les enseignants ne sont pas prêts à faire. Cet évitement peut s’interpréter comme une mesure de protection et de crainte du jugement d’autrui.
On peut d’ailleurs souhaiter, nous dit Perrenoud (1998) que la pratique réflexive soit la référence des innovateurs, des formateurs, des auteurs de moyens et de méthodes d’enseignement, des cadres et qu’on ne perde aucune occasion de la stimuler, en offrant des lieux et des ressources : séminaires d’analyse de pratiques, groupes d’échanges sur les problèmes professionnels, accompagnement de projets, supervision, aide méthodologique.
B. Des instruments au service de la réflexivité
1. Le partage d’expériences par les entretiens réflexifs (d’après les travaux de recherche de LAFORTUNE)
Démarche :
Description :
- Description de la situation que l’on souhaite analyser
- Exposé de la situation et du problème précis à résoudre
Analyse :
- Le groupe pose des questions à propos du contexte et du problème en vue d’avoir un portrait complexe de la situation
- Le groupe explore les différentes facettes de la situation à examiner : réaction/action ; émotion/sentiment ; cause/effet ; croyances ; valeurs
Réflexion :
- Individuelle
- Collective : partage des visions
- Pistes de solution
Découverte
- Qu’ai-je appris à l’issue de cet entretien, de cet échange
- Prises de conscience
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Supports : FICHES INTERACTIVES ET REFLEXIVES
Activité 1 : Les habitudes réflexives des sujets participants
Objectif : susciter une réflexion sur les habitudes réflexives et l'apport de la réflexion écrite sur sa pratique, chez les sujets participants.
Déroulement de l’activité : entretien de groupe de style groupe-focus Poser les questions suivantes, en groupe :
- Au cours du dernier mois, lorsque vous réfléchissez sur ou dans votre pratique, qu'est-ce qui a été le plus facile pour vous ?
- Au cours du dernier mois, lorsque vous réfléchissez sur ou dans votre pratique, qu'est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?
- Depuis notre première rencontre d'accompagnement, avez-vous réfléchi par écrit ?
- Avez-vous éprouvé des difficultés ou rencontré des obstacles quant à la réflexion écrite ? Lesquels ? pourquoi ?
- En quoi le fait de réfléchir par écrit peut-il être utile pour vous ? pourquoi ?
- Voyez-vous d'autres moyens pour réfléchir à vos actions ?
- Comment réinvestissez-vous vos réflexions dans vos actions ?
- Quelle(s) prise(s) de conscience ou quel(s) apprentissage(s) tirez-vous de cette activité de discussion ?
Activité 2 : ACTIVITÉ INTERACTIVE ET RÉFLEXIVE 2
Titre de l’activité : Aspects pris en compte dans la réflexion sur sa pratique
Objectif : réfléchir sur les aspects pris en compte dans sa réflexion sur sa pratique
Déroulement de l’activité : Demander aux participants, préalablement à la rencontre, de décrire, dans leur cahier d'observation-réflexion, une situation récente de leur pratique dans laquelle ils ont éprouvé de l'efficacité ou de l'inefficacité.
Décrivez une situation récente de votre pratique (environ une demi page)
En équipe de deux (60 minutes) :
- Tentez d'analyser, à tour de rôle (30 minutes pour chacun), vos situations décrites : notez, au fur et à mesure, les éléments principaux de votre analyse dans votre cahier d'observation-réflexion.
- Une fois que vous avez analysé vos situations, prenez la grille d'analyse proposée et répondez individuellement aux questions suivantes (fiche réflexive) :
- Quelles parties de la grille retrouvez-vous dans votre réflexion ?
- Quels aspects avez-vous tendance à prendre en compte pour réfléchir sur vos actions ? Et quels aspects avez-vous plutôt tendance à occulter ? Pourquoi ?
- Qu'est-ce que cet exercice vous révèle à propos de votre façon de réfléchir sur vos actions ? Autrement dit, est-ce représentatif de votre façon de réfléchir habituelle ?
- Si non, dites ce qui est différent.
Inviter les participants à partager et à discuter à propos de leurs découvertes au sujet des aspects qu'ils prennent ou non en compte dans la réflexion sur leur pratique.
MODÈLE DE GRILLE DE RÉFLEXION : COMPRENDRE LES COMPOSANTES DE MES ACTIONS
Activité 3 : TRAME POSSIBLE DE L’ANALYSE REFLEXIVE
- Décrire de manière détaillée une situation où des émotions ont rendu FACILE ou DIFFICLE une séance de cours :
- Quelles étaient les émotions ?
- Pour quelles raisons ces émotions ont-elles émergé ?
- Comment ces émotions ont-elles influencé votre façon agir dans cette situation ?
- Quels ont été les effets et résultats des émotions dans cette situation ?
- Considérez-vous avoir été EFFICACE ou NON dans cette situation ?
- Si vous aviez à revivre ce genre de situation, de quelle(s) façon(s) pourriez-vous prendre en compte vos émotions pour :
- Réfléchir dans l'action tout en vivant ces émotions ?
- Agir de manière efficace et compétente dans l'action tout en vivant ces émotions ?
Source : © Nathalie Lafranchise, 2006.
Inspirée du modèle de Bourassa, Serre et Ross (2003). Apprendre de son expérience, Sainte-Foy, PUQ.
Activité 4 : CANEVAS D'ENTRETIEN
- Par rapport aux situations que vous avez analysées, voyez-vous une évolution ?
- Si non, pourquoi ?
- Si oui, qu'est-ce qui a changé ?
- Comment évaluez-vous votre cheminement par rapport à la profondeur et la complexité de votre réflexion ?
- Comment évaluez-vous votre degré d'engagement dans votre cheminement ?
- Quels éléments des rencontres ont pu contribuer à votre cheminement ?
- Quels éléments ont pu nuire à votre cheminement ?
- En quoi la réflexion collective (en groupe) a-t-elle été utile pour votre cheminement ?
- En quoi la réflexion individuelle (écrite) a-t-elle été utile pour votre cheminement ?
- En général, en quoi cette expérience a-t-elle été utile pour vous ?
- Quels éléments de l'accompagnement ont été favorables à votre cheminement ?
- Quels éléments de l'accompagnement ont nui à votre cheminement ?
- Quel réinvestissement dans la pratique ?
- Si non, pourquoi ?
- Si oui, comment et quand ?
- Avez-vous des exemples ?
- En quoi ces apprentissages vous seront utiles ? ?
Source : © Nathalie Lafranchise, 2006
2. Le journal de bord : un outil d’écriture réflexive ?
Les observations consignées dans un journal de bord peuvent être professionnalisantes car elles contribuent à la construction d’une identité professionnelle, d’un « habitus » de praticien réflexif
(Schön) et au développement d’une plus grande adaptabilité. L’enseignant entre un processus de formation qui lui permet de théoriser sa pratique et met en pratique sa théorie.
Ecrire ses pratiques impliquent que l’enseignant praticien accepte de parler des difficultés qu’il rencontre, de ses réussites, de ses échecs de ses inquiétudes et de ses obstacles.
Voici les instructions formulées selon le paradigme de Pennebaker (2000) :
- Trouver un endroit et un moment où nous ne serons pas dérangés
- Ecrire un sujet de ce qui nous préoccupe, de ce que nous avons tendance à éviter et qui influence négativement son quotidien (le climat de classe par exemple)
- Ecrire au minimum 15 minutes par jour pendant au moins 3 jours consécutifs
- Ecrire continuellement sans s’inquiéter de la grammaire, du style et sans se censurer.
- Si c’est plus facile, utiliser un dictaphone pour parler au lieu d’écrire
- Revoir ce que l’on a écrit de temps en temps afin de voir comment notre pensée a pu changer par rapport à nos émotions
Si l’on s’appuie sur les travaux de Pennebaker, tenir un journal de bord permet de :
- Clarifier son vécu
- Prendre conscience de ses réussites
- Préparer un entretien
- Souligner ce qui est important
- Identifier et nommer son ressenti
IV. Conclusion
La profession enseignante évolue au fil du temps : L’enseignant, au-delà de l’aspect pédagogique et didactique, doit développer des compétences émotionnelles avec ses élèves, ses collègues, sa hiérarchie.
Plus que jamais, l’enseignant est confronté à relever de nombreux défis pédagogiques. Face à la montée du stress, l’épuisement professionnel, il s’avère important d’offrir des activités de formation sensibles au vécu émotionnel des enseignants afin qu’eux-mêmes puissent les transférer dans leurs propres pratiques pédagogiques. Toute la difficulté du formateur réside dans la compréhension et l’anticipation qu’une telle démarche puisse entrainer quelques résistances et réticences de l’enseignant.
Depuis quelques années, le monde de la recherche en éducation s’est saisi de la question des émotions dans l’éducation pour en faire un véritable objet de recherche.
Néanmoins, même si la communauté scientifique reconnait la place des émotions dans les apprentissages, force est de constater, qu’un certain scepticisme règne encore considérant comme farfelu toute tentative de prise en compte des émotions dans certaines situations.
Le débat est actuel et vivant. L’entreprise a compris l’urgence quant à la prise en compte de l’intelligence émotionnelle au travail. Selon le Forum économique mondial de Davos, l’intelligence émotionnelle fait partie des 10 compétences clés requises par les organisations à l’horizon 2020.
Il incomberait peut-être à la communauté scientifique de déterminer maintenant comment passer d’une perspective descriptive à une perspective appliquée.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
OUVRAGES
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Kotsou, I. (2015) petit cahier d’exercices d’intelligence émotionnelle, Editions Jouvence
Mikolajczak, M., Quoidbach, J., Kotsou, I., Nélis D., Les compétences émotionnelles, Paris Dunod (2015)
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ARTICLES
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Lenoir Y., Réfléchir dans et sur sa pratique, une nécessité indispensable- Outil nº 1, sociologie Professeur titulaire, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’intervention éducative
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PAUL Maela (2004) LE CONCEPT D'ACCOMPAGNEMENT - Note de synthèse dans le cadre du programme d'animation du C2R Bourgogne, thématique "Accompagnement et formation".
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WEBOGRAPHIE
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THESE ET MEMOIRE DE RECHERCHE
Lafranchise, N. 2010, Analyse du cheminement de personnes enseignantes au plan de la compétence émotionnelle et de sa prise en compte dans le contexte de l’insertion professionnelles et d’une démarche d’accompagnement dans une perspective socioconstructiviste – Université du Québec à Montréal
http://www.archipel.uqam.ca/3686/1/D1948.pdf
Visentin, M-P., 2015, La prise en compte des émotions des élèves pour favoriser les enseignements et les apprentissages dans le processus de formation des professeurs stagiaires », Mémoire de master Université/ESPE de Toulouse Jean-Jaurès.
http://dante.univ-tlse2.fr/id/eprint/396
CONFERENCES
Catherine Gueguen - Journée Académique de l'Innovation 06/02/2019 (CARDIE REIMS), Conférence de Catherine GUEGUEN, « l’apprentissage de la gestion des émotions un puissant levier de la réussite scolaire »
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