FAVORISER L’ENTREE DANS LA DEMARCHE REFLEXIVE DES ETUDIANTS STAGIAIRES PREMIER DEGRE EN FORMATION INITIALE
Géographie
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2018-2020
Mémoire professionnel
Discipline : Histoire-Géographie
Titre : FAVORISER L’ENTREE DANS LA DEMARCHE REFLEXIVE DES ETUDIANTS STAGIAIRES PREMIER DEGRE EN FORMATION INITIALE
Auteur : LENOIR Marion
Table des matières
1.1 Constats sur le rapport des étudiants-stagiaires à la formation
1.3 Place de la réflexivité dans le cadre de la formation des enseignants
1.3.1 Le cadre de la formation professionnelle des enseignants
1.3.2 Pourquoi former des enseignants réflexifs ?
2.1.1 Le « praticien réflexif » : de quoi parle-t-on ?
2.1.2 La réflexivité : obstacles / conditions de développement
2.2 Favoriser la motivation et l’engagement
2.2.1 Les ressorts de la motivation et de l’engagement
2.2.2 Comment influencer cette dynamique motivationnelle ?
2.3 Développer une réflexivité en formation : une dynamique collective
2.4 Former à la pratique réflexive : une variété de déclinaisons pratiques
2.5 Problématique et hypothèses opérationnelles
2.5.2 Leviers d’action possibles pour le formateur
2.5.3 Hypothèses opérationnelles
3.1 Contexte / présentation du dispositif
3.4 Présentation des résultats
3.5 Validation des hypothèses / discussion
4 Pistes d’actions au vu des résultats
Remerciements
Je tiens ici à remercier Mme Batteux-Baillon et M. Mabile, IA-IPR d’Histoire-Géographie, qui m’ont encouragée à entreprendre cette démarche de certification. Mes remerciements s’adressent également à mes collègues qui m’ont soutenue tout au long de ces deux années et dont les conseils m’ont été précieux, ainsi qu’à ma famille, en particulier mon conjoint et mes enfants, qui ont su faire preuve de beaucoup de patience et d’abnégation.
Introduction
« La leçon d’Histoire s’est bien passée avec les élèves. Ils ont tous bien compris et réussi les activités proposées ». Tout est dit. Pourquoi revenir sur ce qui a été fait en classe ? La discussion est close avant même d’avoir commencée.
Enseignante dans le second degré depuis vingt ans, je suis en charge depuis quelques années de la formation en Histoire-Géographie des étudiants de Master MEEF premier degré à l’Inspé, en demi-délégation rectorale, et j’ai souvent entendu ces mots dans la bouche des étudiants-stagiaires. Ils sont le reflet, pour eux, de leur difficulté à porter un regard distancié sur leurs expériences vécues en classe, et, pour moi, de mes difficultés à les rendre véritablement acteurs de leur formation, dans le cadre de l’alternance. A mes sollicitations de partages d’expérience sont fréquemment opposées des attitudes passives ou d’évitement. Cela me pose question. Une véritable frustration naît de cet écart entre ce que devrait être la formation, telle qu’elle est conçue dans les textes de cadrage de formation des enseignants, et ce que je parviens à en faire. De cette insatisfaction est née l’idée du présent mémoire.
Depuis une vingtaine d’années, la réflexivité est au cœur de toutes les réformes concernant la formation professionnelle des enseignants et le nouveau référentiel de formation intitulé « Former l’enseignant du XXIe siècle » (juillet 2019) affiche clairement l’objectif de « former des praticiens réflexifs ». Réfléchir et échanger sur ses pratiques professionnelles afin de les améliorer dans le but de mieux répondre aux besoins des élèves est une compétence centrale du métier d’enseignant, et pourtant, les dispositifs de formation visant son développement ne semblent pas rencontrer l’adhésion des étudiants-stagiaires. Il semblerait qu’il y ait un écart entre les intentions des formateurs et les attentes des formés. Ce constat interroge d’une part le rapport des enseignants novices au métier et à la formation, en particulier aux dispositifs visant le développement de la réflexivité, et d’autre part les pratiques du formateur. Le travail de certification, dans lequel je me suis engagée sur les conseils de Mme Batteux-Baillon et M. Mabile, IA-IPR d’Histoire-Géographie, est l’occasion de mener une réflexion plus approfondie sur ce sujet.
Est-ce à la réflexivité que les étudiants-stagiaires résistent ou à ce qu’elle implique ? Comment le formateur peut-il tenter de lever ces résistances et favoriser l’engagement ? Il s’agira ici de chercher à mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre et de revisiter, à la lumière des apports de la recherche, mes pratiques de formatrice en proposant et en expérimentant des pistes d’action susceptibles de favoriser l’entrée dans la démarche réflexive des étudiants-stagiaires.
1 Problème professionnel
1.1 Constats sur le rapport des étudiants-stagiaires à la formation
En formation initiale, dans le cadre de la maquette de Master MEEF 1er degré à l’Inspé, dix heures sont consacrées en Master 2 à la régulation des enseignements en Histoire et Géographie entre septembre et décembre. Celle-ci est fortement articulée avec le stage et la pratique professionnelle puisqu’un de ses objectifs principaux est l’analyse collective de situations d’apprentissage mises en œuvre par les étudiants-stagiaires en stage de responsabilité. Cela vise, entre autres, le développement d’une des compétences du référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation : «14. S'engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » dont une des déclinaisons est « réfléchir sur sa pratique -seul et entre pairs- et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action » (Arrêté du 1-7-2013, BO n°30 du 25 juillet 2013). L’évaluation est constituée d’un dossier d’analyse réflexive d’une situation professionnelle choisie par les étudiants-stagiaires. Cette formation repose sur une participation active et volontaire des formés mais aussi sur la capacité du formateur à favoriser celle-ci.
En charge de cette formation, mes collègues et moi constatons depuis plusieurs années la difficulté de nombreux étudiants-stagiaires à parler de leur pratique et à la donner à voir, au formateur comme à leurs pairs. Afin de favoriser le lien entre le terrain et le centre de formation, et d’ancrer la formation dans des situations authentiques, il est demandé aux formés de rapporter des « traces » observables de leur activité en classe et/ou de celle de leurs élèves : photographies de tableau, d’affichages, travaux écrits par exemple. Il est bien précisé que l’objectif n’est pas de juger leur travail, mais de disposer de supports concrets pour réfléchir ensemble sur leurs pratiques et les faire évoluer. Il est même proposé de rendre anonymes les traces fournies pour ceux qui le souhaiteraient. Or la plupart des étudiants-stagiaires mettent en place des stratégies d’évitement pour ne pas les donner à voir : « j’ai oublié », « je ne savais pas », « je n’ai pas eu le temps », « tout a bien marché en classe, alors je me suis dit que ça ne servait à rien que je ramène ce que les élèves ont fait », ou tout simplement baissent la tête, espérant ainsi se faire oublier du formateur. Ces « gestes de résistance » (Jean & Etienne, 2013, p.194) posent question.
1.2 Hypothèses initiales
Comment expliquer ces difficultés des étudiants-stagiaires à se projeter dans l’action et à partager avec leurs pairs et le formateur ? Chaque individu est singulier et a une manière personnelle de vivre sa formation. Aussi plusieurs hypothèses sont envisageables pour tenter de comprendre ces phénomènes de résistance. Seules trois sont présentées ici.
- La peur du jugement des pairs et du formateur semble l’une des hypothèses les plus prégnantes. En invitant les étudiants-stagiaires à montrer des traces de leur activité en classe, il leur est demandé de donner à voir leurs essais et leurs erreurs, et de s’exposer à un regard critique. Souvent fragilisés dans leur estime de soi par les difficultés rencontrées lors de l’entrée dans le métier, ils ne sont pas prêts à assumer une telle exposition. Pour les formés qui vivent de fortes tensions dans le face-à-face avec les élèves, cela ne ferait que renforcer leur sentiment d’incapacité. Pour ceux qui sont dans un confort relatif, c’est prendre le risque de se voir bousculer dans leurs certitudes.
- Cette peur du jugement est sans doute fortement liée aux logiques de validation. Donner à voir des traces de son activité au formateur ferait courir plus de risques au moment de l’évaluation. C’est du moins ce que certains peuvent penser. Imprégnés d’une culture scolaire dans laquelle l’évaluation a eu principalement la fonction de sanction, ils ne perçoivent pas l’erreur comme un soutien à l’apprentissage. Le formateur est vu comme un détenteur du savoir devant lequel il ne faut commettre d’impair. Ils reproduisent en tant qu’étudiants-stagiaires ce qu’ils ont connu en tant qu’élèves. Ils se placent davantage dans une logique de validation que de formation. L’ambiguïté du double statut - enseignant, mais étudiant - ne ferait que renforcer ce positionnement.
- La dernière hypothèse serait un manque d’investissement dans la formation qui pourrait s’expliquer par une vision minimaliste du métier d’enseignant. La maîtrise de la connaissance suffirait à l’enseigner. Si tout fonctionne à peu près en stage, pourquoi aller chercher plus loin et fournir un travail jugé supplémentaire, dans une année déjà chargée en travail de préparation pour la classe et en travaux à rendre pour la validation ?
Ces réflexions sur les difficultés des étudiants-stagiaires à donner à voir des traces de leur activité et à réfléchir collectivement sur celles-ci semblent d’autant plus d’actualité que les textes de cadrage de la formation professionnelle des enseignants, depuis une vingtaine d’années, insistent sur ce point.
1.3 Place de la réflexivité dans le cadre de la formation des enseignants
1.3.1 Le cadre de la formation professionnelle des enseignants
Le référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (arrêté du 1er juillet 2013, BO n°30 du 25 juillet 2013) est, depuis la rentrée scolaire 2019, adossé à un nouveau référentiel de formation des futurs professeurs des premier, second degrés et CPE intitulé « Former l’enseignant du XXIe siècle » (juillet 2019) qui précise entre autres les objectifs, axes et attendus de la formation initiale délivrée à l’Inspé pour la mention de Master MEEF « professeur des écoles ».
Un des objectifs affichés dans ce nouveau référentiel est de former « des praticiens réflexifs, capables d’analyser et d’infléchir leur action pour l’améliorer et de s’engager dans un développement professionnel continu » (cadre général du référentiel, juillet 2019, p.4). Pour atteindre cet objectif sont proposées différentes modalités de formation, individuelles et collectives, et parmi celles-ci, « l’analyse de pratiques selon différentes méthodes de didactique professionnelle : approches narratives, collectes de traces de l’activité » ainsi que des « sessions de co-développement entre pairs » (cadre général du référentiel, juillet 2019, p.8).
Il s’agit de développer la capacité des enseignants à mener une réflexion dans et sur leurs pratiques, de manière individuelle, mais aussi de manière collective dans le partage avec des tiers, que ce soient des pairs, des formateurs ou des chercheurs. La formation est axée à la fois sur la pratique professionnelle, la théorie et la recherche. Être un bon professionnel ne repose plus sur la supposée maîtrise des connaissances à enseigner, mais sur sa capacité à actualiser ses savoirs et porter un regard critique sur ses pratiques afin de les faire évoluer pour améliorer l’efficacité de son action et son impact sur les élèves. Cette capacité s’acquiert dès le début de la formation initiale qui doit donner « à l’étudiant et au fonctionnaire stagiaire les moyens d’analyser chaque situation, d’identifier les obstacles et les problèmes, de construire et d’adapter des solutions » (cadre général du référentiel, juillet 2019, p.5).
1.3.2 Pourquoi former des enseignants réflexifs ?
Pourquoi le nouveau référentiel de la formation des enseignants fait-il une large place à la figure de l’enseignant « praticien réflexif » ?
Le travail enseignant est aujourd’hui une activité complexe : « les conditions et les contextes de l’enseignement évoluent toujours plus vite, si bien qu’il est impossible de vivre sur les acquis d’une formation initiale vite dépassée » (Perrenoud, 2001, p.183). Le professionnel est confronté à des contextes d’intervention et des publics variés, aux évolutions de la recherche dans le domaine des apprentissages et doit sans cesse ajuster son action afin d’accompagner, de la meilleure manière possible, les élèves vers la réussite. « Il ne connait pas d’avance la solution des problèmes, qui se présenteront dans sa pratique » (Perrenoud,
2001, p.12) : devant des situations complexes, mais toujours singulières, le recours aux « recettes » ne suffit pas. Il faut être créatif. Aussi, la capacité à identifier les problèmes, envisager et mettre en œuvre des solutions est-elle au cœur du développement professionnel.
Cependant, comme le fait remarquer Altet (2013), si « la pratique réflexive est la clef de la professionnalisation du métier d’enseignant, […], elle n’est pas donnée d’emblée » (p.40). C’est pourquoi la formation initiale doit préparer les futurs enseignants à réfléchir à leur pratique afin de les aider à construire des moyens d’action pertinents et à être des professionnels efficaces. « Ne pas être capable de prendre conscience de sa façon d’agir et de penser, c’est se condamner à ne pas changer, donc à reproduire les mêmes erreurs » (Perrenoud, 2013, p.82) : aussi convient-il de réfléchir à la manière de favoriser la pratique réflexive pour les débutants. Cet objectif affiché de formation suscite nombre de questions.
1.3.3 Questionnements
Le décalage observé entre les objectifs institutionnels de formation des étudiants stagiaires à la réflexivité et les résultats obtenus doit conduire le formateur à s’interroger sur certains points afin de concevoir et d’ajuster au mieux son action de formation.
- Qu’entend-on exactement par « praticien réflexif » (cadre général du référentiel, juillet 2019, p.4) ? Que veut dire « réfléchir sur sa pratique » (Arrêté du 1-7-2013, BO n°30 du 25 juillet 2013) ?
- Pourquoi réfléchir sur sa pratique de manière individuelle, mais aussi collective ?
- Quels peuvent être les obstacles, les résistances à la pratique réflexive et comment les expliquer ? Quelles seraient, par conséquent, les conditions nécessaires pour entrer en pratique réflexive ?
- Comment le formateur peut-il installer ces conditions ?
- Quels sont les dispositifs de formation existants qui permettent de favoriser la réflexion sur la pratique ?
Un détour par la littérature scientifique permettra d’apporter les éclairages nécessaires et de mieux comprendre les enjeux de la formation à et par la réflexivité.
2 Des apports de la recherche
Il paraît, dans un premier temps, important de clarifier le concept de réflexivité. De quoi parle-t-on précisément lorsque l’on parle de « praticien réflexif » ? La première partie tentera d’en exposer les contours. Puis, il conviendra de s’interroger dans une seconde partie sur les déterminants de la motivation des apprenants en formation ainsi que sur la ou les manières de créer les conditions propices à l’apparition et au maintien de celle-ci. Enfin, une troisième partie apportera des éclairages sur les manières dont apprennent des adultes en formation, et par conséquent sur comment développer la réflexivité.
2.1 Former à la réflexivité
2.1.1 Le « praticien réflexif » : de quoi parle-t-on ?
Le concept de réflexivité ne rencontre pas de véritable définition partagée. En sont présentées ici, à grands traits, les principales dimensions et approches que l’on retrouve dans les écrits scientifiques.
Définition(s)
Carnus et Mias (2013) proposent la définition suivante : « la réflexivité, c’est la réflexion spontanée se prenant elle-même pour objet en élaborant des critères épistémologiques d’ordre rationnel » (p.269). Il s’agit donc du retour de la pensée sur elle-même. Mais la réflexivité se distingue de l’introspection car elle « suppose que l’individu puisse se dégager de son cadre de référence habituel et fasse appel à d’autre grilles de lecture que la sienne » (Bouissou & Brau-Antony, 2005, p.115). Le recours à des outils théoriques, entre autres, permet le passage du subjectif et intuitif à l’objectif et réfléchi, l’entrée dans la conceptualisation (Altet, 2013). Ce processus de réflexion est orienté et structuré vers la résolution d’une situation problématique.
Schön (1983, cité par Altet, 2013, p.42) avance le terme de « praticien réflexif » et remet en cause un modèle de formation dit « applicationniste » : une partie des problèmes que traite un professionnel ne peut être résolue uniquement à l’aide des savoirs théoriques et procéduraux appris. Il s’agit donc d’identifier les savoirs cachés ou tacites qui structurent la réflexion pour apprendre de l’expérience. Cela renvoie aux travaux de Piaget (1974, cité par Altet, 2013) sur « l’abstraction réfléchissante » : « le sujet prend ainsi comme objet d’analyse sa propre action et ses propres fonctionnements mentaux et essaie de prendre conscience et de comprendre sa manière d’agir » (Bouissou & Brau-Antony, 2005, p.114). Cependant, pour Schön (1988, cité par Beckers, 2009, p.5), apprendre de l’expérience, c’est également s’engager dans une « transformation réflexive de l’expérience », c’est-à dire ne pas se contenter de reproduire ce qui s’est passé, mais faire évoluer sa pratique et ainsi poursuivre une démarche de formation autonome. Cette pensée est donc critique et créative. Pastré défend la même idée. Si le sujet construit ses invariants opératoires en partie sur le tas, la répétition simple de l’action ne suffit pas : « un sujet revient sur son action passée par un travail d’analyse réflexive pour la reconfigurer dans un effort de meilleure compréhension » (Pastré, 2005, cité par Beckers, 2009).
Moment(s) où intervient la pensée réflexive
Schön (1996, cité par Beckers, 2009, p.5) décrit un double processus selon le moment où intervient la pensée réflexive : la « réflexion dans l’action » et la « réflexion sur l’action ». La première se déroule au coeur de l’action professionnelle. La réflexion consciente sur son action au moment où elle se déroule permet de la guider et de la réguler. Pour Schön, c’est le signe d’une compétence professionnelle de haut niveau. La seconde a lieu a posteriori, lorsque l’action est terminée. Il s’agit d’analyser ce qui s’est passé et de mesurer les effets de son action. Ces deux étapes seraient liées : réfléchir de manière récurrente sur l’action favoriserait la capacité progressive du professionnel à réfléchir dans l’action. Pour Perrenoud (2013), le moment de la réflexion est plutôt « une pratique de l’après-coup » (p.84). S’il ne conteste pas qu’il soit possible de prendre son action et son raisonnement comme objet de réflexion dans le feu de l’action, cela ne peut se faire de manière approfondie. La pensée est alors tout entière dans la conduite de l’action et sa réussite. Par ailleurs, selon Saint Arnaud (2001, cité par Beckers, 2009), la régulation de l’action est dictée davantage par l’émotion que par un processus d’analyse rationnelle.
Réflexion occasionnelle et réflexivité
Suffit-il à chacun de réfléchir dans l’action et sur l’action de manière spontanée et/ou épisodique pour être pour autant un « praticien réflexif » ? Selon Perrenoud (2001), « si cette mise en question n’est ni méthodique, ni régulière, elle ne mène pas nécessairement à des prises de conscience et des changements. Cette réflexion spontanée n’en fait pas un praticien réflexif au sens de Schön » (p.42). La réflexion occasionnelle sur son action est donc à différencier de la posture réflexive du professionnel : « pour aller vers une véritable pratique réflexive, il faut que cette posture devienne quasi permanente » (Perrenoud, 2001, p.14). Cela relèverait alors de « l’habitus », c’est-à-dire deviendrait une disposition intériorisée à se décentrer et à faire un retour sur l’action pour la penser (Perrenoud, 2001). Perez-Roux (2012) va dans le même sens en définissant la réflexivité comme « un engagement intense et régulier chez les professionnels dans une activité d’auto-analyse, de mise en perspective de sa propre activité professionnelle » (p.4). La pratique réflexive nécessite l’élaboration d’un « savoir analyser », qui consiste « à découper en catégories ce qui a été décrit, pour l’organiser grâce à des théories personnelles ou reconnues par la communauté scientifique » (Charlier & al., 2013, p.32) et à aboutir à une modélisation de l’action.
Contextes du processus réflexif
On peut aussi s’interroger sur le contexte de la réflexion. Si le processus réflexif est présenté par Piaget et Schön comme étant individuel, pour les théoriciens de l’approche socioculturelle, l’individu n’est pas seul dans cette démarche de conceptualisation. Vygotski (1934, cité par Beckers, 2009, p.6) développe ainsi le modèle de la « double germination » des concepts. La conceptualisation aurait une double origine : d’une part une émergence des concepts grâce à la médiation des pairs, d’autre part une appropriation des outils scientifiques, explicitement proposés par les formateurs. Pour Vermersch (1994, cité par Beckers, 2009), beaucoup d’événements vécus dans l’action n’arrivent pas à la conscience du sujet. Seule une médiation permettra le passage de l’implicite du vécu à la conscience, explicite et réfléchie, processus indispensable si on veut modifier intentionnellement son action (Beckers, 2009). La réflexivité, contrairement à l’introspection, se construirait dans la relation avec autrui. De Robillard (cité par Goï & Huver, 2011, p.3) parle ainsi de posture « alter-réflexive ».
Différents modèles du processus réflexif
Etre réflexif, c’est donc être capable de réfléchir de manière volontaire sur ses propres pratiques en vue de les améliorer. Plusieurs modèles distinguent différents niveaux dans ce processus.
Van Manen (1977, cité par Beckers, 2009) envisage la réflexion selon son niveau de complexité. Il distingue trois niveaux de réflexivité. Le premier niveau est ce qu’il nomme la « réflexion technique » : celle-ci est ancrée dans l’action et porte sur les moyens utilisés par l’enseignant pour atteindre les objectifs visés, sans réfléchir aux fins visées. Le second niveau, « la réflexion pratique », se décentre peu à peu de l’action et concerne l’analyse des actions sous l’angle des buts éducatifs fixés, du choix des moyens et des fins. Enfin, le troisième niveau, « la réflexion critique », englobe les deux niveaux précédents, mais situe l’analyse dans un contexte plus large avec la prise en compte de critères éthiques, moraux et politiques : « elle porte sur le statut même d’enseignant et sur l’influence de la profession » (Derobertmasure & Dehon, 2009, p.32). Comme le fait remarquer Beckers (2009), dans la formation des enseignants, le premier niveau de réflexion a toute sa pertinence : l’objectif est de répondre aux préoccupations des novices pendant la phase de survie. Pour autant, cela ne doit pas empêcher le formateur d’ouvrir la réflexion sur d’autres préoccupations tout aussi importantes comme la qualité des activités proposées aux élèves ou les effets produits par son action.
Ce modèle est repris par Hatton et Smith (1995, cité par Derobertmasure & Dehon, 2009) qui élaborent 4 niveaux de réflexivité : la description basique de ses actions (« descriptive writing »), la description avec justification de ses actions (« descriptive reflection »), le jugement des événements, la justification des choix réalisés et propositions d’alternatives
(« dialogic reflection ») et enfin, la recontextualisation de l’action par des connaissances historiques, sociopolitiques (« critical reflection »).
Dans ces deux modèles, les paliers se différencient selon l’objet sur lequel porte la réflexion : l’activité elle-même ou l’éthique. Il convient, comme le font remarquer Hatton et Smith (1995, cité par Derobertmasure & Dehon, 2009), de prendre ces paliers avec précaution car « il n’est pas impossible de pouvoir recourir à une réflexion d’ordre éthique sans pour autant avoir pu auparavant justifier ses actions à l’aide de connaissances pédagogiques ou théoriques ».
Jorro (2005, p.11-12) identifie quant à elle trois seuils de réflexivité : « le reflet », « l’interprétation » et « la fonction critique régulatrice ». Dans le premier seuil, « la posture réflexive témoigne du désir de dire la pratique, de traduire une réalité de terrain ». La pensée se limite à la description d’éléments perçus comme importants. Les éléments contextuels restent implicites. La justification est davantage recherchée que l’analyse. Débat ainsi que questionnement identitaire et professionnel sont absents. Le second seuil, celui de la posture interprétative, « s’élabore à partir d’une attitude investigatrice au cours de laquelle les praticiens identifieront un, voire plusieurs cadres de références sur lesquels ils prendront appui pour revisiter une situation professionnelle ». Le sujet identifie un cas problématique et affiche un questionnement inédit sur sa pratique, qui suscite un retour biographique et de l’inconfort. La mise en lien de la situation avec les références conduit le sujet à entrer dans un processus de conceptualisation. Enfin, le dernier seuil est celui de la posture critique-régulatrice, posture qui, selon Jorro, « constitue une forme aboutie de réflexivité ». Le praticien envisage à ce stade une ou des alternatives à l’action menée. Mais il est indispensable qu’il les éprouve sur le terrain et n’en reste pas au stade de la seule proposition : « la réflexivité est action ! » (Jorro, 2005, p.17).
Les horaires contraints de la formation initiale des enseignants-stagiaires à l’Inspé ne permettent pas d’envisager la réflexivité comme une finalité visant une transformation identitaire telle que le propose Perrenoud (2001). Il s’agira davantage de construire « un savoir analyser », conçu comme un moyen pour améliorer sa pratique (Charlier & al., 2013). Par ailleurs, le contexte collectif de la formation invite à privilégier l’approche socio-culturelle du processus réflexif (Beckers, 2009). Enfin, le cadre temporel et spatial dans lequel se déroule la formation ne permet d’envisager que « la réflexion sur l’action », la « réflexion dans l’action » (Schön,1996, cité par Beckers, 2009, p.5) échappant ici au formateur.
2.1.2 La réflexivité : obstacles / conditions de développement
La volonté institutionnelle de former des praticiens réflexifs n’est pas toujours en adéquation avec ce que les formés attendent de la formation et la manière dont ils la conçoivent. Par ailleurs, tous ne recherchent pas la réflexivité.
Comme le rappelle Desjardins (2013), « à la base, la réflexion est une activité personnelle et volontaire. On réfléchit pour soi-même, dans l’intimité de nos pensées » (p.33). Or à l’université, les temps de formation sont collectifs et la réflexivité se fonde, selon les théoriciens de l’approche socio-culturelle, sur une conception altéritaire de la réflexivité. Cela suppose de livrer publiquement ses erreurs, ses inquiétudes, s’exposer au jugement des formateurs et des autres étudiants. « Les résistances sont en partie voisines de celles que mobilise une cure analytique, dans la mesure où la pratique pédagogique implique toute personne dans son rapport aux autres et donc aussi à ses névroses, complexes et autres fonctionnements inconscients » (Perrenoud, 2001, p.126) : on touche ainsi à des domaines très proches de la psychanalyse. Être réflexif n’est donc pas confortable : « le praticien qui s’engage dans une analyse de ses pratiques […] préférera, dans un premier temps, ne pas faire partie du problème » (Perrenoud, 2001, p.127). Or, être réflexif, c’est accepter de faire partie du problème. Il y a donc nécessité de poser, de manière explicite, un cadre éthique à la formation. Garantir un climat de confiance, le non-jugement, est indispensable à toute démarche de réflexion critique. Comme le rappelle Beckers (2009), « les travaux d’Argyris et Schön (1974) ont bien montré qu’un sujet ne modifiera en profondeur ses présupposés que s’il abandonne ses réactions défensives, ce qui suppose qu’il ne se sente pas jugé, mais libre d’expérimenter, d’apprendre » (p.7).
D’autre part, l’étudiant-stagiaire doit donner la preuve de sa compétence réflexive, qui est évaluée dans le cadre de la titularisation (Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, 2013). Or celui-ci est fortement imprégné d’une histoire scolaire dans laquelle l’évaluation a principalement eu fonction de sanction. Il aura donc tendance à mettre en place des stratégies pour « réussir », ce que Degand et Dejemeppe (2013) nomment « des stratégies de conformation plutôt que de transformation » (p.136). Les étudiants-stagiaires ne perçoivent pas la réflexivité comme une compétence professionnelle centrale et il peut y avoir une forme de simulation afin de se conformer aux attentes des formateurs et réussir son année. Aussi, selon Perrenoud (2001), « une des conditions pour que les étudiants-stagiaires puissent entrer en « pratique réflexive » est qu’ils se départissent de leur métier d’élèves pour devenir des acteurs de leur formation » (p.19). Il convient donc de se demander si la formation à et par la réflexivité ne devrait pas être déconnectée de la validation, ce qui n’empêche nullement son évaluation.
Baillauquès (1999, cité par Devos & Paquay, 2013, p.231) explique quant à lui les résistances des étudiants-stagiaires aux formations à et par la réflexivité par ce qu’il appelle le « choc de la réalité », c’est-à-dire « le décalage qu’il existe entre les représentations de l’enseignement chez les futurs enseignants et la prise de conscience de la complexité de celuici lorsqu’ils arrivent sur le terrain » (Devos & Paquay, 2013, p.232). La vision angélique du métier entre en conflit avec les difficultés rencontrées en classe et provoque une perte de confiance en sa capacité à être enseignant, et par la même, bouleverse l’estime de soi. Dans cette phase de survie, « pour parer aux urgences et difficultés, le novice est conduit à privilégier des recettes immédiates à un questionnement réflexif approfondi » (Devos & Paquay, 2013, p.246) : il attend du formateur des réponses immédiates et concrètes à ses questions. Les apports théoriques lui paraissent inappropriés et inutiles. Comme le constate Perez-Roux (2013), « la dimension réflexive du travail enseignant est mieux acceptée par des stagiaires rassurés sur leur évolution professionnelle » (p.121) : en effet, ceux-ci, ayant pris leurs repères et moins centrés sur la classe, perçoivent davantage en quoi le retour sur leur action peut être une aide pour améliorer leur pratique.
Devenir réflexif a un coût, en termes de temps et de travail, et peut entrer en conflit avec une vison minimaliste du métier d’étudiant. Ceux qui trouvent que tout va à peu près bien n’ont pas de raison de chercher à aller plus loin. Qu’ont-ils à gagner ? Vermersch (1994, cité par Noël, 2013) nous rappelle que « la prise de conscience ne se déclenche que sous la pression des échecs et obstacles rencontrés par le sujet quand il cherche à atteindre des buts qui le motivent », c’est-à-dire une certaine tension entre ses ambitions et ce que l’on parvient à faire. Cela repose donc aussi sur la perception du métier qu’ont les étudiants. Le choix de la profession repose plus pour certains sur des considérations matérielles comme la sécurité de l’emploi, les vacances que sur une motivation profonde à l’exercice de la profession. Par ailleurs, la représentation peu réaliste qu’ils peuvent avoir du métier, à savoir qu’enseigner, c’est transmettre un savoir que tous les élèves sont avides d’apprendre, peut expliquer que la démarche réflexive ne fasse pas sens pour eux (Noël, 2013).
Enfin, la posture adoptée par le formateur peut être perçue comme un frein par les stagiaires : « trop de savoirs présentés de façon impositive peuvent parasiter et empêcher la construction d’une posture de réflexivité » (Altet, 2013, p.50). Incarnant l’institution, et donc perçu par les étudiants-stagiaires comme dépositaire du savoir et enseignant-modèle, le formateur peut être tenté d’imposer son expertise et monopoliser la parole. Les stagiaires sont passifs et écoutent les prescriptions. La parole du formateur est d’autant moins contestée que les formés savent qu’ils sont évalués. Aussi, afin de favoriser l’entrée dans la réflexivité, le formateur doit « passer d’une posture de savant à une posture d’accompagnateur, proposant ses savoirs comme des grilles de lectures, comme des hypothèses ou des repères pour rendre intelligibles l’action analysée » (Altet, 2013, p.51). Il convient alors de réfléchir à la nature des apports à privilégier et sur les manières de les transmettre. Toutefois, cette sollicitation réflexive ne peut se maintenir que si le débutant est volontaire et participe activement (Altet, 2013) : le formateur « prend la figure d’un entraîneur davantage que d’un transmetteur de savoirs ou de modèles […] Il ne cherche pas à prendre le contrôle, mais à stimuler » (Perrenoud, 2001, p.168).
Devenir réflexif ne va donc pas de soi. Cela nécessite motivation et engagement de la part du sujet. L’objectif de cette deuxième partie est d’apporter un éclairage sur ces points.
2.2 Favoriser la motivation et l’engagement
« La motivation, parce qu’elle traduit les dispositions des adultes à l’engagement éducatif, parce qu’elle détermine le degré d’implication (et donc de persistance) de l’apprenant et qu’elle contribue à expliquer les performances d’apprentissage, est un médiateur déterminant du rapport à la formation » (Carré & Fenouillet, 2011, p.284) : aussi convient-il de s’interroger sur les déterminants de la motivation ainsi que sur la ou les manières de créer les conditions propices à l’apparition et au maintien de celle-ci.
2.2.1 Les ressorts de la motivation et de l’engagement
Viau (1994, p.32, cité par Noël, 2013, p.214) propose la définition suivante de la motivation : « un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’en atteindre un but ».
Il identifie trois perceptions, sources de la dynamique motivationnelle au regard des activités pédagogiques :
- la perception de la « valeur » de l’activité : l’apprenant juge que l’activité proposée est intéressante et utile au regard des buts qu’il poursuit. Comme le rappelle Schwartz (1989, p.67, cité par Carré & Fenouillet, 2011, p.269), « un adulte n’est prêt à se former que s’il peut trouver dans sa formation une réponse à ses problèmes dans sa situation »,
- la perception de sa « compétence » : l’apprenant s’estime capable de réussir l’activité proposée,
- la perception de sa « contrôlabilité » : l’apprenant a le sentiment de contrôler le déroulement de l’activité et ses conséquences. Carré et Fenouillet (2011) parlent du « sentiment d’autodétermination » (p.286). La motivation trouverait sa source dans le degré d’autonomie laissé à l’apprenant quant aux buts et aux moyens de la formation.
Si ces trois perceptions sont élevées, l’apprenant sera fortement motivé et fera le choix de s’engager cognitivement dans l’activité et de persévérer jusqu’à l’atteinte de son objectif, ce qui le conduira à la réussite (Viau,1994). Les performances sont liées indéniablement à la motivation, même si celle-ci ne suffit pas. « La motivation initiale […] n’abolit ni l’effort d’apprentissage, ni la mise en place et le maintien de stratégies d’apprentissage efficaces » (Carré & Fenouillet, 2011, p.287).
2.2.2 Comment influencer cette dynamique motivationnelle ?
Carré et Fenouillet (2011) précisent que :
même s’il n’a généralement aucune influence sur les dispositions de l’apprenant lors de l’engagement en formation, le pédagogue va néanmoins entrer en interaction avec le système motivationnel de celui-ci dès le début des activités pédagogiques, à travers la relation et le climat qu’il construira, la méthodologie et les outils qu’il proposera (p.287).
Plusieurs pistes pour une « gestion pédagogique des motivations » sont proposées par ces deux auteurs, pistes que l’on retrouve également chez Viau (2006, cité par Briand, 2016).
- Baser la préparation et l’animation pédagogique sur l’analyse des motifs d’engagement des participants. Cette piste est également suggérée par Viau (2006, cité par Briand,2016, p.5) pour qui l’activité proposée doit « être signifiante » aux yeux du formé, c’està-dire « correspondre à ses intérêts et répondre à ses préoccupations », mais aussi « être authentique », c’est-à-dire « mener à une réalisation qui ressemble à celle que l’étudiant trouve dans sa vie professionnelle ». Cela touche donc à la perception de la valeur de l’activité.
- Veiller à la qualité des techniques, outils et supports utilisés par le formateur afin d’agir sur les dispositions motivationnelles de l’apprenant à trois niveaux : le formateur peut en effet faciliter l’atteinte des objectifs, tout en maintenant un niveau d’exigence, et donc un engagement cognitif de la part du formé. Cela touche à la perception de sa compétence. Ainsi, pour Viau (2006, cité par Briand, 2016, p.6), « l’activité doit représenter un défi […] : ni trop facile, ni trop difficile ». Si la tâche proposée est trop facile, il n’y a pas d’apprentissage. Au contraire, si elle est trop difficile, l’apprenant se démobilisera. Carré et Fenouillet (2011) parlent de « pédagogie de la réussite » (p.288). Par ailleurs, le caractère collaboratif des activités proposées peut répondre au besoin de lien social du formé : travailler ensemble, de manière conviviale et agréable, pour atteindre un but commun.
- Permettre une « pédagogie des choix » (Carré & Fenouillet, 2011, p.288) afin de responsabiliser le formé. Viau (2006, cité par Briand, 2016) propose par exemple le choix des membres de l’équipe, le thème du travail ou encore son mode de présentation. Cela touche à la perception de la contrôlabilité.
- L’attitude du formateur, plus informative qu’impositive dans les feedbacks, peut également agir sur la perception de compétence de l’apprenant.
Poisson (2010, cité par Carré & Fenouillet, 2011, p.288) résume cela en « trois principes de conception de dispositifs à visée autonomisante » :
- l’autoproduction des savoirs pour répondre au besoin de perception de compétence,
- l’ouverture et le choix pour répondre au besoin d’autodétermination,
- la collaboration pour répondre au besoin de lien social.
Si l’environnement social - les pairs comme le formateur- a son importance dans la dynamique motivationnelle, il joue également un rôle dans l’apprentissage et le développement de la réflexivité. Développer un regard réflexif « relève d’abord du collectif et de l’interpsychique avant de relever du niveau intrapsychique » (Daudelin & al., 2005, cité par Perez-Roux, 2013, p.132). L’objectif de cette troisième partie est d’apporter un éclairage sur ce point.
2.3 Développer une réflexivité en formation : une dynamique collective
Du débat entre Piaget et Vygotsky est né le paradigme socio-constructiviste. En effet, pour Piaget (1974, cité par Bourgeois, 2011), l’apprentissage survient lorsque l’individu, déstabilisé par un obstacle - une information perturbant ses connaissances initiales - ce qu’il appelle « conflit cognitif », tente de rétablir l’équilibre en transformant celles-ci. Pour Vygotsky, il convient de prendre en compte également la dimension sociale de l’apprentissage. Il développe le concept de médiation : l’apprentissage suppose « une interaction du sujet apprenant avec un tiers plus avancé que lui dans la maîtrise de la compétence à apprendre » (Bourgeois, 2011, p.36.). Cela fait référence au concept de « zone proximale de développement » (Vygotsky, 1934, cité par Venet & al., 2016). Il s’agit d’un espace qui se transforme au cours d’un apprentissage. Il est borné d’une part par ce que l’apprenant sait faire seul, c’est-à-dire son niveau de développement actuel, et d’autre part par ce qu’il sait faire avec l’aide d’autrui, et saura faire seul ensuite, c’est-à-dire son niveau de développement potentiel.
Les « néo-piagétiens », fondateurs du socio-constructivisme, réalisent la synthèse entre les deux approches en reprenant les postulats fondamentaux du constructivisme de Piaget, mais en accordant davantage d’attention au rôle des interactions sociales dans l’apprentissage. « Pour qu’il y ait développement, il faut qu’il y ait obstacle, l’obstacle prenant la forme de différentes formes de conflit « dans » et « par » le groupe » (Marcel & al., 2002, p.144) : c’est ce que Doise, Mugny et Perret-Clermont nomment conflits « socio-cognitifs »
(cités par Astolfi, 2008, p.39). Pour l’apprenant, dans le cadre d’un travail de groupe, il s’agira de confronter ses propositions pour résoudre un problème à celles des autres membres du groupe, mais également de les confronter aux propositions des autres groupes. Certaines conditions d’efficacité du conflit ont été identifiées, notamment l’effet de zone proximale : « le conflit, pour être producteur de progrès doit concerner une connaissance ou une structure « prête à être modifiée » (Astolfi, 2008, p.42).
Des théoriciens socio-constructivistes comme Bruner ne voient pas le conflit socio-cognitif comme un moteur essentiel des apprentissages, même s’ils n’en contestent pas l’efficacité. Ainsi, Bourgeois (2011) explique que pour Bruner, « l’apprentissage est un processus […] collectif dans la mesure où les savoirs et savoir-faire qui entrent en jeu sont avant tout des ressources collectives » (p.36). Bruner propose le terme « étayage » pour désigner les interactions de soutien entre pairs ou entre apprenant et tuteur, afin d'épauler l’apprenant dans la résolution d'un problème qu'il ne pourrait résoudre seul, donc au sein de sa zone proximale de développement (Bourgeois, 2011).
Pour Perez-Roux (2012), « la dimension collective du travail peut constituer un réel appui en formation » (p.12) afin de développer la réflexivité. En effet, « l’échange de point de vue entre les participants aide à la prise de recul du néo-praticien en réflexion. Elle l’invite à revisiter sa réalité tout en l’enrichissant, à partir d’autres registres explicatifs ». La médiation permet la prise de distance. L’Autre joue le rôle de miroir, de révélateur et permet le passage de l’implicite à la conscience en permettant aux pensées restées cachées d’émerger. Il conduit à une prise de conscience et peut favoriser le changement. Comme le précise Perrenoud (2001), « le praticien immergé dans une situation a besoin des autres participants pour la mettre à distance » (p.121). La médiation permet aussi de « susciter la prise en compte d’éléments qui élargissent le point de vue » (Beckers, 2009, p.10), notamment celle du formateur qui peut offrir des alternatives et ouvrir ainsi d’autres possibles.
Par quels dispositifs cela peut-il se traduire sur le terrain ?
2.4 Former à la pratique réflexive : une variété de déclinaisons pratiques
Pour Degand et Dejemeppe (2013) :
la formation ne peut pas tout envisager, mais elle doit offrir des moments, des dispositifs qui peuvent donner corps aux questionnements réflexifs et proposer, dans le partage social qu’induit ce type de dispositifs, des pistes de réflexion et des solutions plus ou moins satisfaisantes. C’est dans le processus même de construction de ces réponses, toujours provisoires et incomplètes, que tient le développement professionnel (p.150).
De nombreux dispositifs de formation, ayant pour objectif l’entraînement à la réflexion et à l’analyse, sont aujourd’hui mis en place : vidéoformation, instruction au sosie, simulation, journal de bord, étude de cas, séminaire d’analyse de pratiques…Ils reposent sur différents matériaux, récit ou traces d’activité. Tous ont en commun de partir des pratiques et de l’expérience pour ensuite « comparer, expliquer, théoriser » (Perrenoud, 2001, p.158) et élargir son répertoire de pratiques. Cependant, former à la démarche réflexive peut tout simplement être « savoir d’où l’on part, inviter chacun à verbaliser ses représentations et ses façons de faire » (Perrenoud, 2001, p.167).
Selon Jorro (2005, citée par Beckers, 2009, p.10), « les méthodes narratives sont intéressantes, mais parfois cependant, faisant une large part aux ressentis, aux impressions, détournent le praticien de la fonction critique ». Aussi, le recours à une trace observable de son action permettrait de s’appuyer sur des éléments tangibles et de sortir de l’émotion pour observer les faits et ainsi entrer dans l’analyse. Cette option peut être ici privilégiée par le formateur au regard du temps contraint et de l’alternance de la formation. La trace observable permettra en effet d’établir le lien entre les divers lieux de la formation et d’entrer de manière plus directe dans l’analyse.
2.5 Problématique et hypothèses opérationnelles
2.5.1 Problématique
Alors que l’un des objectifs affichés par le nouveau référentiel de formation des enseignants (juillet 2019) est de former « des praticiens réflexifs », la difficulté de nombreux étudiants-stagiaires à parler de leur pratique et à la donner à voir, au formateur comme à leurs pairs, pose question. Les apports de la recherche semblent avoir confirmé les hypothèses initiales. En effet, être réflexif pour les étudiants stagiaires n’est pas confortable. Cela suppose d’accepter de s’exposer au regard d’autrui et de reconnaître les hésitations et les erreurs d’une pratique débutante, bouleversant l’estime de soi. Cela suppose également d’envisager sa formation autrement que dans une logique minimaliste de validation et d’en devenir véritablement acteur. Cela suppose enfin une certaine adéquation entre la représentation que l’on a du métier et sa réalité.
Au-delà, les apports de la recherche ont également permis d’apporter des éclairages sur un certain nombre de points.
Tout d’abord, il apparaît nécessaire de préciser le sens accordé à la pratique réflexive : la démarche réflexive sera d’abord vue ici comme une activité de l’ordre d’un moyen, c’est-à-dire que la réflexion est un processus qui consiste à analyser sa pratique en vue de l’améliorer et non comme une finalité de formation qui viserait une transformation identitaire comme le propose Perrenoud (2001). On peut ainsi reprendre la définition du professionnel réflexif proposée par Bouissou et Brau-Antony (2005) : « être apte à rendre compte de ses pratiques et les expliciter afin de prendre des décisions adaptées aux situations rencontrées » (p.114). Cette clarification est indispensable du point de vue de l’étudiant car la première source de résistance pourrait être la méprise sur les objectifs de la formation.
Ensuite, le paradigme socio-constructiviste conduit à un certain nombre de réflexions : l’apprentissage ne commence pas sur une table rase, chaque étudiant-stagiaire ayant déjà une expérience propre, correspondant à son niveau de développement actuel, qui doit être prise en considération. Le développement de chaque apprenant est donc un processus individuel. Il apparaît alors nécessaire pour le formateur de ne pas penser les apprenants comme un monobloc, mais de tenir compte des différents profils d’étudiants-stagiaires et contextes de stage en responsabilité afin de proposer les outils les plus adaptés pour permettre le développement de chacun. Il convient ainsi de s’interroger sur les étayages que le formateur pourra apporter en termes de questionnements et de ressources. Par ailleurs, c’est dans l’échange avec autrui, pairs et formateur, que se construit la réflexivité. Mais « les regards mutuels des participants sont simultanément une source irremplaçable et un facteur de risque » (Perrenoud, 2001, p.115). Les jugements de valeurs sont difficiles à éviter et constituent indéniablement un frein à l’engagement dans les activités proposées.
Le constat des difficultés de la pratique réflexive ne peut qu’être fait. Devenir réflexif ne va pas de soi. Cela s’avère pourtant indispensable au développement professionnel : « se joue donc la médiation des formateurs […] pour amener les stagiaires à réfléchir à leur activité » (Perez-Roux, 2013, p.131). Aussi convient-il de se demander comment le formateur, dans le cadre de la formation initiale, peut favoriser l’entrée dans une démarche réflexive des étudiants-stagiaires pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles ?
Afin de tenter d’apporter des éléments de réponses à cette question, dans un premier temps, des leviers d’action seront identifiés et des hypothèses opérationnelles formulées à partir de ceux-ci. Dans un second temps, seront présentés le dispositif de formation expérimenté ainsi que le recueil et l’analyse des données. Les résultats destinés à valider ou non les hypothèses seront ensuite discutés. Enfin, des pistes d’action possibles seront proposées.
2.5.2 Leviers d’action possibles pour le formateur
Quatre leviers peuvent être à disposition du formateur au regard des apports de la recherche pour favoriser l’entrée dans la réflexivité :
-
Créer un dispositif sécurisant susceptible de lever la peur du jugement et favorisant le passage de l’émotion à l’analyse.
-
Rechercher une meilleure adéquation des besoins en formation en proposant aux formés de partir des pratiques réelles et de définir eux-mêmes leur projet de formation.
-
Favoriser l’apprentissage entre pairs, le dialogue avec autrui en proposant des situations collaboratives et des étayages.
-
Favoriser l’interaction, la circulation et le croisement des savoirs d’expérience et des savoirs de formation.
2.5.3 Hypothèses opérationnelles
Il s’agira, pour le formateur, dans un premier temps de chercher à lever la peur du jugement, puis dans un second temps de favoriser l’engagement. « Un rôle important du formateur est de créer la confiance, de donner une large place au groupe lui-même, mais aussi de susciter la prise en compte d’éléments qui élargissent le point de vue » (Beckers, 2009, p.10). En prenant appui sur les lectures effectuées, quatre hypothèses opérationnelles sont ici élaborées pour expérimenter un travail qui favorise la réflexivité des étudiants-stagiaires.
- En proposant un objet d’analyse neutre, des traces écrites ne provenant pas des étudiants-stagiaires en formation, le formateur peut réduire l’insécurité liée à la peur du jugement.
- En proposant aux étudiants-stagiaires de définir leurs objectifs de formation et de proposer des traces de leur action en classe, le formateur favorise une meilleure articulation entre les divers temps et lieux de la formation, et donc l’engagement.
- En proposant un travail collaboratif entre pairs, le formateur peut favoriser l’élargissement du point de vue et permettre d’imaginer d’autres possibles.
- En proposant des savoirs de formation, le formateur favorise le décentrage et l’entrée dans l’analyse.
L’expérimentation menée aura pour objectif de répondre à la question suivante : le dispositif mis en place a-t-il permis aux étudiants-stagiaires d’entrer dans une démarche réflexive et à quel degré ?
3 Expérimentation
3.1 Contexte / présentation du dispositif
L’expérimentation a été menée à l’Inspé, avec un groupe de trente-et-un étudiants stagiaires en Master 2 MEEF 1er degré, en décembre 2019, soit trois mois après la mise en situation professionnelle, dans le cadre de la formation en alternance prévue par la maquette du Master 2. Les apprenants ont des profils très divers - détenteurs de licences diverses ou en reconversion professionnelle - et enseignent en responsabilité dans des contextes très variés, du cycle 1 au cycle 3, en milieu rural ou urbain, avec des élèves de milieux socioéconomiques défavorisés ou non. Certains ont en charge l’Histoire-Géographie dans leur classe, d’autres non.
L’expérimentation, de deux fois deux heures, soit quatre heures sur les dix consacrées en Master 2 à la régulation des enseignements en Histoire et Géographie entre septembre et décembre, repose sur un dispositif d’analyse de traces écrites d’élèves de cycle 1, 2 et 3. Le choix a été fait de proposer comme matériau de formation des traces écrites mémoires figurant dans des cahiers d’élèves, réalisées en classe à l’initiative d’enseignants. L’intérêt de la trace écrite mémoire est multiple : elle peut être « trace de l’activité - de la co-activité - enseignant/élèves, mais aussi de l’activité de préparation de la séance réalisée par l’enseignant préalablement à l’action » (Philippot & Niclot, 2011). Elle permet ainsi d’envisager les différents éléments qui définissent une situation de travail. Par ailleurs, mener une réflexion sur l’écrit semble capital alors que la maîtrise du langage occupe une place importante dans le socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Trop souvent, les étudiants-stagiaires proposent des traces écrites mémoires sous forme de textes lacunaires ou préalablement imprimées. Les objectifs de formation sont triples : mener une réflexion sur la trace écrite institutionnalisée et son élaboration afin de mieux l’intégrer à la scénarisation pédagogique, mieux prendre en compte la diversité des élèves et s’engager dans une démarche individuelle et collective de formation.
Les deux premières heures de l’expérimentation, soit la première phase, consistent en un travail d’analyse par groupes de traces écrites mémoires fournies par le formateur (annexe I), afin de lever la peur du jugement, et de recomposition de celles-ci. Les groupes sont composés librement par les étudiants-stagiaires, par affinité et par cycle, afin de créer une sécurisation affective et un sentiment d’appartenance qui favoriseront l’investissement de chacun. Cette liberté de choix permet également de responsabiliser l’apprenant (Viau, 2006, cité par Briand, 2016).
Il s’agit dans un premier temps pour chaque membre du groupe de mener une réflexion individuelle, ce que Beckers (2009) appelle la « mise en mots pour soi » (p.10), à l’aide des étayages fournis par le formateur pour guider l’analyse, à savoir des éléments de programme et une grille de lecture (annexe II), sur la trace écrite proposée. Un questionnement est suggéré par le formateur : décrire les différents éléments observés, proposer une interprétation des intentions de l’enseignant et relever les points communs et différences d’avec sa propre pratique (annexe III). L’occasion est ici donnée à l’étudiant-stagiaire de se reconnaître ou non dans ce qui est proposé, de prendre conscience de sa propre pratique, sans toutefois faire partie du problème (Perrenoud, 2001). S’en suit un temps d’échange au sein du groupe, afin de croiser les points de vue et d’aider à la prise de recul. Le formateur enrichit la discussion en suggérant, de manière formelle ou informelle, des pistes d’analyse qui n’ont peut-être pas été envisagées en attirant l’attention sur certains éléments et en introduisant d’autres savoirs de formation, entre autres théoriques (annexe IV) : « le moment de l’analyse est celui de la prise de distance, de la secondarisation de l’action, de sa ressaisie par la réflexivité collective, les savoirs théoriques et la discussion » (Capitanescu Benetti, Maulini & Progin, 2019, p.48).
Dans un second temps, le groupe élabore une proposition d’évolution ou d’alternative à la trace écrite mémoire initiale sous la forme d’une affiche A3 avant/après (annexe V). Le formateur met à disposition des exemples variés de traces écrites mémoires (annexe VI). Cela nécessite un engagement cognitif de la part de l’étudiant-stagiaire : faire des liens avec des notions déjà apprises, mobiliser les savoirs de formation, formuler des propositions… Par ailleurs, l’objectif est de travailler ensemble pour atteindre un but commun, mais aussi de mener à une réalisation authentique, c’est-à-dire qui pourra ressembler à ce que l’apprenant pourra faire dans le futur dans sa classe : il s’agit donc « d’imaginer d’autres possibles dont certains pourraient apparaître accessibles au sujet et mériteraient d’être essayés » (Beckers, 2009, p.8). La séance se termine par la présentation par chaque groupe de sa proposition aux autres groupes, en justifiant ses choix, afin de « construire ensemble du savoir utile à chacun » (Beckers, 2009, p.9).
Pour les deux dernières heures de l’expérimentation, soit la seconde phase, le dispositif reste similaire dans son déroulé. La variable est le matériau soumis à analyse et recomposition. En effet, il a été demandé à chaque groupe, à la fin des deux premières heures d’expérimentation, de définir son objectif de formation pour la fois suivante et de formuler un engagement à fournir, pour l’analyse par le groupe, des traces de son action en classe (annexe VII). Il s’agit ainsi d’accepter cette fois de faire partie du problème (Perrenoud, 2001), de se mettre en danger, en donnant à voir des traces de son action. Pour le formateur, l’objectif est de favoriser une meilleure articulation entre les divers temps et lieux de la formation, et donc l’engagement. En proposant aux apprenants de déterminer leur propre objectif de formation (Poisson, 2010, cité par Carré & Fenouillet, 2011), le formateur permet à ceux qui n’ont pas en charge l’enseignement de l’Histoire-Géographie dans leur classe de proposer au groupe des traces écrites d’autres disciplines. L’intérêt est double : favoriser l’implication de tous dans le projet, mais aussi permettre une réflexion qui vise à croiser les disciplines, pour des enseignants polyvalents. Un espace collaboratif sécurisé dédié au projet a été créé dans le service Tribu pour collecter les documents de chaque groupe (annexe VIII). Un écrit réflexif à chaud en fin d’expérimentation a été demandé à chaque étudiant avec une consigne large afin de ne pas formater l’écriture (annexe IX).
3.2 Recueil des données
Il n’est pas envisageable d’évaluer le degré de réflexivité par un outil produisant un « score » de réflexivité, c’est-à-dire de manière directe. Kirby et Teddlie en 1989 ont tenté l’expérience, sans succès (Derobertmasure & Dehon, 2009). Aussi, son évaluation « doit être appréhendée par le biais de mesures « indirectes », en l’occurrence, la recherche et l’analyse de traces écrites de réflexivité » (Derobertmasure & Dehon, 2009, p.30). C’est pourquoi il a été choisi ici de faire réaliser des écrits par les étudiants-stagiaires au cours de l’expérimentation afin de procéder ensuite à une analyse de contenu.
L’échantillon de notre expérimentation est constitué de trente-et-un formés (étudiantsstagiaires en master 2 MEEF premier degré) et notre corpus est composé de :
- trente-et-un écrits réflexifs réalisés « à chaud » de manière anonyme, en fin d’expérimentation,
- dépôts de traces écrites des étudiants-stagiaires dans l’espace collaboratif Tribu créé par le formateur pour l’expérimentation,
- neuf affiches A3 réalisées par les étudiants-stagiaires présentant des recompositions de traces écrites mémoires de cycles 1, 2 et 3.
3.3 Analyse des données
Pour tester la validité du dispositif proposé, l’analyse consiste à identifier et relever des indices textuels que l’on peut associer aux critères de réflexivité identifiés dans la littérature. Il s’agit d’une analyse qualitative, c’est-à-dire fondée sur la présence de l’indice, et non sur la fréquence de son apparition (Bardin, 2013).
Cela permettra de répondre aux questions suivantes : les étudiants ont-ils fait preuve de réflexivité et à quel degré ?
Quatre critères de réflexivité ont été dégagés de la littérature :
- la prise de conscience (« La formation peut au moins aider à la prise de conscience, à la mise en mots des pratiques », Perrenoud, 2001, p.162 ; « le processus de professionnalisation, loin d’être linéaire, suppose des moments de remise en cause des représentations initiales », Perez-Roux, 2013, p.117),
- l’articulation pratique-théorie : prise en compte des savoirs de formation proposés par le formateur (« Il s’agit par une réflexion menée à l’aide d’outils théoriques sur la manière d’agir, sur les pratiques et les savoirs pratiques, de passer du discours spontané, subjectif et intuitif tenu sur les pratiques à un discours professionnel, réfléchi et argumenté […] et ainsi devenir un « praticien réflexif » », Altet, 2013, p.41),
- le degré d’engagement personnel (« Une des conditions pour que les étudiantsstagiaires puissent entrer en « pratique réflexive » est qu’ils se départissent de leur métier d’élèves pour devenir des acteurs de la formation », Perrenoud, 2001, p.19),
- les perspectives de transformation de la pratique (« […] à chacun de choisir s’il veut retomber dans ses routines ou tenter de les modifier », Perrenoud, 2001, p.162 ; « […] construire de nouvelles cohérences », Perez-Roux, 2013, p.117).
Pour chaque critère, des indicateurs qui organisent les indices repérés ont été élaborés (Annexe X).
- Ainsi, pour le critère 1, le premier indicateur est la prise de distance marquée par des indices textuels comme « prendre conscience », « rendu compte », « comprendre » ; le second indicateur est la remise en cause des représentations initiales marquée par des indices textuels montrant un avant/après comme « ne pas…mais aussi… », « auparavant…maintenant… ».
- Pour le critère 2, quatre indicateurs ont été élaborés : la référence au questionnement proposé par le formateur, la référence aux exemples de formes de traces écrites proposés, la référence aux apports théoriques sur la trace écrite, et la référence à la grille d’analyse proposée. Les indices sont la présence ou l’absence de ces indicateurs.
- Pour le critère 3, le premier indicateur est la position du locuteur marquée par des indices textuels montrant l’appropriation comme « je », « m’ », « ma », « mes » ou au contraire la distance comme « on », « nous », « nos », « la » et l’emploi de verbes à l’infinitif. Le second indicateur est la nature du discours marquée par des indices textuels génériques comme « réfléchir », « réflexion », « prendre du recul », « pratique », « solutions », « idées », reflets d’un discours convenu, ou marquée par des indices textuels faisant référence à sa pratique personnelle et/ou aux outils d’aide à la conceptualisation proposés par le formateur, reflets d’un discours détaillé et plus personnalisé. Le troisième indicateur est l’engagement dans le projet de groupe. Les indices sont la présence ou l’absence d’engagement écrit ainsi que la présence ou l’absence de dépôt dans l’espace collaboratif.
- Enfin, pour le critère 4, le premier indicateur est la référence à un réinvestissement en classe, marquée par des indices textuels montrant une projection comme « à l’avenir », « prochaine fois » et l’emploi de verbes au futur ou futur proche. Le second indicateur est la recherche de solutions nouvelles, marquée par des indices textuels comme « solutions », « idées », « pistes », « possibilités » ainsi que des propositions concrètes d’actions. Le troisième indicateur est les marques de transformation dont les indices sont : « j’ai appris », « m’améliorer », « m’a permis », « faire évoluer ».
Une grille a été élaborée afin de déterminer pour chacun des trente-et-un étudiants stagiaires la présence ou l’absence des quatre critères de réflexivité dans les données recueillies (annexe XI).
3.4 Présentation des résultats
A environ 94%, soit pour vingt-neuf étudiants sur trente-et-un, le critère de la prise en compte des savoirs de formation proposés est présent. Vient ensuite le critère de l’engagement personnel dans la formation, présent pour environ 84% des formés, soit vingtsix étudiants-stagiaires sur trente-et-un. 58%, soit dix-huit sur trente-et-un, ont évoqué des perspectives de transformation. Enfin, le critère le moins présent est celui de la prise de conscience de sa pratique avec environ 29%, soit neuf étudiants sur trente-et-un.
Tous présentent au moins un des quatre critères.
- Pour deux étudiants-stagiaires, soit environ 6%, un seul critère est présent : la référence aux savoirs de formation. Celle-ci est présente dans la production collective de l’affiche proposant une recomposition de trace écrite, mais il n’y en a pas trace dans l’écrit réflexif individuel. Les indicateurs permettant de mesurer le degré d’engagement personnel sont également absents : leur discours est très impersonnel et très succinct. Aucun n’emploie le « je » et tous deux se contentent de quelques lignes sur des généralités, sans donner de détails (étudiant 19 : « ça nous apporte énormément »). La référence à leur pratique personnelle est totalement absente (étudiant 3 : « réflexion sur la pratique »). Par ailleurs, aucun n’a effectué de dépôt dans l’espace collaboratif afin d’alimenter le projet de groupe. Ces deux étudiants n’ont utilisé à aucun moment dans leurs propos des marqueurs sémantiques ou syntaxiques montrant une prise de distance ou une remise en cause de leur pratique. Enfin, la recherche de solutions ou l’évocation de possibles transformations sont absentes.
- Pour treize étudiants-stagiaires, soit environ 42%, deux des quatre critères de réflexivité sont présents. La prise en compte des savoirs de formation et l’engagement personnel sont les plus fréquents. En effet, onze étudiants sur treize ont utilisé les savoirs de formation proposés pour la production collective de l’affiche. Cependant seuls deux y font référence dans leur écrit réflexif, de manière plus ou moins précise (étudiant 8 : « importance différente de l’écrit selon que l’on est parent, élève, enseignant. La trace écrite doit être un moment dynamique lors de laquelle l’élève actionne des compétences » ; étudiant 28 : « ressources utiles »). Tous sauf trois ont montré de l’engagement dans les activités proposées, mais à des degrés divers. Sur les dix étudiants engagés, quatre ont déposé des ressources dans l’espace collaboratif, mais ont un discours impersonnel et très vague (étudiant 5 : « ils nous ont permis de réfléchir sur notre expérience ») tandis que six parlent en leur nom propre et/ou détaillent leur discours en faisant notamment référence à leur pratique (étudiant 28 : « ce TD m’a apporté des ressources utiles pour compléter mes affichages en classe »). En revanche, seuls deux étudiants sur treize évoquent une prise de conscience avec la marque d’une prise de distance avec leur pratique (étudiant 1 :« nous avons parfois tendance à reproduire des schémas préétablis sans s’interroger sur les fondements, l’intérêt »). De la même manière, trois étudiants sur treize montrent des perspectives de transformation, en évoquant la recherche de solutions, même si celles-ci restent très imprécises et dans un cadre collectif (étudiant 30 : « trouver des solutions en groupe ») ou un possible réinvestissement en classe (étudiant 6 : « ça nous donne de bonnes idées pour le futur »). Ces étudiants ne sont pas ceux qui ont manifesté une prise de conscience.
- Pour dix étudiants-stagiaires, soit environ 32%, trois critères parmi les quatre sont présents. Pour neuf étudiants sur dix, les trois critères sont la prise en compte des savoirs de formation, l’engagement personnel, et les perspectives de transformation de la pratique. Un seul étudiant sur les dix manifeste une prise de conscience (étudiant 10 : « Le TD4 m’a permis de prendre conscience de l’importance de travailler les compétences »). Comme précédemment, la référence aux savoirs de formation se retrouve dans la production collective d’affiches, mais est faiblement présente dans l’écrit réflexif individuel puisque seuls deux étudiants en font mention (étudiant 10 : « l’importance de travailler des compétences lors de l’élaboration d’une trace écrite. Les élèves ne doivent pas seulement écrire ou coller des savoirs, mais aussi mettre en œuvre une ou plusieurs compétences qui a/ont été acquises durant la séance »). Tous les étudiants se sont engagés personnellement, mais encore à des degrés divers. Si la plupart a contribué au projet de formation de groupe (huit dépôts sur dix dans l’espace collaboratif), seuls cinq parlent en leur nom propre et trois détaillent leur discours en faisant notamment mention de leur pratique personnelle (étudiant 29 :« Ces TD m’ont aidé à mieux appréhender les traces écrites en maternelle et par conséquent à améliorer ma pratique »). Enfin neuf étudiants-stagiaires sur dix évoquent des perspectives de transformation. La majorité d’entre eux - six sur dix- envisage la recherche de solutions nouvelles, sans toutefois donner de précisions sur celles-ci (étudiant 21 : « élargir les différentes possibilités qui s’offrent à nous pour concevoir des traces écrites en lien avec la situation d’apprentissage » ; étudiant 4 : « ça nous donne des idées, surtout pour la remédiation à nos problèmes »). Six montrent également des marques de transformation dans leur discours (« étudiant 2 : « ça m’a permis de comprendre ce qui fonctionne et ne fonctionne pas et comment m’améliorer », étudiant 13 : « cela m’a appris à savoir analyser une trace écrite dans toutes ses dimensions »). Un seul étudiant-stagiaire envisage cependant un réinvestissement en classe (étudiant 29 : « les solutions que nous avons trouvées dans mon groupe seront mises en place rapidement »).
- Enfin, six étudiants-stagiaires présentent les quatre critères de réflexivité, soit environ 19%. L’évocation de la prise de conscience (étudiant 24 : « durant ce cours, je me suis rendu compte que mes traces écrites ne comportaient que les notions, les savoirs et pas du tout les savoir-faire ») et de la remise en cause de leur pratique (étudiant 22 : « la trace écrite n’est pas juste une notion à retenir. Elle doit être construite et être l’aboutissement des apprentissages ») est très présente. Il en est de même pour l’engagement personnel. Tous parlent en leur nom propre et détaillent leur discours en faisant référence à leur pratique personnelle (étudiant 24 : « mes traces écrites ont souvent le même format : un texte ») et évoquent, en prenant appui sur les savoirs de formation proposés, des perspectives de transformations de leur pratique, notamment la recherche de solutions nouvelles (étudiant 24 : « je pourrais varier mes traces écrites : faire des cartes mentales, des schémas, prendre une image et la légender, faire un tableau à double entrée »). La plupart montre des marques de transformation dans leur discours (étudiant 14 : « j’ai principalement appris qu’une trace écrite avait bien plus d’importance que ce que je pensais »). Seuls deux étudiants sur les six font cependant référence à un réinvestissement en classe (étudiant 23 : « je vais travailler sur cela pour mes prochaines séquences »). On remarque par ailleurs que l’investissement au service du groupe est plutôt faible : seuls deux étudiants sur les six ont effectué un dépôt dans l’espace collaboratif pour le projet de groupe.
3.5 Validation des hypothèses / discussion
Il ressort tout d’abord de cette analyse que la majeure partie des étudiants-stagiaires a fait preuve d’engagement, d’une manière ou d’une autre, dans les activités proposées par le formateur. Cependant, la première phase de l’expérimentation, celle portant sur un objet d’analyse neutre défini par le formateur, a davantage rencontré l’adhésion des participants que la deuxième phase de l’expérimentation, à laquelle davantage de liberté de choix était laissée. Seize étudiants-stagiaires sur trente-et-un ont cependant déposé dans Tribu des traces de leur action en classe destinées à l’analyse par le groupe, alors qu’initialement, aucun ne le faisait. On peut donc en déduire que le dispositif expérimenté a permis de lever en partie la peur du jugement pour un certain nombre d’apprenants. L’absence d’anonymat dans le dépôt sur Tribu pourrait expliquer les réticences persistantes à donner à voir des traces de son action.
Ensuite, si presque tous les étudiants-stagiaires prennent en compte les savoirs de formation proposés pour le travail collaboratif - l’analyse et la recomposition de la trace écrite initiale fournie par le formateur- peu d’entre eux y font référence dans leur écrit réflexif. Cela laisse penser qu’ils entretiennent un rapport à la formation qui reste essentiellement d’ordre scolaire. La plupart a effectué le travail proposé par le formateur, pour lui faire plaisir, mais ne semble pas percevoir ce qu’il peut en retirer pour sa pratique en classe. Comme le note PerezRoux (2013), « un rapport assez flou aux logiques de formation traversées par la question de l’évaluation persiste » (p.122). Par ailleurs, cette difficulté à faire le lien entre la formation et le terrain peut s’expliquer par la temporalité dans laquelle s’inscrit le dispositif expérimenté :
pour les étudiants en formation initiale, la difficulté est de mettre en perspective une identité professionnelle et des pratiques alors même qu’elles sont en train de se construire. Se distancier d’éléments dans le flou et l’instabilité d’une professionnalité en émergence paraît bien difficile (Goï & Huver, 2011, p.7).
Toutefois, pour certains, les apports de savoirs de formation font sens et sont perçus comme une ouverture potentielle sur des possibles.
Le dispositif expérimenté a ainsi permis à environ la moitié des étudiants-stagiaires d’entrer dans le processus réflexif, entendu comme la capacité de réfléchir délibérément sur ses propres pratiques en vue de les améliorer. Si on se réfère au modèle de Jorro (2005) distinguant différents niveaux dans le processus réflexif, ces étudiants ont dépassé le seuil du « reflet », c’est-à-dire celui de la description d’éléments perçus comme importants. Ils sont entrés dans le seuil de « l’interprétation », c’est-à-dire du questionnement inédit sur sa pratique. Certains reconnaissent une prise de conscience et une remise en cause de leurs représentations initiales grâce aux échanges avec leurs pairs ou le formateur. Pour d’autres, minoritaires, le seuil dit de la « fonction critique-régulatrice » semble même atteint, envisageant une ou des alternatives à l’action menée et parfois un retour à l’action. En revanche, le palier de « réflexion critique », touchant à des préoccupations d’ordre éthique, que l’on trouve dans les modèles proposés par Van Manen (1977) ou Hatton et Smith (1995) fait défaut pour tous.
Cependant, les résultats de l’expérimentation menée ont des limites. Il est en effet difficile de mesurer le degré d’engagement personnel dans une activité réalisée collectivement. Quelle est réellement la part de chacun dans la production finale proposée ? Certains étudiants stagiaires, dans leur écrit réflexif, évoquent le manque d’investissement de certains de leurs pairs (étudiant 23 : « il serait bien cependant que tout le monde joue le jeu »). Carré et Fenouillet (2011) parlent de comportements d’inertie sociale en situation de travail de groupe.
Par ailleurs, ce n’est pas parce que les étudiants-stagiaires ne mentionnent pas certains éléments dans leurs écrits réflexifs qu’ils n’existent pas :
objet mouvant, peu aisément perceptible du fait qu’elle suppose à la fois capacité de décentration, intimité à soi et confrontation à l’autre […], la réflexivité ne se laisse pas réduire à des critères prédéterminés qui tenteraient de la décrire, de la rendre observable, voire de la circonscrire de manière exhaustive (Goï & Huver, 2011, p.7).
C’est le cas par exemple du critère de la prise de conscience. On peut s’étonner du faible nombre d’étudiants-stagiaires y faisant référence dans leur écrit. D’autres évoquent des perspectives de transformation sans pour autant parler de prise de recul sur leur pratique. Cela pourrait s’expliquer d’une part par le peu de balises données pour l’écrit réflexif ou par la part d’implicite dans tout discours, mais aussi par le fait que la réflexivité se manifeste parfois à l’insu du formateur, notamment sur le lieu d’exercice de l’étudiant-stagiaire.
Enfin, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de signes immédiats de transformation ou de « mise en mouvement » (Perrenoud, 2001, p.118) que le dispositif expérimenté n’a pas permis l’entrée dans la démarche réflexive des apprenants. Comme le note Perrenoud (2001), les effets peuvent se produire bien plus tard.
Pour conclure, au vu des résultats, on peut donc dire que le dispositif expérimenté a en partie permis de valider les hypothèses opérationnelles proposées afin de favoriser l’entrée dans une démarche réflexive des étudiants-stagiaires pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles. En effet, proposer comme objet de réflexion des traces écrites ne provenant pas des étudiants-stagiaires en formation a permis de réduire l’insécurité liée à la peur du jugement. Tous se sont engagés dans le premier travail d’analyse proposé par le formateur et plus de la moitié a accepté, dans la seconde phase de l’expérimentation, de donner à voir des traces de sa propre action en classe. Une partie des apprenants a donc visiblement été rassurée sur les intentions du formateur et a trouvé de l’intérêt au dispositif proposé. Par ailleurs, la mise en place d’un travail collaboratif entre pairs et l’apport de savoirs de formation par le formateur, dans le partage social qu’ils impliquent, ont permis à une partie des étudiantsstagiaires de prendre du recul sur leur propre pratique, d’entrer dans l’analyse et de s’ouvrir à des points de vue alternatifs.
Toutefois, le dispositif expérimenté a mis en évidence certaines limites des hypothèses opérationnelles. En effet, si le formateur peut influer sur la fonction motivante des projets, il n’a en revanche que peu de prise sur « la part d’autodétermination inhérente aux processus motivationnels » (Carré & Fenouillet, 2011, p.284). Par ailleurs, la plus grande difficulté repérable dans les discours reste l’articulation entre l’espace de la formation et celui de la classe, plus ou moins investie par les apprenants. Ce n’est pas parce que les étudiants stagiaires réfléchissent à partir de traces de leur action, voire définissent eux-mêmes leurs objectifs de formation qu’ils envisagent un réinvestissement en classe. La séparation entre les différents temps et lieux de la formation reste très présente. C’est ce sur quoi il conviendrait de réfléchir prioritairement.
4 Pistes d’actions au vu des résultats
Les résultats de l’expérimentation menée ici ont permis de mettre en lumière que les trente-et-un étudiants-stagiaires ne se situent pas tous au même endroit sur le difficile et exigeant chemin de la réflexivité.
Le cadre contraint de la maquette actuelle de Master ne permet actuellement qu’un petit module d’initiation à la réflexivité. Or « développer sérieusement des compétences prend beaucoup de temps […]. Un formateur ne saurait attendre des stagiaires qu’ils fassent en quelques jours, le chemin qu’il a lui-même parcouru en dix ans » (Perrenoud, 2001, p.168170). L’année de Master 2 est vécue comme une année de fortes tensions par les étudiants stagiaires face à la multitude de tâches à assumer et à la transformation identitaire qu’implique l’entrée dans le métier, ponctuée de validations. La manière dont chacun gère, selon ses expériences personnelles et son contexte de stage, ces pressions se traduit par une plus ou moins grande disponibilité vis-à-vis de l’approche réflexive : « la pratique réflexive s’épuise vite si l’on n’y trouve du plaisir. Il faut donc y consentir volontiers » (Perrenoud, 2013, p.89). Aussi pourrait-on penser le dispositif expérimenté sur un temps plus long. En effet, pour pouvoir accepter de réfléchir à sa pratique, il faut être en partie rassuré sur son évolution professionnelle et être sorti de l’urgence. La solution serait alors de différer l’entrée dans la pratique réflexive à l’année suivante au prétexte que l’on ne peut pas tout faire en formation initiale. Cependant, il est sans aucun doute plus pertinent d’envisager d’initier les étudiants à la démarche réflexive en amont de l’année de stage, afin qu’ils puissent en tirer parti lorsqu’ils seront confrontés au « choc de la réalité » (Baillauquès,1999, cité par Devos & Paquay, 2013).
Ainsi la formation à la réflexivité devrait s’inscrire dans un continuum, engagé au sein du cycle Licence en formation initiale et poursuivi en formation continuée après la titularisation : « la pratique réflexive s’apprend au gré d’un entraînement intensif » (Perrenoud, 2001, p.43).
Aussi pourrait-on réfléchir à la construction d’un véritable parcours de formation pour favoriser le développement de la compétence réflexive, d’un « savoir analyser » et faire en sorte que les étudiants tirent parti de la formation en alternance. Comme le suggèrent Degand et Dejemeppe (2013), la « proposition d’une sorte de progression spiralaire, voire de montée en puissance, de l’apprentissage du métier et de la réflexivité sur celui-ci » (p.143) semble être une piste à explorer. Il s’agirait de construire progressivement le regard à porter sur la réalité observée. Les propositions de Charlier & al. (2013) pour soutenir la démarche réflexive pourraient servir de guide. Ils ont en effet identifié cinq composantes du processus d’analyse des pratiques : Décrire (D), Problématiser (P), Analyser (A), Théoriser (T) et Réinvestir (R).
Tableau 1 : Proposition d’un parcours pour favoriser le développement de la compétence réflexive en formation initiale.
Ainsi, si l’on reprend, par exemple, les critères de réflexivité utilisés précédemment pour l’expérimentation, on pourrait imaginer inviter l’étudiant, en stage d’observation ou en cointervention en Licence, à collecter des traces des apprentissages des élèves dans le cadre de la formation en Histoire-Géographie, et d’une manière plus transversale, des traces de postures d’enseignement. L’objectif serait de se familiariser avec les matériaux qui serviront de support à l’analyse et de travailler le récit des faits observés, c’est-à-dire la description.
Cette démarche n’est en effet pas naturelle : « elle suppose une rigueur et un souci de mettre en mots » (Charlier & al.,2013, p.27).
En Master 1, le formateur pourrait dans un premier temps favoriser la prise de conscience de l’étudiant-stagiaire sur ses pratiques, en l’accompagnant dans la construction d’outils, comme des grilles d’analyse avec des critères explicites d’évaluation de son action. Cela faciliterait une mise en mots parfois difficile et la mise à distance. Il s’agirait de travailler la composante Décrire, mais aussi la composante Problématiser, définie ainsi par Charlier & al. (2013) : « identifier le point d’entrée pour traiter la situation, ce qui pose question » mais également « se mettre en dehors de la situation pour la regarder et prendre du recul » (p.30). Dans un second temps, le formateur pourrait introduire la mobilisation d’outils conceptuels afin d’amener l’apprenant à mieux comprendre les ressorts de son action et d’en enrichir l’analyse. Il s’agira ainsi de questionner ses choix, de remettre en cause ses pratiques en ayant accès à d’autres grilles de lecture que la sienne. En effet, la composante Analyser « suppose une multiréférentialité » (Charlier & al., 2013, p.33).
Enfin, en Master 2, on pourrait imaginer renforcer le lien entre les différents lieux et temps de la formation en favorisant les aller-retours entre le terrain et la formation universitaire. Les composantes Théoriser et Réinvestir seraient alors travaillées. Il s’agirait ainsi d’envisager des alternatives auxquelles on n’avait pas pensé dans l’action, en tirant profit de l’expertise de ses collègues et des formateurs, en se documentant, puis de les essayer en classe et d’en mesurer les effets. Comme le souligne Jorro (2005), « la réflexion est action ! » (p.17).
Ce parcours de formation potentiel, spiralaire et progressif, permettrait la différenciation. « Davantage encore que le but ou le point d’arrivée, le « chemin parcouru » peut devenir un indicateur pertinent du développement de la compétence réflexive » (Goï & Huver, 2011, p.7) : cela pourrait pleinement s’inscrire dans une logique d’évaluation par compétence, non certificative, mais formative, dans laquelle l’étudiant-stagiaire devrait, de manière réitérée, produire des traces d’activité réflexive. Il s’agirait de vérifier ce qui a été appris grâce aux activités proposées et en quoi cela a occasionné du développement professionnel, mais au rythme de chacun et sans pression. On peut ainsi supposer qu’à force d’entraînement, la démarche réflexive devienne habitude.
Cependant, la plus grande prudence reste nécessaire. La formation à la réflexivité ne doit pas devenir une injonction, ce qui renforcerait les résistances, mais rester une invitation à revisiter ses pratiques : « la formation peut au moins aider à la prise de conscience, à la mise en mots des pratiques, à l’élucidation des mobiles. Ensuite, à chacun de choisir s’il veut retomber dans ses routines ou tenter de les modifier » (Perrenoud, 2001, p.162). La réussite reposera en partie sur la capacité du formateur à instaurer un climat de confiance, en établissant des règles de fonctionnement, et à apporter une aide bienveillante afin de sécuriser le champ affectif et permettre l’engagement volontaire dans un processus intime et déstabilisant.
Conclusion
Ce travail de réflexion et d’expérimentation sur un des objectifs affichés dans le nouveau référentiel de formation des enseignants du XXIème siècle (2019) – former des praticiens réflexifs - m’a permis de revisiter mes pratiques de formatrice à la lumière des apports de la recherche, et d’en percevoir un peu plus toute la complexité. Il m’a permis également d’identifier les effets d’une expérimentation et d’en dégager des propositions pour une construction progressive de la compétence d’analyse réflexive dans le cadre du continuum de formation Licence-Master.
Être réflexif est une aide à la construction et au renforcement de l’identité professionnelle de l’enseignant, mais cela suppose également une capacité à se distancier de son action, à l’analyser avec un recul critique et donc une certaine maturité professionnelle. C’est dans ce paradoxe que réside toute la difficulté de la formation d’enseignants novices. Aussi m’a-t-il semblé indispensable, dans le dispositif expérimenté, de proposer aux étudiants-stagiaires des outils afin de guider davantage leur réflexion, pour pouvoir réfléchir à leur pratique.
Par ailleurs, l’impact psychologique de la formation n’est pas à sous-estimer. Si chacun semble plus ou moins prêt à réfléchir sur ses pratiques, au moins dans le principe, en accepter les implications est moins évident : « chaque évolution que suggère la formation est […] une remise en cause partielle de schémas anciens qu’il faut réadapter au risque de bousculer la construction de soi et son écho réflexif : l’image de soi » (Perez-Roux, 2013, p.129). Le volet émotionnel de la formation à la réflexivité est sans aucun doute un élément que je ne prenais jusqu’à présent pas assez en compte et dans lequel le formateur a pourtant un large rôle à jouer. Sa capacité à garantir un cadre éthique pour lever les peurs, à écouter sans juger pour libérer la parole, à guider sans imposer pour ouvrir la voie vers d’autres possibles est primordiale. Aussi ai-je essayé d’adapter les supports de formation proposés aux étudiants stagiaires en ce sens : des traces écrites neutres et anonymes, des exemples possibles de traces écrites mémoires …
Cependant, l’erreur serait de penser que le formateur peut tout. Le choix que fera ou non l’apprenant de s’engager dans une démarche réflexive lui échappera toujours en partie : « tous les étudiants n’aspirent pas à devenir des professionnels réflexifs, moins encore à faire de cette posture l’épine dorsale de leurs études » (Perrenoud, 2013, p.85). Cela ne doit pas empêcher pour autant le formateur de faire percevoir l’intérêt d’une telle démarche, en ancrant davantage la formation dans le réel et en recherchant la meilleure adéquation possible entre les intentions de l’institution et les attentes des formés. Être formateur, c’est sans aucun doute renoncer à une certaine forme de toute-puissance.
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- Vygotski, L. (1934). Pensée et langage. Paris : La dispute.
Annexes
Annexe I : Traces écrites fournies par le formateur lors de la première phase de l’expérimentation.
EXPLORER LE MONDE : trace écrite du cahier de Zoé, Grande section, Cycle 1.
QUESTIONNER LE MONDE : trace écrite du cahier de Clara, CP, Cycle 2.
THEME 1 : ET AVANT LA FRANCE ? : Quelles traces d’une occupation ancienne du territoire ?
Trace écrite du cahier de Noémie, CM1, Cycle 3
Annexe II: Etayage fourni par le formateur pour guider la réflexion individuelle sur les traces écrites mémoires.
Fiche outil n°2 : Grille d'analyse de pratiques professionnelles
Document élaboré par le département d'Histoire-Géographie de l'Inspé de l'académie de Reims
Annexe III : Questionnement fourni par le formateur pour guider la réflexion individuelle sur les traces écrites mémoires.
TD N°4 : PASSER DE L’ECRIT DE TRAVAIL A L’ECRIT DE MEMOIRE
SITUATION DE FORMATION :
- Analyse de traces écrites d’élèves de cycle 1, cycle 2 et cycle 3.
- Production d’une trace écrite institutionnalisée
OBJECTIFS DE FORMATION :
- Mieux intégrer l’élaboration de la trace écrite institutionnalisée à la scénarisation pédagogique : mener une réflexion sur la fonction de la trace écrite institutionnalisée et son élaboration. ➢ Mieux prendre en compte la diversité des élèves.
- S’engager dans une démarche individuelle et collective de formation.
1er TEMPS : analyse de traces écrites (1h30)
1) Après avoir pris connaissance des traces écrites, individuellement, chaque membre du groupe en propose un commentaire à l’aide des éléments de programme (fiche-outil n°1) et de la grille d’analyse (fiche-outil n°2) = 15 min
-description des différents éléments observés
-interprétation (en évitant le jugement) des intentions de l’enseignant
-points communs et différences avec sa propre pratique
Annexe IV: Etayages fournis par le formateur pour guider la réflexion collective sur les traces écrites mémoires (questionnement et fiche-outil)
2) Mise en commun au sein du groupe = 45 min
-quelle(s) problématique(s) soulèvent ces documents pour les enseignants ? Les élèves ? Les parents ? (fiche-outil n°3)
-réaliser une proposition d’évolution ou d’alternative sous forme d’affiche A3 AVANT-PROBLEMATIQUE(S)-APRES
FICHE-OUTIL N°3 : LA TRACE MEMOIRE (L’INSTITUTIONNALISATION DU SAVOIR)
1 - CE QU’EN DISENT LES TEXTES INSTITUTIONNELS
A l’école maternelle
➢ Nouveaux programmes BO du 26 mars 2015 : « Chaque enseignant s’attache à mettre en valeur, au-delà du résultat obtenu, le cheminement de l’enfant et les progrès qu’il fait par rapport à lui-même. Il permet d’identifier ses réussites, d’en garder des traces, de percevoir leur évolution. Il est attentif à ce que l’enfant peut faire seul, avec son soutien ou celui des autres enfants. »
« Dans tous les cas, les situations inscrites dans un vécu commun sont préférables aux exercices formels proposés sous forme de fiches »
A l’école primaire
- Eduscol ressources « pratiquer différents langages en histoire et en géographie », mai 2017 : « L’écrit intervient comme un outil pour mémoriser les connaissances élaborées au cours de la séance et les formaliser à travers une trace écrite de référence. L’écrit de référence consigne l’essentiel à retenir d’une leçon, il doit être clairement distingué des écrits de travail produits par l’élève au cours de sa mise en activité. Il renvoie au savoir collectif qu’on a voulu construire au cours de la leçon. Il peut être un écrit de l’élève validé ou un écrit du professeur »
2 - CE QU’EN DISENT LES CHERCHEURS
Objet commun aux multiples facettes :
- PHILIPPOT, T., NICLOT D. (2011), Analyser le travail des professeurs de collège à partir des « traces écrites » réalisées en classe, Colloque international INRP, 16,17,18 mars 2011, Le travail enseignant au XXIe siècle. Perspectives croisées : didactiques et didactique professionnelle
« point de rencontre entre la discipline scolaire, le travail enseignant et le travail des élèves »
« une trace de l’activité -de la co-activité- enseignant/élève, mais aussi de l’activité de préparation de la séance réalisée par l’enseignant préalablement à l’action»
« Elle permet d’accéder aux multiples fonctions et destinataires pour lesquels elle a été élaborée »
- AMIGUES, R. (2003), Pour une approche ergonomique de l’activité enseignante. Skholê, hors-série 1, 5-16 « expression de choix, compromis, incertitude, décision, prise de risque et investissement subjectif pour faire au mieux dans la tension entre le prescrit et le réel »
3 - LA TRACE ECRITE : DANS QUELS BUTS ?
- C’est une aide à la mémorisation : fixer les savoirs et capacités vus en classe. Cela permet aux élèves d’y revenir, de les mémoriser (différents profils d’apprenants). C’est la fonction la plus évidente.
- C’est un outil de conceptualisation : passer de ce qui a été vécu, découvert par l’élève à ce qu’il sait en dire ou écrire. Cela sert à penser et enclenche un grand nombre d’opérations mentales : mémoriser, reformuler, résumer, hiérarchiser les informations, les mettre en relation…
- Elle développe les apprentissages langagiers : mettre en mots ce que l’on a appris. Produire une trace écrite, c’est disposer d’une situation pour apprendre à produire un écrit informatif ou explicatif, présenter un tel type de texte et utiliser un lexique précis.
- Lien entre la classe et la maison : donne à voir aux parents ce qui s’est passé en classe, ce qu’il y a à retenir et apprendre. Elle doit donc être pertinente (relève de la responsabilité de l’enseignant) et compréhensible (construite avec l’élève). (www.ac-grenoble.fr)
Annexe V: Quelques propositions d’évolution ou d’alternative à la trace écrite mémoire initiale sous la forme d’une affiche A3 avant / après réalisées par les étudiants-stagiaires.
Cycle 1
Cycle 2
Cycle 3
Annexe VI : Quelques exemples de formes de traces écrites mémoires proposées par le formateur.
Cycle 1
Cycle2/Cycle 3
Annexe VII : Exemples de fiche-projet de formation pour le groupe
Annexe VIII : Capture d’écran espace de collecte des traces écrites des étudiants-stagiaires dans Tribu.
Annexe IX : Quelques écrits réflexifs d’étudiants-stagiaires en fin d’expérimentation.
Annexe X : Analyse qualitative des données recueillies
Annexe XI : Grille d’analyse quantitative des données recueillies
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