En quoi la prise en compte de la langue première et les approches plurilingues en UPE2A peuvent-elles être des leviers pour la réussite des élèves allophones ?
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2018-2020
Mémoire professionnel
Discipline : Lettres modernes - FLS
Titre : En quoi la prise en compte de la langue première et les approches plurilingues en UPE2A peuvent-elles être des leviers pour la réussite des élèves allophones ?
Auteur : NEPLES Delphine
Table des matières
I- La scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés
1. L’Elève Allophone Nouvellement Arrivé
2.1. La circulaire académique du 13 septembre 2016 concernant la scolarisation des EANA
2.3. Le référentiel des compétences
3. La prise en charge en Unité Pédagogique pour Elèves Allophones nouvellement Arrivés
4. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
4.2. Le Diplôme d’Etudes en Langue Française
4.3. Le principe du plurilinguisme
II- Les langues des élèves allophones : un levier pour construire l’apprentissage du français ?
1. Bilinguisme et compétence plurilingue
2. L’élève allophone : un individu plurilingue
2.1. La présence de la langue première
2.2. Un « bilinguisme émergent »
2.3. Des compétences plurilingues à valoriser
3. Les langues des élèves allophones, un socle pour construire la langue de l’école
3.1. Faire exister les langues dans la classe, les valoriser
3.2. Et inclure les langues premières dans les activités
3.3. Pour développer une compétence plurilingue
3.4. Vers l’apprentissage de la langue de scolarisation
2.1. Une place pour la langue première des élèves allophones ?
2.2. Quelles pratiques plurilingues ?
2.3. Les difficultés - Le besoin en formation
IV- Actions de formation autour du plurilinguisme
1. L’atelier animé par le CASNAV lors du séminaire « Eveil aux langues »
1.4. Difficultés et évaluation
2.2. Utiliser la vidéo en formation – ramener le réel en formation
3. La formation des coordonnateurs d’UPE2A
3.1. La formation pour les enseignants nouvellement nommés en UPE2A
3.2. La formation des personnels expérimentés
Introduction :
L’académie de Reims a accueilli en 2018/2019 1268 Elèves Allophones Nouvellement Arrivés (EANA), dont 508 dans le premier degré et 760 dans le second degré. Si nous comparons avec les années précédentes, nous constatons un accroissement significatif du nombre d’EANA sur le territoire académique mais aussi national et ces effectifs augmentent tous les ans. Les élèves allophones sont scolarisés dans les zones urbaines majoritairement mais ils sont également de plus en plus présents dans les zones rurales de nos quatre départements. La question de la prise en charge de ces élèves à besoins éducatifs particuliers se pose donc de manière évidente, quelle que soit la situation d’enseignement, et ce dans les deux degrés.
Les élèves allophones bénéficient du dispositif appelé Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Nouvellement Arrivés (UPE2A) dès le début de leur scolarisation dans le système éducatif français et ce pendant deux ans maximum dans notre académie. Ces dispositifs sont implantés dans des écoles, des collèges et des lycées et permettent un apprentissage du français, notamment de la langue de l’école. Les enseignants qui interviennent dans ces structures sont titulaires pour une majorité d’une Certification Complémentaire en Français Langue Seconde. Au contact quotidiennement avec des élèves de langues et de cultures variées, ils possèdent donc une expertise dans l’enseignement aux EANA.
L’UPE2A est un accélérateur d’apprentissage linguistique mais aussi un formidable laboratoire pédagogique en lien avec les pratiques de la classe ordinaire.
En effet, les groupes en UPE2A sont restreints (en général une dizaine d’élèves dans le second degré, moins dans le premier), les élèves ont des profils très variés (bien, peu ou pas scolarisés antérieurement), des degrés de francophonie différents, une culture de l’école plus ou moins éloignée de la nôtre, des langues premières différentes, des cultures diverses … L’enseignant qui intervient dans cette structure doit « gérer une situation peu ordinaire. Funambule de l’hétéroclite, il jongle avec la diversité des pays d’origine et les multiples raisons d’arrivée en France » (Rafoni, 2007). Ces particularités obligent à innover, à prendre en compte de manière accrue les spécificités du public apprenant et la situation inédite d’apprentissage qu’elle génère.
L’une des principales spécificités est l’accueil d’un public dont la langue 1 est différente de la langue du professeur. La question de la place de la langue maternelle dans les pratiques en UPE2A est donc au cœur de mon questionnement : comment s’appuyer sur une compétence linguistique déjà installée chez les élèves ? Quelle place lui donner dans les activités de classe, notamment dans l’apprentissage du français langue seconde ? Comment peut-on alors s’appuyer sur cette langue pour construire l’apprentissage du français à l’oral comme à l’écrit ? Comment accompagner les élèves vers la construction de cette richesse évoquée par Tahar Ben
Jelloun : « Je suis heureux d’appartenir à deux pays, deux cultures, deux langues et je vis cela comme un enrichissement permanent. »
En quoi la prise en compte de la langue première et les approches plurilingues en UPE2A peuvent-elles être des leviers pour la réussite des élèves allophones ?
Après avoir posé le cadre de la scolarisation des EANA, j’exposerai les étapes du processus d’apprentissage linguistique que connaissent les individus confrontés à une langue seconde. Nous verrons que ces étapes invitent à prendre appui sur les langues connues des élèves. Enfin, à partir d’un recueil d’informations sur les pratiques en UPE2A, j’évoquerai la question de la formation des enseignants qui interviennent dans ces structures. En effet, une approche plurilingue permettrait de rendre plus efficace l’enseignement du français.
I- La scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés
La scolarisation des élèves allophones est encadrée par des textes au niveau national qui trouvent leur déclinaison dans notre académie. Ces textes permettent le respect des procédures d’accueil et garantissent le principe d’inclusion qui prévaut à la prise en charge des EANA. Il existe dans l’académie de Reims 27 dispositifs UPE2A dans le 1er degré et 39 dans le 2nd degré. Ils offrent un accompagnement linguistique qui s’articule avec l’inclusion en classe ordinaire. Un projet individualisé permet d’en fixer les objectifs.
1. L’Elève Allophone Nouvellement Arrivé
« Est considéré comme élève allophone nouvellement arrivé tout élève ayant des besoins éducatifs particuliers dans l’apprentissage du français langue seconde qui ont été mis en évidence par un test de positionnement. Celui-ci peut également concerner les apprentissages scolaires de manière générale. » (MEN-MESRI-DEPP, 2018).
Un enfant qui arrive sur le territoire français passe donc par un processus d’affectation qui comporte une évaluation de positionnement : « il s’agit d’une évaluation permettant de déterminer le niveau de scolarisation antérieur des élèves allophones, leurs acquis initiaux en langue française, ainsi que leurs compétences scolaires (en mathématiques notamment) » (MEN-MESRI-DEPP, 2018). Cette évaluation qui concerne les mathématiques, le français et la langue première va permettre de déterminer le profil de l’élève et de décider de la prise en charge à mettre en place pour la scolarisation. En effet, selon son parcours, celui-ci peut être plus ou moins éloigné de l’école. Les objectifs fixés lors de l’élaboration du projet individualisé seront différents selon le degré de francophonie et selon le fait que l’élève sera identifié comme Non Scolarisé Antérieurement, Peu Scolarisé Antérieurement ou ayant vécu une scolarité régulière.
L’élève allophone est donc un élève à besoins éducatifs particuliers temporairement puisqu’il est en droit de bénéficier d’une prise en charge spécifique en Unité Pédagogique pour Elèves Allophones nouvellement Arrivés pendant une année à partir de la date de sa première scolarisation en France. En fonction de ses besoins, une reconduction d’un an est parfois mise en place dans notre académie. Néanmoins, plusieurs années sont nécessaires pour acquérir la maîtrise d’une langue seconde, c’est pourquoi les établissements scolaires doivent mettre en place des accompagnements au-delà de ces deux années de prise en charge en UPE2A.
Les profils administratifs de ces élèves sont variés : enfants étrangers adoptés, enfants de citoyens européens, enfants issus du regroupement familial, enfants de réfugiés, enfants venant des territoires d’outre-mer, mineurs isolés étrangers pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, enfants de demandeurs d’asile.
2. Le cadre institutionnel
2.1. La circulaire académique du 13 septembre 2016 concernant la scolarisation des EANA
Cette circulaire rappelle le principe d’inclusion scolaire pour « tous les enfants, sans aucune distinction » en s’appuyant sur la loi de 2013 sur la refondation de l’école de la République. Il est indiqué que « la prise en charge des élèves allophones […] requiert une vigilance toute particulière de l’ensemble des équipes éducatives et des services académiques. » Il est affirmé également dans ce texte que « la prise en charge pédagogique de ce public à besoins éducatifs particuliers doit reposer sur des pratiques inclusives. » C’est l’enseignant coordonnateur d’une UPE2A qui organise le « suivi individualisé » de l’élève allophone nouvellement arrivé. Il faut tenir « compte des compétences antérieures acquises » afin de « permettre à chacun de ces élèves de construire un parcours adapté, sans que leur maîtrise insuffisante de la langue française soit un handicap. » « Il s’agit de proposer, dans le 1er comme dans le 2nd degré, un accueil sans délai et tout au long de l’année »
Pour accompagner les équipes dans la prise en charge des EANA, « le CASNAV – pôle d’expertise, de ressources et de formation » est mentionné ; « il peut notamment aider les équipes qu’il s’agisse d’interventions ponctuelles ou de formations portant par exemple sur les processus d’apprentissage de ces élèves, l’articulation avec la classe ordinaire ou l’adaptation des contenus d’enseignement. » Cette circulaire académique prend appui sur les circulaires nationales du 20 mars 2002 et du 2 octobre 2012 et en rappelle deux grands principes :
- « L’obligation d’accueil dans les écoles et établissements s’applique de la même façon pour les élèves allophones arrivants que pour les autres élèves. »
- « L’école est un droit pour tous les enfants résidant sur le territoire national quels que soient leur nationalité, leur statut migratoire ou leur parcours antérieur ».
2.2. Le projet académique
Les axes du projet académique affirment également cette nécessité de prendre en compte l’hétérogénéité culturelle et linguistique des élèves, notamment :
- Axe 1 : Assurer les conditions d’une école accueillante
Objectif 1 : accueillir tous les élèves avec bienveillance et porter une attention particulière à ceux qui en ont le plus besoin
Objectif 2 : Installer un environnement scolaire serein
Objectif 3 : Adapter les parcours de chacun pour que chacun y trouve ou retrouve sa place
- Axe 2 : Faire réussir tous les élèves en reconnaissant la diversité des excellences
Objectif 4 : Permettre à chaque élève d’accéder à la maîtrise des savoirs garantissant la réussite de sa scolarité tout au long de son parcours
Objectif 5 : Construire des modalités pédagogiques adaptées aux besoins des élèves
Objectif 6 : Valoriser les talents et répondre aux aspirations des élèves par la diversité des parcours
2.3. Le référentiel des compétences
Le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation souligne la nécessité pour les enseignants d’adapter leurs pratiques aux spécificités de leurs élèves pour une meilleure inclusion scolaire :
- « adapter son enseignement et son action éducative à la diversité des élèves »
- « adapter son enseignement aux élèves à besoins éducatifs particuliers »
- « participer au développement d’une compétence interculturelle chez les élèves » Les élèves allophones font partie des élèves à besoins éducatifs particuliers qui nécessitent que les enseignants adaptent leurs gestes professionnels pour leur permettre de progresser et de comprendre les attendus du système éducatif.
3. La prise en charge en Unité Pédagogique pour Elèves Allophones nouvellement Arrivés
La circulaire académique de 2016 affirme que « l’enseignement du français comme langue de scolarisation est assumé par l’ensemble de l’équipe pédagogique impliquée. Une prise en charge spécifique en UPE2A est organisée en fonction des besoins linguistiques de l’élève. »
Les UPE2A sont les dispositifs mis en place pour faciliter et accélérer l’apprentissage du français de scolarisation. Un travail conjoint est alors mené entre les enseignants de la classe ordinaire et le coordonnateur de ces dispositifs. Ceux-ci sont en première ligne pour prendre en charge les différents profils d’élèves allophones présents dans une école, un collège ou un lycée et souvent tout un secteur par le jeu des conventions entre établissements.
En effet, « à son arrivée en France, la langue française est le plus souvent pour l’élève allophone une langue étrangère, puis elle va progressivement devenir une langue seconde. Elle est dès son entrée à l’école une langue de scolarisation, la langue à laquelle il est exposé, celle de la classe ordinaire » (Cherqui, Peutot, 2015). L’élève est accompagné, grâce au dispositif UPE2A notamment, dans son apprentissage du français qui va rapidement devenir sa deuxième langue, celle de son quotidien et celle de l’école. C’est sur cet enseignement du français en UPE2A que portera ma réflexion.
4. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
4.1. Le CECRL
Les objectifs de l’apprentissage d’une langue étrangère sont déterminés notamment par le CECRL. Ce cadre se base sur une échelle de niveaux de compétences en langue établie par paliers du A1 au C2. Pour chaque niveau, des descripteurs de compétences détaillent ce que le locuteur est capable de réaliser à l’écrit comme à l’oral, en compréhension et en production. Les professeurs intervenant en UPE2A s’appuient en partie sur cette approche de l’enseignement des langues vivantes pour enseigner aux EANA. Même s’il ne constitue pas l’unique principe qui prévaut en UPE2A, le CECRL et la déclinaison des compétences et des niveaux détermine une partie des pratiques linguistiques qui y sont développées. Les six compétences (production écrite et orale, production écrite et orale, interaction écrite et orale) y sont travaillées.
4.2. Le Diplôme d’Etudes en Langue Française
Les Elèves Allophones Nouvellement Arrivés sont amenés à se présenter au DELF comme le rappelle la circulaire académique du 13 septembre 2016 : « les chefs d’établissement et les directeurs d’école veilleront, en temps opportun, à bien communiquer aux responsables légaux des élèves les informations relatives à l’inscription à l’examen du DELF scolaire ou du DELF prim ». En effet, les EANA ont la possibilité de passer, en plus des autres examens de la scolarité française, le DELF scolaire (pour les élèves du second degré) ou le DELF prim (pour les élèves du premier degré) dont les niveaux s’appuient sur les compétences définies par le CECRL. Les enseignants reçoivent une formation spécifique animée par le CASNAV pour être examinateur-correcteur du DELF.
4.3. Le principe du plurilinguisme
Ce qui nous intéresse ici est le principe du plurilinguisme qui est central dans l’approche du CECRL et dont l’objectif est de créer des liens entre les langues et des équivalences en termes de compétences : « [L]’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. » (CECRL, 2001)
Pour conclure, rappelons que le principe d’inclusion guide la prise en charge des élèves allophones dont l’accueil est encadré. L’objectif in fine est de rendre l’EANA autonome et de développer chez lui les compétences linguistiques en français nécessaires pour qu’il soit en mesure de suivre toutes les disciplines scolaires.
Comment faut-il alors aborder l’apprentissage du français en UPE2A ?
II- Les langues des élèves allophones : un levier pour construire l’apprentissage du français ?
Une UPE2A possède une spécificité majeure : elle accueille des élèves dont la langue première n’est pas le français afin de permettre une inclusion réussie dans la classe ordinaire. L’objectif est donc bien l’apprentissage d’une nouvelle langue qui est celle de l’école : le français langue de scolarisation.
Puisque de nombreuses langues sont présentes en UPE2A, peut-on s’appuyer sur celles qui sont connues par les élèves ? De quelle manière la prise en compte de ces langues peut-elle soutenir l’apprentissage de la langue seconde et la construction du bilinguisme ? Doit-on se contenter de les reconnaître et de les valoriser ? Faut-il se familiariser avec elles et les faire exister en classe ? Comment aller plus loin ?
1. Bilinguisme et compétence plurilingue
La situation de l’élève allophone confronté au quotidien à une autre langue qui devient langue seconde et langue de scolarisation m’amène à m’interroger sur la notion de bilinguisme que j’aborderai ici selon le point de vue des linguistes. La notion peut être définie simplement pour commencer comme « l’utilisation régulière de deux ou plusieurs langues » (Grosjean, 2015). Je développerai dans les parties suivantes ce que cette définition générale sous-tend comme informations spécifiques.
1.1. Le continuum
Les linguistes n’opposent pas le bilinguisme (ou le plurilinguisme) au monolinguisme. En effet, « le monolinguisme et le bilinguisme sont plus semblables que différents » puisque « tout comme les bilingues passent d’une langue à l’autre selon différentes fonctions ou situations langagières, les monolingues passent d’un style à l’autre, ou d’une variété à une autre. Le bilinguisme n’est qu’un exemple spécial et saillant du phénomène plus général de répertoire linguistique. » (Hélot, 2007). Il existe donc une seule compétence langagière complexe qui se décline selon différents modes en fonction des situations des individus. C’est ce « continuum » (Hélot, 2007) qu’il est utile de prendre en compte pour mieux saisir les acquis linguistiques d’un individu : « la coexistence et l’interaction de deux ou plusieurs langues chez le bilingue ont créé un ensemble linguistique qui n’est pas décomposable. Le bilingue n’est pas deux ou plusieurs monolingues en une seule personne, mais un être de communication à part entière » (Grosjean, 2015). « Le bilingue présente la même compétence communicative que le monolingue, et communique aussi bien que ce dernier avec le monde environnant, mais de manière différente. » (Grosjean, 2015). Le développement du bilinguisme chez un individu fait donc appel à la même compétence langagière que chez un individu monolingue. Christine Hélot suggère « de reconnaître ce répertoire et de le développer afin que les capacités linguistiques de l’apprenant trouvent leur place légitime. » (2007)
1.2. L’interlangue
Dans leur apprentissage d’une nouvelle langue, les individus passent par des phases intermédiaires qui montrent clairement que la maîtrise, même partielle, de la nouvelle langue n’est pas installée. Les productions sont en partie erronées, incorrectes, « les apprenants passent par différentes interlangues dans leur cheminement vers une maîtrise de la nouvelle langue. » (Grosjean, 2015). « Les locuteurs bilingues ont souvent une perception négative de leur parler bilingue, sous l’influence des monolingues qui interprètent ces mélanges comme un signe de confusion ou de dégradation. » (Hélot, 2007) Or ces étapes intermédiaires sont le signe d’un apprentissage en phase de se structurer, caractérisé par des « interférences en provenance de la première langue » (Grosjean, 2015). La pratique du français, à l’oral comme à l’écrit, montre des erreurs qui ont un lien avec la structure grammaticale et la phonétique de la langue familiale. « Certes, c’est encore une langue incomplète, réduite, fautive, mais toujours en cours d’acquisition et en permanence alimentée par l’entourage immédiat. Elle est à la fois vitale et vivante. » (Rafoni, 2007).
L’erreur pour un EANA est signe de progrès, d’appropriation progressive de la langue 2 et doit donc être regardée par les enseignants comme un signe positif, un signe de progrès. C’est pourquoi les linguistes évoquent cette notion d’interlangue, c’est-à-dire de langue intermédiaire encore en structuration. Cette phase d’erreurs dure parfois plusieurs mois, plusieurs années, et doit être encouragée chez l’EANA afin qu’elle aboutisse à une pratique maîtrisée du français.
1.3. Le parler bilingue
La notion de bilinguisme peut être évoquée même si l’individu ne maîtrise pas de manière équivalente les langues qu’il pratique, même s’il est en phase d’apprentissage de ces langues, même si la connaissance de l’une est plus étendue que l’autre.
« L’identité plurilingue suppose que l’on admette de ne jamais maîtriser complètement une langue. La connaissance d’une langue est partielle, seule certaines parties – plus ou moins importantes – de la langue rencontrée au hasard de la vie sont maîtrisées » (Gogolin, 2000, cité par Hélot, 2007) Le locuteur bilingue alterne une pratique monolingue à des épisodes où les langues se mélangent, ce que Grosjean appelle
« le parler bilingue ». C’est bien cette compétence langagière complexe qui met en action les différentes langues connues (en partie ou de manière plus approfondie) dans la communication d’un individu. Il est donc important d’accepter la présence de plusieurs langues dans les pratiques linguistiques de nos élèves allophones puisque « tous ces enfants sont en contact avec deux ou plusieurs langues, dont le français, tout comme de nombreux autres sont en contact avec différentes variétés du français. » (Hélot, 2007).
1.4. Une compétence évolutive
Le bilinguisme évolue en fonction de la situation personnelle de l’individu, de sa motivation et de son environnement. « La compétence plurilingue a donc une dimension dynamique qui permet de mobiliser un répertoire et de le reconfigurer selon ses expériences personnelles, de mettre de côté certaines langues à un moment donné puis de les réapprendre dans un autre contexte. » (Hélot, 2007). Cela signifie que les locuteurs évoluent dans leurs pratiques tout au long de leur vie en fonction de leurs besoins immédiats et de leur contexte de vie. Ils peuvent ainsi privilégier une langue plutôt qu’une autre en fonction des situations.
L’apprentissage linguistique, lié à l’environnement, présente un aspect dynamique en constante modification. La progression dans la maîtrise des langues est inégale, le locuteur s’adaptant en fonction de ses besoins et du contexte. A l’école, l’enseignant doit avoir conscience de ces différences et doit parvenir à créer les conditions favorables pour que l’élève trouve un réel intérêt à apprendre le français. Pour cela,
« habituer les enfants à jongler d’une langue à l’autre » (Simonin, 2019) apparaît comme un choix fondamental pour poursuivre le développement de la compétence langagière de l’élève qui va ainsi évoluer vers la maîtrise du français.
2. L’élève allophone : un individu plurilingue
« Il existe une idée reçue que pour être un vrai bilingue, il faut avoir acquis ses langues dans la petite enfance, les deux en même temps, ou la seconde suivant de près la première […]. Mais on peut devenir bilingue à tout âge. » (Grosjean, 2015). En réalité, les bilingues qui ont grandi en apprenant simultanément deux langues sont rares. La majorité acquiert une ou plusieurs autres langues bien après la langue 1. C’est la situation que vivent nos élèves allophones qui arrivent sur le territoire français à tout moment de leur scolarité.
2.1. La présence de la langue première
« La plupart des enfants bilingues […] acquièrent une première langue à la maison et sont ensuite mis en contact avec une deuxième langue à l’extérieur, principalement quand ils entrent à l’école. Ils possèdent donc une langue avant d’acquérir la deuxième et ils peuvent se servir de la première pour faciliter leur apprentissage de la nouvelle » (Grosjean, 2015). Une compétence langagière est déjà installée chez nos élèves allophones puisqu’ils pratiquent au minimum une langue, celle qu’ils parlent en famille, quand ils arrivent dans notre système scolaire. Leur connaissance de la langue familiale est plus ou moins développée, à l’oral et à l’écrit. Par ailleurs, ils sont souvent compétents dans d’autres langues : les profils des élèves allophones arrivant sur le territoire en témoignent. Ils possèdent souvent deux ou trois langues déjà dans leur « répertoire linguistique » (Hélot, 2007). Ces langues ont des statuts différents : langue de la famille pratiquée uniquement à l’oral, langue de scolarisation différente de la langue familiale, autres langues parlées dans le pays d’origine … Les élèves allophones ont des connaissances différentes dans ces langues. Ils les maîtrisent de manière inégale mais toutes participent comme nous l’avons vu précédemment à développer une compétence langagière complexe. Cette « compétence plurilingue » est une « notion qui n’est pas synonyme de la maîtrise d’une, deux ou trois langues, envisagée de façon additive, mais qui implique plutôt la construction d’une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. » (Hélot, 2007).
2.2. Un « bilinguisme émergent »
L’élève allophone se trouve d’emblée dans une situation de « bilinguisme émergent » (Garcia, 2009). En effet, il est en France en immersion dans une langue qui devient sa langue seconde et est un « bilingue en devenir » (Hélot, 2007).
Il ne parle pas encore bien le français, est très éloigné de la situation idéalisée du locuteur bilingue « parfait » (Hélot, 2007) mais est en situation d’apprentissage d’une langue qui deviendra sa langue seconde. Ces constats nous invitent à considérer l’élève allophone comme un locuteur bilingue en train de se construire.
Et « le français, présent massivement dans les situations de communication scolaire et extra-scolaire, est à ce point investi qu’il va passer sans transition du stade de langue étrangère au stade de langue seconde puis avoir in fine un statut comparable à celui d’une langue maternelle d’un locuteur natif. » (Rafoni, 2007). La langue française devient langue de communication pour l’élève allophone qui se trouve placé, dès son arrivée en France et qui plus est dans le système scolaire, dans une position de bilinguisme en train de se construire. Il apprend la langue française « sans le savoir et sans le Savoir » (Rafoni, 2007), sans en avoir vraiment conscience et sans leçons sur cette langue dans un premier temps. « Hors de la classe, tout est situation d’apprentissage » (Rafoni, 2007). Bien entendu, il s’agit d’une langue qui a besoin encore d’être structurée, dont la maîtrise est à travailler. Et c’est toute la plus-value de l’école, notamment de l’UPE2A, que de structurer cette langue en phase d’apprentissage.
2.3. Des compétences plurilingues à valoriser
Christine Hélot évoque la situation d’une personne qui arrive sur le territoire français : « cette personne ne sera pas considérée comme bilingue (et ne se pensera pas bilingue non plus) parce que ses compétences linguistiques ne seront pas envisagées dans leur totalité mais d’un point de vue monolingue. N’étant pas perçues comme utiles dans la société d’accueil, ses compétences dans sa langue maternelle ne seront pas reconnues, et ses compétences dans la langue d’accueil seront perçues comme limitées. » (Hélot, 2007). « Être dans une classe où un enseignant monolingue envisage tous les élèves comme monolingues, parce que l’objectif prioritaire est l’enseignement de la langue de l’école et qu’il ne faut pas souligner les différences entre enfants, donne aux élèves qui ne sont pas monolingues une vision de l’école qui nie une partie d’eux-mêmes. » (Hélot, 2007)
L’élève allophone est souvent défini par la négative, comme celui « qui ne parle pas français », « qui ne comprend pas ». C’est oublier ses compétences et ses acquis antérieurs, ses capacités intellectuelles. C’est aussi ignorer sa culture et son identité et finalement « le rôle du langage dans l’apprentissage et dans l’élaboration de la pensée. » (Hélot, 2007). Il apparaît fondamental que l’école permette cette reconnaissance des compétences langagières de l’élève dans sa langue première mais aussi parfois dans les autres langues que l’élève maîtrise déjà à son arrivée en France car « si la langue est reconnue et appréciée par l’école, à défaut d’être utilisée dans le programme scolaire, l’enfant sera encouragé à continuer à s’en servir. » (Grosjean, 2015). Il sera aussi encouragé à apprendre, à progresser, à s’impliquer dans un système scolaire parfois très éloigné de ce qu’il a connu précédemment.
3. Les langues des élèves allophones, un socle pour construire la langue de l’école
Les expérimentations plurilingues en classe sont nombreuses. Elles sont de natures différentes et s’appuient sur des contextes variés. Nous évoquerons quelques-unes de ces démarches qui visent plus particulièrement l’apprentissage du français puisque « la prise en compte du répertoire initial de tout élève répond à des finalités éducatives centrales en vue de son inclusion scolaire et sociale. » (Beacco, 2016). « L’école a tout intérêt à considérer les ressources des répertoires des élèves allophones comme des atouts, sur lesquels il est possible de prendre appui en vue des autres apprentissages langagiers et culturels. » (Beacco, 2016)
3.1. Faire exister les langues dans la classe, les valoriser
Si les élèves sont rassurés et peuvent parler et utiliser leur langue, ils se sentiront moins déstabilisés, auront un point d’accroche familier et seront plus ouverts aux apprentissages. Sinon, « méconnaissant la langue de l’école, ils se retrouvent mutiques, empêcher d’exister en tant qu’élève. » (Marie-Claire Simonin, 2019).
Faire parler les élèves dans les langues qu’ils connaissent est fondamental et un préalable à l’entrée dans les apprentissages, notamment du français. En effet, « l’apprentissage du français langue de scolarisation va être étroitement lié à la place que l’apprenant va s’autoriser à laisser à sa langue première. » Ainsi, « poser le multilinguisme comme norme et insister sur l’importance de le conserver, affirmer l’égalité des langues notamment celles minorées socialement » (Klein, 2012) sont des principes qui doivent guider l’enseignant auprès d’élèves allophones. « L’élève pourra peut-être mieux comprendre qu’il a besoin du français, d’une part pour entrer dans le processus des apprentissages scolaires, d’autre part pour que cette langue devienne aussi la sienne, à côté de la langue familiale. Car si cette dernière n’est plus passée sous silence, s’il n’a pas, plus ou moins consciemment, l’impression qu’elle est menacée de perte, il aura le sentiment qu’il y a moins de danger à rentrer dans la langue de l’école. » (Hélot, 2007)
3.2. Et inclure les langues premières dans les activités
« Il importe que des activités didactiques spécifiques soient pensées pour que les élèves allophones puissent utiliser leur langue première et leurs connaissances et expériences préalables pour aborder les tâches scolaires et les accomplir avec succès dans la langue de scolarisation » (Beacco, 2016).
C’est pourquoi la formation des enseignants qui interviennent en UPE2A doit être pensée avec ce prisme des démarches plurilingues. L’élève allophone doit être invité en UPE2A à utiliser sa langue première le plus souvent possible, de manière évidente et naturelle, notamment quand le français fait obstacle. « Cette démarche permet une autre représentation des compétences langagières de l’élève » (Simonin, 2019) puisque ce dernier fait preuve de compétences scolaires et linguistiques en s’exprimant dans sa langue. C’est ainsi que l’élève allophone peut être valorisé en classe. C’est sur ses acquis que l’apprentissage du français va pouvoir s’appuyer et se construire. Puisqu’il produit des énoncés dans sa langue, il sera plus aisé de s’appuyer sur ses productions pour construire avec lui l’équivalent en français. La langue 1 va apporter une matière qui servira de base à l’appropriation de formes appartenant à la langue seconde.
Les enseignants doivent être formés à proposer des activités aux élèves allophones qui font appel à tout son « répertoire linguistique » sans exclure aucune langue et sans imposer le français comme unique mode de communication. Ils doivent aussi accepter de laisser une place aux langues qu’eux-mêmes ne maîtrisent pas car la connaissance par les professeurs des langues des élèves ne peut être un préalable à des activités plurilingues dans le cadre des UPE2A.
3.3. Pour développer une compétence plurilingue
Mettre en lien les langues des élèves permet une meilleure compréhension du fonctionnement de leur propre langue et du français conjointement. Il s’agit de travailler sur les ressemblances et les différences qui permettent de structurer l’apprentissage linguistique, le répertoire langagier d’un individu. C’est ainsi qu’en UPE2A les élèves peuvent développer des compétences métalinguistiques.
C’est l’esprit du projet « Comparons nos langues » (Auger, 2004). A partir d’un énoncé en français, l’enseignant écrit l’équivalent dans la langue des élèves et travaille avec l’ensemble des langues représentées en UPE2A sur différents niveaux : syntaxe, lexique, genre, nombre, phonétique … Les élèves se posent comme experts de leur langue, c’est eux qui font les propositions au professeur. Et c’est ainsi que les EANA peuvent prendre conscience du fonctionnement du français en même temps qu’ils réfléchissent à la structuration de leur propre langue et de celles des autres. Ils sont ainsi actifs dans leur apprentissage de la langue française et acquièrent des compétences plurilingues. « La diversité linguistique […] devient une ressource qui encourage la coopération entre les élèves » (Hélot, 2007) et ce quel que soit leur niveau de compétences. L’enseignant part de ce que l’élève connaît pour lui montrer le fonctionnement de la langue française.
Finalement, l’objectif des différentes « pratiques translingues est d’aller au-delà des frontières des langues » (Simonin, 2019). Le fait d’alterner les langues en classe permet de développer la connaissance de la langue seconde qui en retour doit permettre de poursuivre et de consolider la construction de la langue première qui continue ainsi à exister. La formation des enseignants intervenant en UPE2A doit aborder ces démarches comme des éléments fondamentaux qui visent un apprentissage du français plus efficace.
3.4. Vers l’apprentissage de la langue de scolarisation
L’objectif premier en UPE2A est de permettre à l’élève allophone d’apprendre le français, et plus particulièrement la langue spécifique utilisée à l’école par les professeurs des disciplines d’inclusion. Il s’agit de rendre l’EANA le plus autonome possible en classe ordinaire, capable de comprendre les consignes, le lexique et les utilisations particulières du français de l’école. Il faut enseigner aux élèves allophones cette langue complexe et spécifique qui est celle des disciplines.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à communiquer mais d’étudier la langue pour en comprendre le fonctionnement et les usages dans les différentes matières. « D’un côté, on apprend à pratiquer la langue, comme une langue vivante, en s’appuyant sur des compétences à acquérir et à consolider, de l’autre, on apprend à maîtriser la langue, en l’étudiant, et en appliquant ensuite les connaissances acquises. » (Cherqui, Peutot, 2015)
C’est cet apprentissage qui doit être mené en UPE2A et qui trouvera son relai en classe ordinaire. Ce haut niveau de maîtrise du français est facilité par les approches plurilingues vues précédemment puisque « lorsque les apprenants d’une langue étrangère sont multilingues, la langue de l’école n’est plus un appui unique restrictif mais un pivot pour réorganiser l’apprentissage à partir d’un répertoire complexe offrant des ancrages multiples. » (Castellotti, 2001), c’est « le va-et-vient entre les différentes langues [qui] aide à la construction des apprentissages.» (Hélot, 2007,), « [les] élèves bilingues et multilingues […] devraient pouvoir tirer parti de la totalité de leur répertoire linguistique, y compris de leurs capacités à passer d’une langue à l’autre, pour accéder au niveau d’abstraction que demandent les apprentissages scolaires. » (Hélot, 2007)
L’apprentissage du Français Langue de Scolarisation est à construire à partir des compétences langagières déjà en place chez les élèves allophones. Ce constat confirme qu’une place importante doit être ménagée aux langues premières au sein de l’UPE2A pour asseoir l’apprentissage du français, notamment de la langue complexe de l’école. C’est pourquoi la formation des enseignants doit leur permettre d’acquérir des démarches plurilingues à développer auprès des élèves allophones.
III- Recueil de données
1. La méthode
Afin d’interroger des enseignants de divers horizons sur la place accordée dans leurs pratiques à la langue première des élèves, j’ai élaboré un questionnaire concernant les pratiques plurilingues que j’ai envoyé à 14 enseignants coordonnateurs d’UPE2A. Mon objectif était de collecter des informations issues des deux degrés et des quatre départements de notre académie. Ainsi sept enseignants du premier degré et sept enseignants du second degré coordonnateurs d’UPE2A ont été sollicités. Douze questions leur étaient soumises (voir annexes). Mon objectif était de collecter des données pour savoir si les langues des élèves allophones étaient présentes dans les pratiques de classe en UPE2A, quelle place leur était accordée et à quelle fréquence. Je souhaitais également connaître les besoins de formation exprimés par les professeurs concernant cette problématique.
Ces données ont été complétées par des entretiens menés auprès de deux enseignantes, l’une qui coordonne une UPE2A dans le premier degré à Epernay, l’autre dans le second degré à Reims. J’ai pu également observer des pratiques de classe autour du plurilinguisme dans le 2nd degré avec cette même enseignante de Reims.
2. L’analyse des résultats
2.1. Une place pour la langue première des élèves allophones ?
2.1.1. Un consensus
57% des répondants du 1er degré et du 2nd degré déclarent qu’ils sollicitent de temps en temps la langue des élèves lors de leurs activités de classe et 42% déclarent l’utiliser très régulièrement selon différentes modalités : recours réguliers à la traduction, découverte de chansons, de poèmes et de contes dans la langue première des élèves, comparaison de la structure du français avec le fonctionnement de la L1, échanges entre pairs parlant la même langue pour expliciter ou élaborer une activité, possibilité d’utiliser la langue 1 pour s’exprimer à l’oral ou à l’écrit selon les activités.
Le premier constat que je peux faire est l’intérêt que les enseignants reconnaissent à la prise en compte de la langue des EANA dans les activités de classe.
Ensuite, tous les répondants du 2nd degré et 85% des répondants du 1er degré déclarent que le fait de donner régulièrement une place à la langue des élèves allophones en UPE2A facilite l’apprentissage du français. Ils évoquent pour cela différentes explications que je peux résumer ainsi : mise en confiance et valorisation de l’élève et de sa langue, richesse des échanges, prise de conscience des écarts entre la L1 et le français. Les enseignants sont donc persuadés du bien-fondé des approches plurilingues en UPE2A. Ils s’accordent pour dire que solliciter ces langues permet à l’élève de se sentir reconnu, « moins déraciné » et de donner à sa langue un statut égal à celui du français : « L’enseignant se met en situation d’apprenant, c’est un véritable échange. » (annexes)
Tous affirment donc que donner une place régulièrement à la L1 permet un apprentissage du français plus efficace.
2.1.2. Des limites
Si une majorité pense que l’apprentissage du français doit prendre appui sur l’existant, donc sur les compétences langagières déjà installées chez les allophones, les réponses aux autres questions révèlent des limites dans les pratiques de classe. En effet, quand j’interroge les enseignants sur les activités qui leur paraissent les plus efficaces pour entrer dans l’apprentissage du français, parmi les nombreuses approches proposées, aucune réponse n’évoque la possibilité d’exploiter la L1 des EANA.
De la même manière, quand un élève allophone est mutique à son arrivée en UPE2A, deux enseignants seulement déclarent avoir recours à la L1 dans le premier degré, et quatre dans le second degré pour dépasser cette difficulté. Les principales approches concernent la traduction et la sollicitation d’élèves parlant la même langue. Deux réponses évoquent des démarches translingues avec des échanges avec l’enseignant notamment et la possibilité pour l’élève de répondre dans sa langue à une question posée en français.
Finalement, je constate que peu d’enseignants considèrent les activités plurilingues et la sollicitation de la L1 comme un véritable levier d’apprentissage.
2.1.3. La méconnaissance des langues des élèves
57% des enseignants du 1er degré et 42% des enseignants du 2nd degré déclarent avoir besoin d’une connaissance préalable des caractéristiques de la langue des élèves pour pouvoir mener des activités qui sollicitent cette langue. Une partie des enseignants affirme que c’est un avantage non négligeable d’avoir des informations sur les langues parlées en UPE2A mais confirme aussi qu’il est impossible de toutes les connaître puisque de nombreuses langues sont représentées parmi les élèves. La méconnaissance des langues des élèves est évoquée comme une difficulté.
Il m’apparait évident que la réflexion sur le rôle de la L1 dans l’enseignement du français est à approfondir et c’est là un besoin de formation que je peux identifier. Les enseignants doivent concevoir le plurilinguisme comme une démarche globale qui structure l’enseignement du français aux EANA, et non limité à quelques exercices décrochés. Ils doivent aussi accepter de faire exister des langues parlées par leurs élèves alors qu’ils ne les maîtrisent pas eux-mêmes. Ce sont autant de points qu’il faut aborder en formation.
2.2. Quelles pratiques plurilingues ?
Dans les deux degrés, je peux relever trois types d’approches du plurilinguisme au travers de mon enquête :
- Des approches de valorisation de la L1 : les échanges entre pairs d’une même langue, la pratique du brouillon en L1, chanter en L1.
- Des approches comparatives des langues : le recours à la traduction est souvent cité, la mise en valeur des racines communes entre le lexique de la L1 et celui du français, la mise en valeur des mots transparents, la grammaire pour comparer les langues, les écrits plurilingues.
- Des approches culturelles à travers la présentation de certains événements culturels, la musique, le système scolaire.
Les activités citées par les enseignants sont nombreuses quand on les met en commun et correspondent aux recommandations des chercheurs en linguistique. Mais, si les démarches plurilingues proposées en classe existent, elles sont isolées par rapport à l’ensemble des activités proposées. Un enseignant cite en effet deux ou trois approches pertinentes qui mettent en place le plurilinguisme en UPE2A. Il serait utile de mon point de vue que ce même enseignant pratique l’ensemble de l’éventail possible des activités énoncées par tous afin que cette approche puisse avoir un réel impact sur le développement de la compétence langagière des EANA.
2.3. Les difficultés - Le besoin en formation
Les réponses des enseignants révèlent par ailleurs des difficultés qui entravent la mise en place de pratiques plurilingues :
- Le manque de temps à consacrer à la L1
- La présence de langues très différentes
- La démarche plurilingue ne leur semble pas envisageable dans la prise en charge d’un élève Non Scolarisé Antérieurement
- Le plurilinguisme est présenté comme « une difficulté temporaire pour les élèves, qui se transformera en richesse lorsqu’ils seront devenus francophones » (annexe)
- Le lien avec la classe ordinaire
Une grande majorité des enseignants interrogés déclarent avoir besoin d’une formation autour du plurilinguisme. Ils attendent de ces actions des points précis que je peux classer ainsi :
- Des connaissances sur le processus d’acquisition d’une langue
- Des idées d’activités
- Des notions sur les langues parlées par les élèves
- Des démarches pour valoriser les compétences langagières des EANA
IV- Actions de formation autour du plurilinguisme
J’ai pu constater que le besoin de formation est exprimé clairement par l’ensemble des enseignants. L’objectif serait que la démarche plurilingue prenne toute sa place dans les pratiques régulières et que des activités variées, méthodiques et construites soient proposées dans le cadre des UPE2A et dans l’objectif d’une meilleure efficacité de l’enseignement du français.
La formation doit également permettre aux enseignants de considérer que cette démarche s’applique à tous les profils d’élèves, quel que soit leur âge, qu’ils soient lecteurs ou non dans leur langue familiale, qu’ils aient été scolarisés ou non.
Enfin, un changement dans les représentations est à opérer afin qu’ils considèrent pleinement la richesse du bilinguisme en train de se construire chez leurs élèves.
Des actions ont été menées par le CASNAV et d’autres doivent être envisagées.
1. L’atelier animé par le CASNAV lors du séminaire « Eveil aux langues »
1.1. Description
Un séminaire ayant pour titre Eveil aux langues fut organisé par le Rectorat de l’Académie de Reims et l’Atelier Canopé 51 le 15 janvier 2019 au profit des enseignants du premier degré. Un temps de conférences a eu lieu le matin. L’aprèsmidi était consacré à divers ateliers : la présentation du projet ELODIL, l’éveil aux langues en maternelle, une réflexion autour d’un interculturel en acte, l’utilisation du numérique pour des approches plurilingues ainsi que la présentation de la plateforme eTwinning.
Le CASNAV a été sollicité pour animer un atelier intitulé : « S’appuyer sur les langues natives pour impulser l’apprentissage du français aux élèves allophones ».
Il s’agissait d’établir un état des lieux des langues existantes en classe, d’évoquer la place de la langue d’origine et de présenter des pratiques plurilingues dans le cadre des UPE2A. L’objectif était de proposer des pistes de réflexion aux enseignants du premier degré intervenant en UPE2A ou en classe ordinaire.
J’ai participé aux réunions préalables avec le groupe académique langues du premier degré afin de préparer l’intervention du CASNAV pour répondre au plus près à la demande de l’institution et aux besoins des enseignants. Il a été décidé de présenter des pratiques de classe qui permettraient l’amorce d’une réflexion sur la prise en compte des langues premières des élèves allophones.
Le public ciblé était principalement des enseignants de maternelle de toute l’académie et l’équipe du CASNAV a eu aussi la possibilité d’inviter des enseignants intervenant en UPE2A dans le premier degré ainsi que des directeurs d’écoles élémentaires dans lesquelles ces dispositifs étaient implantés. Les stagiaires étaient donc des personnes ressources, expérimentées dans l’accueil des élèves allophones mais aussi des enseignants n’ayant pas cette expérience. Les approches devaient donc être suffisamment ouvertes pour être facilement considérées comme transférables d’une situation professionnelle à une autre.
J’ai animé avec mes collègues du CASNAV trois interventions dans l’après-midi.
Soixante enseignants ont assisté à cet atelier.
1.2. La préparation
Chargée de mission au CASNAV depuis septembre 2018, il a été décidé que je coordonnerais la préparation de l’intervention qui se ferait ensuite en équipe. Le choix a été fait de recueillir du matériel pédagogique sous forme d’extraits de séances filmées et de photographies d’activités possibles. L’objectif était d’apporter aux formés « des pistes concrètes pour leurs propres modalités d’action » (Ria, 2019).
Pour cela, il me fallait recueillir des expériences de classe. J’ai donc fait appel à nos personnes ressources dans l’académie, les enseignants coordonnateurs des UPE2A dans le premier et le second degrés. Trois professeurs ont accepté de me rencontrer et de partager leurs pratiques lors de ce séminaire. Nous avons donc échangé régulièrement, j’ai observé des séances, ai recueilli du matériel pédagogique ainsi que deux vidéos. Et j’ai été vigilante à bien recevoir – naturellement - toutes les autorisations individuelles concernant le droit à l’image.
J’ai constitué un groupe de travail avec les trois enseignants où nous avons réfléchi aux entrées que nous pourrions proposer pour répondre à la problématique :
« S’appuyer sur les langues natives pour impulser l’apprentissage du français aux élèves allophones » à partir du matériel vidéo et photographique collecté.
Chaque enseignant a collaboré à l’écriture du déroulé de l’atelier afin d’être en mesure de témoigner de son expérience et d’apporter son explicitation des documents qui allaient être présentés. Suite à ce travail préparatoire et à partir des apports des enseignants-témoins, j’ai co-construit l’intervention avec l’aide de mes collègues du CASNAV. Trois grands axes ont été retenus qui concernaient la prise en compte de l’hétérogénéité linguistique et culturelle :
- la dimension affective et l’implication des familles,
- la dimension pédagogique et le gain de temps dans les apprentissages,
- les approches comparatives et les projets plurilingues comme leviers d’apprentissage du français.
J’ai géré avec l’aide de mes collègues l’apport du prescrit avec le rappel des textes de cadrage : le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, les programmes dans les cycles 1 à 3 et le projet académique. Nous avons sélectionné les entrées qui concernaient la prise en compte de la pluralité linguistique et culturelle afin de donner une caution et d’encadrer les démarches qui allaient être présentées.
1.3. L’action de formation
Les enseignants qui avaient accepté de partager leurs pratiques, leurs documents, de montrer en vidéo des temps de classe étaient présents. L’intervention était articulée en quatre grands moments :
- le rappel du cadre institutionnel,
- la présentation de documents plurilingues élaborés dans une UPE2A du premier degré afin de faciliter l’entrée dans la langue française des élèves à leur arrivée (chansons en plusieurs langues, phrases traduites, imagiers plurilingues)
- la présentation d’une séance filmée en collège en UPE2A qui montre l’aboutissement d’un projet autour de la fête de Noël et qui met en valeur les différentes langues des élèves.
- la présentation d’une séance filmée en lycée qui met en avant une approche de comparaison entre les langues afin de faire comprendre aux élèves allophones le fonctionnement du passé composé en français.
Si l’atelier a été animé par l’équipe du CASNAV, une place a été donnée aux enseignants du groupe de travail afin qu’ils accompagnent les supports filmés ou photographiques par l’explicitation de leurs démarches et de leurs objectifs. Je complétais par les apports théoriques qui permettaient aux formés de comprendre le fondement de ces démarches didactiques autour du plurilinguisme. Les pratiques présentées étaient issues des deux degrés et parfaitement transposables d’une situation d’enseignement à une autre.
L’atelier présentait deux avantages majeurs : des vidéos élaborées dans l’académie et la présence des enseignants. Les formés se retrouvaient ainsi au plus près du réel avec des situations proches de leur territoire, de leurs problématiques de métier et des témoins pour les présenter et échanger avec eux. Le support vidéo ou les autres documents étaient authentiques et concrets.
1.4. Difficultés et évaluation
La difficulté première fut de recueillir du matériel pédagogique et des vidéos de classe : il est délicat pour un enseignant de livrer ainsi ses productions et de les partager avec un public. Il faut aussi sélectionner les documents signifiants, les moments filmés en classe les plus représentatifs pour une action de formation. Enfin, il faut les mettre en valeur et les expliciter afin que leur richesse soit identifiable par les formés.
La co-construction de l’atelier par l’équipe du CASNAV a permis de concevoir un programme qui articule efficacement les apports théoriques, la présentation des documents issus des expériences menées en UPE2A et les échanges entre les formateurs, les enseignants témoins et les stagiaires.
La co-animation a apporté des démarches nouvelles aux formés en ce qui concerne les activités plurilingues mais n’a pas laissé une place suffisante aux échanges et à la mise en action des apprenants, ce qui aurait permis aux stagiaires une meilleure appropriation des éléments présentés. Le format de cet atelier était très limité dans le temps et nécessite un prolongement pour une meilleure efficacité.
L’évaluation de l’action de formation est toujours délicate à mesurer. Je peux cependant faire quelques constats en m’appuyant sur les chiffres des enquêtes que j’ai menées : 100% des enseignants du premier degré que j’ai interrogés déclarent utiles les formations sur la thématique « Eveil aux langues ». 50% des enseignants ayant participé à ces formations déclarent pratiquer davantage d’activités plurilingues en classe.
Ces chiffres confirment des besoins qui guident ma réflexion pour chercher de nouvelles modalités de formation.
2. La vidéoformation
Lors de l’atelier animé par le CASNAV à l’occasion du séminaire Eveil aux langues, un travail s’appuyant sur les supports vidéo a été amorcé et il m’apparait utile d’exposer les prolongements qui pourraient être envisagés.
Il faudrait pour une autre intervention plus longue organiser un échange structuré et méthodique avec les formés autour d’une analyse approfondie de ce qui se passe dans la classe, de la posture et des gestes professionnels de l’enseignant, du travail des élèves, de la relation de l’enseignant avec le groupe. Il serait intéressant dans un autre contexte de formation de réaliser ce travail d’analyse pour approfondir la réflexion.
L’analyse des vidéos dans une démarche d’« alloconfrontation en session collective sur vidéo tierce » (Ria, 2019) pourrait être une idée de prolongement possible à cette action de formation afin de permettre une meilleure appropriation des démarches proposées.
2.1. Recueillir des supports
Pour aller plus loin, constituer un groupe de travail autour des pratiques plurilingues me semble utile dans l’objectif de continuer la recherche amorcée, en regroupant des enseignants des UPE2A des premier et second degrés qui développent dans leur classe ces démarches plurilingues et qui souhaitent approfondir encore leur réflexion. J’ai introduit ce mode de fonctionnement lors de la préparation du séminaire. Les enseignants intervenants étaient volontaires pour poursuivre leur engagement et d’autres m’avaient contactée pour échanger autour des pratiques plurilingues qu’ils mettaient en place.
Ce groupe de travail aurait pour vocation à se retrouver plusieurs fois dans l’année pour mener une réflexion sur les pratiques plurilingues en UPE2A avec pour objectif d’expérimenter dans sa propre classe et de filmer ou de se faire filmer en fonction des moyens à disposition. Ces avancées en groupe de travail permettraient alors de nourrir une réflexion plus large en touchant tous les coordonnateurs d’UPE2A de l’académie lors de diverses actions animées par le CASNAV dans le cadre du Plan Académique de Formations.
Le travail amorcé lors de la préparation du séminaire pourrait être ainsi poursuivi. Dans un premier temps, je pourrais demander à nos personnes ressources de contribuer à alimenter une banque de vidéos à l’échelle académique accessibles sur une plateforme collaborative ouverte au seul groupe de travail. Ainsi un premier échange de pratiques entre enseignants serait possible.
Il faudrait préalablement définir les objectifs de cette démarche pour savoir ce qui est attendu de la vidéo : focalisation sur les élèves, un groupe, l’enseignant, les interactions professeur-élèves afin que ces vidéos puissent devenir supports en formation. L’objectif serait d’expérimenter les différentes approches proposées par les linguistes : utilisation de la langue des élèves pour diverses activités, temps de comparaison du français avec d’autres systèmes linguistiques, échanges translingues.
En groupe de travail, ces vidéos seraient analysées pour comprendre les points de blocage éventuels de la part des élèves et les difficultés rencontrés par les enseignants qui pourraient aussi témoigner et expliciter leurs intentions à l’ensemble du groupe.
C’est ce travail en commun et ce retour sur les pratiques des enseignants qui n’a pas pu, faute de temps, être mené lors de la préparation de l’atelier du CASNAV au séminaire Eveil aux langues. Or il permettrait de poursuivre la réflexion et de décider de nouvelles expérimentations afin d’enrichir ensuite les actions de formation.
2.2. Utiliser la vidéo en formation – ramener le réel en formation
Ce travail préalable élaboré en groupe restreint aurait ensuite pour objectif la diffusion de quelques vidéos choisies pour des formations inter degré réunissant les enseignants intervenant en UPE2A dans l’académie. Le support vidéo permet de « ramener le réel » (Ria, 2019), de s’appuyer sur des expériences de classe vécues, d’être au plus proche des questions de métier des enseignants. C’est une manière de faire réfléchir les stagiaires sur leurs propres pratiques grâce à ce phénomène de décentration que permet le visionnage d’un autre enseignant, d’autres élèves. En effet,
« l’analyse de sa propre activité par l’entremise d’une activité tierce dans une situation comparable constitue un vecteur efficace de vidéoformation en favorisant par la compréhension de l’activité d’autrui la transformation de sa propre activité ». (Ria, 2019).
Il faudrait installer un cadre déontologique et une posture qui permette une réelle démarche d’analyse et de développement professionnel. Pour cela, les vidéos collectées pourraient être analysées selon une grille définie préalablement et qui évite tout jugement, qui permette une observation neutre de l’activité de classe. Les points d’observation seraient avant tout focalisés sur les élèves et la présence des langues premières dans les activités menées afin de tirer au mieux parti de la démarche de vidéoformation dans l’objectif de « faire de l’activité des uns et des autres un objet de formation » (Leblanc, 2019) et « passer par l’autre pour accéder à son expérience dans une perspective de formation et de développement » (Leblanc, 2019)
C’est ainsi que les apports de la vidéoformation pourraient être utilisés pour nourrir la réflexion des enseignants sur la question du plurilinguisme. Des situations d’« alloconfrontation » en collectif (Ria, 2019) pourraient ainsi être une base de travail en formation dans l’objectif d’ancrer la réflexion dans la réalité de l’UPE2A. Et les pratiques du premier degré pourraient enrichir les représentations des enseignants du second degré et inversement.
3. La formation des coordonnateurs d’UPE2A
3.1. La formation pour les enseignants nouvellement nommés en UPE2A
La prise de fonction comme coordonnateur d’une UPE2A est un réel changement dans les pratiques des enseignants qui découvrent de nouvelles modalités de travail. Ces derniers doivent repenser leur manière d’enseigner et s’initier aux démarches de l’enseignement des langues vivantes quand ils en sont éloignés de par leur discipline. Ces nouveaux nommés en UPE2A reçoivent des formations animées par le CASNAV tout au long de leur première année de prise de fonction. C’est lors de ces journées qui rythment leur entrée en UPE2A qu’une formation au plurilinguisme pourrait leur être proposée parce qu’elle permet d’aborder toute la complexité et la spécificité de l’enseignement aux élèves allophones. Mes collègues et moi abordons cette question mais de manière assez peu développée jusqu’à maintenant par manque de temps et de supports d’expérimentation. Nous avons privilégié des apports concernant les évaluations de positionnement, l’articulation UPE2A / classe ordinaire, les compétences linguistiques, le français de scolarisation et la dimension administrative du poste de coordonnateur d’une UPE2A.
Un temps supplémentaire permettrait une formation approfondie sur la question du plurilinguisme en exploitant les vidéos. Le fait d’utiliser des situations réelles permettraient à ces enseignants « débutants en UPE2A » de mieux comprendre les démarches à envisager, les situations possibles et les types d’exercices efficaces. La vidéoformation apparaît de ce point de vue comme un élément essentiel qui pourrait compléter les formations proposées à la prise de fonction en UPE2A.
3.2. La formation des personnels expérimentés
Les enseignants qui ont une expérience parfois longue en UPE2A reconnaissent, nous l’avons vu dans les enquêtes, utiliser la langue des élèves mais leurs pratiques plurilingues doivent être plus régulières et plus variées en s’appuyant sur une réelle démarche approfondie. Lors de l’atelier du CASNAV au Séminaire Eveil aux langues, beaucoup ont dit trouver ces démarches très intéressantes et vouloir les expérimenter.
Dans les faits, peu d’enseignants déclarent avoir réellement mis en pratique. Les freins sont ceux que j’ai cités plus haut : manque de temps, présence de langues très différentes, représentations issues d’un enseignement monolingue, habitudes.
Aussi me semble-t-il utile de proposer une formation à ces personnels qui ont une expérience parfois longue auprès des élèves allophones mais dont la démarche didactique est centrée principalement sur le français. Ils ont conscience que les élèves ont une compétence langagière plurilingue mais ne savent pas toujours comment la faire vivre en classe. Il faut donc les guider pour qu’ils s’approprient de nouvelles manières de concevoir le cours de français langue seconde / langue de scolarisation en UPE2A. L’approche vidéoformation semble là aussi tout à fait indiquée pour s’approprier le réel et réfléchir à ses propres pratiques pour les modifier. Ces actions pourraient être envisagées dans le cadre de regroupements académiques inter degrés qui sont organisés régulièrement chaque année par le CASNAV pour permettre la formation des enseignants intervenant en UPE2A. Il faudrait bien évidemment réfléchir aux modalités pratiques afin d’avoir des groupes restreints qui permettent des échanges plus directs et une mise en action.
3.3. Un changement de posture
L’un des freins aux pratiques plurilingues en UPE2A exprimé par les enseignants est la méconnaissance des langues représentées. Les enseignants se demandent comment animer une séance de comparaison entre les langues ou des activités translangagières sans avoir une connaissance minimale du fonctionnement des langues premières représentées. Les ressources du CNRS – Langues et grammaire en Ile de France – permettent d’avoir des renseignements précis sur les points de blocage entre la langue d’origine et le français, ce qui est bien utile dans les activités plurilingues. Ces supports peuvent être présentés en formation. Mais la diversité des langues présentes rend cette connaissance parfois difficile à appréhender.
Il est donc essentiel de former l’enseignant pour qu’il change de posture et accepte de ne pas tout comprendre, de ne pas tout maîtriser des productions des élèves quand ils utilisent leur langue première. L’enseignant doit voir l’élève d’une autre manière, comme un expert de sa propre langue même si celui-ci ne la maîtrise que partiellement. Dans le cadre de la classe, l’élève est celui qui a la connaissance la plus étendue. Il faut donc lui faire confiance sans avoir les moyens de vérifier l’exactitude de ses productions à l’écrit comme à l’oral. Il s’agit finalement de changer de représentation et de sortir d’une vision monolingue de l’enseignement. « C’est aux enseignants de s’adapter à la diversité, de l’accueillir dans leur classe, de la travailler avec les élèves, et d’apprendre à construire les savoirs scolaires en envisageant les différentes langues et les différentes cultures comme une ressource. » (Hélot, 2007) Une des missions du formateur est de faire changer de point de vue, de modifier les représentations des enseignants et de les guider pour faire évoluer leurs pratiques.
Conclusion
Le cadrage institutionnel qui régit la prise en charge des Elèves Allophones Nouvellement Arrivés met en avant le principe d’inclusion de ces élèves à besoins éducatifs particuliers et définit les missions des UPE2A.
Ces dispositifs spécifiques ont un rôle important dans l’apprentissage du français langue seconde et langue de scolarisation. Les professeurs qui y interviennent ont des modalités d’enseignement particulières et accueillent tout au long de l’année un public hétérogène à plusieurs titres : langue, culture, scolarisation antérieure, âge.
Prendre en compte la langue – ou les langues – déjà parlée(s) par les EANA apparait donc comme une nécessité pour mieux accueillir et donner confiance aux élèves. Le processus d’acquisition d’une langue seconde nous apprend que la langue 1 constitue un socle sur lequel s’appuyer pour construire l’apprentissage du français. C’est en invitant l’élève à faire des liens entre sa langue familiale et le français que les enseignants pourront plus rapidement asseoir une maîtrise de la langue, notamment celle de l’école. L’élève allophone est alors à considérer comme un individu bilingue en devenir, avec une compétence langagière complexe en train de se construire et en constante évolution.
C’est pourquoi ma réflexion a porté sur les approches plurilingues en UPE2A puisqu’elles apparaissent comme de formidables leviers d’apprentissage du français. Un des objectifs de la formation des enseignants en UPE2A, nouvellement nommés mais aussi plus expérimentés, doit être de les encourager à installer des démarches plurilingues dans leurs pratiques. Il faut pour cela changer le regard des enseignants sur les compétences langagières de leurs élèves allophones et sur la place que doit occuper la langue 1 en classe.
La formation doit les aider à comprendre qu’il ne s’agit pas de mettre en place des activités anecdotiques permettant de valoriser la langue 1 mais une véritable démarche d’apprentissage du français en prenant pour socle la L1.
Mon rôle de formatrice en tant que chargée de mission auprès du CASNAV de l’académie de Reims me permet d’intervenir auprès des enseignants des UPE2A et mon objectif est de chercher les meilleures modalités qui permettent une appropriation de nouvelles démarches de la part des formés. Il m’apparait qu’un travail autour du réel est intéressant à plusieurs titres : il permet une analyse distanciée, il est proche du quotidien de l’enseignant, c’est un support concret sur lequel appuyer une réflexion.
Les expérimentations menées en UPE2A peuvent irriguer ensuite les pratiques en classe ordinaire. Former les coordonnateurs à une démarche plurilingue, cela signifie installer de nouvelles pratiques chez des professeurs qui sont considérés dans leur école, leur établissement, comme des personnes ressources auprès desquelles les enseignants des classes ordinaires viennent prendre conseil.
C’est donc enclencher une dynamique nouvelle qui pourra être prolongée dans la classe ordinaire, dans toutes les disciplines, afin de mettre en place des pratiques qui participent plus efficacement à l’inclusion des élèves allophones.
Glossaire
Allophone : personne dont la langue maternelle est différente de celle de la communauté dans laquelle elle vit.
Bilinguisme : la fait pour un individu de pratiquer deux voire plusieurs langues.
CASNAV : Cendre Académique pour le Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs
CCFLS : Certification Complémentaire en Français Langue Seconde
CECRL : Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
DELF : Diplôme d’Etudes en Langue Française
EANA : Elève Allophone Nouvellement Arrivé
FLE : Français Langue Etrangère
FLS : Français Langue Seconde.
FLSco : Français Langue de Scolarisation
L1 : langue première, langue familiale
L2 : langue seconde
NSA : Non Scolarisé Antérieurement
PSA : Peu Scolarisé Antérieurement
UPE2A : Unité Pédagogique pour Elèves Allophones nouvellement Arrivés
Bibliographie
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Annexes
Annexe 1
Questionnaire mené en janvier 2020 auprès des enseignants coordonnateurs des UPE2A du 2nd degré de l’Académie de Reims
Annexe 2
Questionnaire mené en janvier 2020 auprès des enseignants coordonnateurs des UPE2A du 1er degré de l’Académie de Reims
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