Faire évoluer les pratiques professionnelles des enseignants en développant leur créativité dans un contexte coopératif en formation professionnelle continue.
Certification d’aptitude aux fonctions de Formateur Académique
Académie de Reims session 2018-2020
Mémoire professionnel
Discipline : Education Physique et Sportive
Titre : Faire évoluer les pratiques professionnelles des enseignants en développant leur créativité dans un contexte coopératif en formation professionnelle continue.
Auteur : JIMENEZ Sébastien
« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. »
Table des matières
2 Eléments de réponses théoriques. 6
2.1 Identifier les compétences professionnelles à développer. 6
2.2 Réfléchir aux conditions favorables au développement des compétences professionnelles visées. 7
2.2.1 Les quatre principes de Houpert pour rendre la formation continue efficace. 9
2.2.2 Avoir un retour sur ses expériences. 16
3 Préoccupations en tant que formateur 16
4 Expérimentation : description et analyse de l’action de formation. 17
4.2 Analyse de la première partie du stage. 23
4.2.1 Analyse de la formation du point de vue du formateur : 23
4.2.2 Analyse de la formation du point de vue des stagiaires : 24
Introduction
Selon la circulaire n° 2019-133 du 23-9-2019 portant sur le « schéma directeur de la formation continue des personnels de l'éducation nationale - 2019-2022 », il est nécessaire de « faire évoluer leurs pratiques professionnelles en tenant compte notamment des évolutions scientifiques, techniques ou sociales pour toujours mieux répondre aux besoins des élèves ; et partager leurs expériences entre pairs ». L’évolution des pratiques professionnelles représente alors un enjeu majeur afin de conserver un enseignement en phase avec l’évolution des politiques éducatives mais également des caractéristiques des élèves. Pour Perrenoud (1991), les enseignants se servent assez souvent de manière plus ou moins consciente, de routines de fonctionnement construites à partir de reproductions, d’habitudes dont l’origine est parfois lointaine. Ces solutions sont économiques mais ont trouvé leur origine dans des contextes où elles fonctionnaient. Cependant les enjeux éducatifs étant en perpétuels évolutions, il semble pertinent de s’extraire de ces routines pour trouver d’autres réponses en adéquation avec l’environnement actuel. La question de la modification des pratiques professionnelles et des moyens pour accéder à ces transformations est alors centrale. Cette nécessité s’inscrit ipso facto dans le référentiel de compétences de l’enseignant, à savoir « s'engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » (Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation, arrêté du 1-7-2013 - J.O. du 18-7-2013). Or selon A. Jellab (2017), « les savoirs disciplinaires qui font partie de l’expérience biographique désignent l’identité majeure des enseignants (débutants) ». En effet, le modèle de la qualification des enseignants dans leur recrutement porte une attention soutenue aux disciplines qui structurent l’identité professionnelle. Cette identité s’ancre dans la maîtrise de certains savoirs (Van Zanten, 2001) qui peut devenir un obstacle à l’adaptation aux élèves pour les faire réussir (Jellab et al 2014).
L’enjeu est alors de se focaliser sur les éléments qui peuvent aider à accompagner les enseignants pour modifier leurs pratiques professionnelles dans la mesure où ceux-ci sont exploitables dans le cadre d’une formation continue. Une tension apparait donc entre la présence d’une incontournable identité professionnelle bien souvent associée à des pratiques reproductives et la nécessité de les modifier sans forcément les révolutionner. Ce point reste incontournable afin de coller au mieux aux exigences sociétales, institutionnelles et éducatives actuelles. Barrère (2017) minore cependant cette conception où les enseignants seraient peu enclins à faire évoluer leurs pratiques professionnelles puisque "le changement est celui qui est décidé et légitimé par la hiérarchie". Selon l’auteure, il faut alors aussi considérer que la résistance au changement peut venir d’un décalage entre les injonctions institutionnelles qui peuvent être pertinentes sur le papier mais parfois incomprises dans la mise en œuvre par les acteurs de terrain.
Afin d’engager une réflexion sur les modalités de transformation des pratiques professionnelles enseignantes nous organiserons notre mémoire en quatre parties. Nous partirons tout d’abord d’une expérience de terrain qui a fait émerger certaines préoccupations. Nous chercherons ensuite dans la littérature des axes de réponses théoriques afin de trouver des solutions à notre problématique. Dans un troisième temps, nous déclinerons nos préoccupations en tant que formateur pour ensuite, dans une dernière partie expérimenter un nouveau dispositif de FPC permettant d’améliorer l’efficacité de la première.
1 Une première expérience dans la proposition et la conception d’une formation à destination des enseignants d’EPS.
Pour donner suite à une réflexion personnelle théorique et pratique sur l’approche par compétence en EPS et sa sous-représentation dans les pratiques des enseignants, une FPC a été proposée en collaboration avec Mme Decure à l’inspection pédagogique EPS en 2014-2015 (ANNEXE 1). L’objectif était d’appréhender la plus-value de cette démarche quant aux apprentissages chez les élèves. La formation a été pensée et conçue en alternant une mise en situation pratique des stagiaires avec une réflexion sur ce qu’ils ont vécu. Un apport théorique est venu enrichir le versant « mise en œuvre » pendant le stage pour mieux comprendre les mécanismes liés aux notions de motivation, de sens, d’impact sur les apprentissages, d’évaluation positive, de complexité, de compétence… Un double regard sur deux Activités Physiques et Sportives (APSA) différentes (escalade et tennis de table) avait comme intérêt de proposer à travers une même démarche globale, des propositions concrètes différentes. Lors de la mise en œuvre, une co-animation a permis d’augmenter le nombre de feedbacks auprès des stagiaires. Des échanges constructifs ont émergé et ont révélé un intérêt certain des enseignants pour cette démarche.
L’évaluation de cette formation s’est essentiellement faite à partir des fiches complétées par les stagiaires en fin de FPC. Même si les avis étaient positifs, il reste que la connaissance de l’impact de la formation sur les pratiques professionnelles était inconnue. Comme le signale M. Papa (mémoire CAFFA 2019), il semble pertinent nonobstant, de mesurer qualitativement les effets d’une formation. Quel est la portée de la formation ? Les objectifs ont-ils été atteints ? Les besoins répertoriés ont-ils été comblés ? Des zones d’ombres restent-elles présentes ? Les pratiques professionnelles ont-elles gagné en efficacité ?
Difficile de répondre à toutes ces questions. Parfois quelques semaines, mois ou années plus tard, des collègues abordent, au gré de discussions, des tentatives d’expérimentation en lien avec cette FPC. Bien souvent, le retour sur expérience est extrêmement positif. Malheureusement, ces feedbacks restent peu nombreux. Qu’en est-il pour les autres enseignants ? Le stage a-t-il été à la hauteur des objectifs déterminés en amont ? Des mises en œuvre ont-elles été réalisées ?
La délivrance d’un contenu considéré comme pertinent n’est pas systématiquement à l’origine de transformations des pratiques. Ainsi Delignières (2009) estime que le concept de compétence peut être révolutionnaire en lui-même mais il n’est pas suffisant pour modifier les pratiques en EPS. Selon Bertone (2009), il peut y avoir également un problème entre l’évolution du discours conceptuel et les pratiques professionnelles en raison d’une certaine inertie de ces dernières. Ce dispositif de formation semble alors incomplet pour engendrer des modifications nombreuses. C’est un point qui nous a interpellé a posteriori.
Dans un second temps, les enseignants en stage semblaient plutôt subir les contenus. Certes, la mise en pratique des propositions des formateurs les mettait en activité mais celle-ci ne les encourageait pas à se placer dans une posture de concepteur. N’ayant pas des temps spécifiquement dédiés à l’élaboration de leçons ou de situations d’apprentissage reprenant la démarche dans d’autres contextes (leur établissement, la spécificité de leurs élèves, d’autres APSA…), la généralisation des éléments vus dans la FPC a semblé incertaine.
Dans un troisième temps, la contigüité des deux jours de formation et l’absence d’accompagnement après le stage n’ont pas offert la possibilité d’aider les enseignants à mettre en place une sorte de « service après-vente » et aider à opérationnaliser les éléments et les outils présentés.
Fort de ces remarques, l’élément central qui nous questionne depuis quelques années est alors de savoir quels dispositifs sont les plus à même de modifier les pratiques professionnelles des enseignants dans des formations professionnelles continues (FPC). En tant que formateur depuis 2005, notre préoccupation est de concevoir des formats efficaces. Cette réflexion qui évolue avec le temps nous amène aujourd’hui à faire le pari que pour atteindre cet objectif, il peut être pertinent de se focaliser sur de nouvelles notions. Mettre au cœur du dispositif les concepts de créativité et de coopération pourrait éventuellement apporter de nouvelles orientations aux dispositifs.
Ainsi, le bilan réalisé à la suite de cette journée de formation questionne nos pratiques de formateur afin d’en améliorer l’impact. Comment faciliter l’intégration des contenus ? Comment modifier en profondeur les pratiques pédagogiques ? De quelle manière avoir un retour plus précis sur ces modifications ? Comment accompagner au mieux les enseignants à partir des obstacles éventuellement repérés ? L’objectif est alors de s’appuyer de manière plus approfondie sur les éléments de la recherche et sur les concepts clés inhérents à la notion d’andragogie pour tenter de modifier les formats de nos formations afin de les rendre plus pertinents. Faire coopérer les enseignants entre eux afin de faire évoluer leurs pratiques pédagogiques en faisant émerger des solutions didactiques créatives représente selon nous la clé de voûte pour une future formation.
2 Eléments de réponses théoriques
De nombreuses publications s’intéressent aux conditions favorisant les modifications des pratiques professionnelles des adultes et en particulier des enseignants. Les propositions concernent soit des démarches générales soit des éléments prioritaires à prendre en considération. Nous avons choisi de sélectionner les connaissances les plus pertinentes sur lesquelles s’appuyer dans un contexte éducatif. Le cadre de Danièle Houpert (2005) nous servira de guide pour les exposer :
- Il est nécessaire dans un premier temps d’identifier les compétences professionnelles que l’on veut développer.
- Il est alors possible de s’interroger dans un second temps sur les « les principes et les conditions à respecter pour favoriser une telle construction ».
2.1 Identifier les compétences professionnelles à développer.
Pendant la phase de conception de la formation, la détermination des compétences professionnelles à investir chez les enseignants représente une base de travail pour élaborer par la suite les contenus à transmettre et penser la nature du dispositif envisagé. La conception de la FPC prendra en considération les transformations visées chez les professeurs dans un premier temps. Elles engageront par la suite des répercussions ciblées au niveau des élèves.
Pour les enseignants, il s’agit, en se référant au référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation de 2013, de se focaliser sur les items suivants :
- « Connaître les élèves et les processus d’apprentissage» en s’intéressant aux processus psychologiques des élèves permettant de s’inscrire (ou pas) dans des apprentissages coopératifs qui facilitent l’appropriation des contenus disciplinaires. Les connaissances précises sur les modalités qui permettent la mise en place de situations d’apprentissage collaboratives et les stratégies d’enseignement ad hoc sont au cœur de la formation.
- « Prendre en compte la diversité des élèves» en proposant des modalités d’interventions basées sur la coopération qui permettent une mise en place d’un tutorat, des processus d’entraide et favorisant les apprentissages de chacun.
- « Accompagner les élèves dans leur parcours de formation» en leur permettant de développer grâce à la FPC leurs compétences liées à l’acquisition du socle commun et en particulier les domaines deux et trois : les méthodes et outils pour apprendre ; la formation de la personne et du citoyen.
- « Agir en éducateur responsable et selon des principes d’éthique» en donnant à chaque élève une éducation à la citoyenneté en les apprenant à travailler ensemble tout en rejetant les discriminations, en permettant à chacun d’être reconnu par les autres sachant que selon Sartres, « l’enfer c’est les autres » puisque la vie « se perçoit, se ressent » à travers les autres.
Le cœur de la formation consiste à sensibiliser les enseignants au fait que l’apprentissage coopératif représente une plus-value pour faciliter les apprentissages des élèves d’un point de vue moteur, méthodologique et social. Les enseignants devront non seulement être capables de s’ouvrir à des propositions concrètes, à intégrer ou renforcer une démarche d’enseignement idoine et être en mesure à travers un cadre théorique de faire des propositions testées plus tard sur le terrain. La compétence prioritaire serait alors pour les enseignants de « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnelle » pour « actualiser ses connaissances », « s’engager dans des projets et des démarches d’innovation pédagogique visant à l’amélioration des pratiques », « réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs- et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action ».
2.2 Réfléchir aux conditions favorables au développement des compétences professionnelles visées.
Pour instaurer une « pratique réflexive » sur ses pratiques professionnelles, le cycle d’apprentissage de Kolb (1984) peut-être une source d’inspiration.
Notre volonté est faire alterner pratique / théorie / pratique pour inciter les enseignants à réfléchir non seulement lors de la phase de conceptualisation mais également pour élaborer un retour pour donner suite à la mise en pratique des propositions. L’expérimentation renvoie au moment où l’enseignant vit une « expérience » concrète. Il est nécessaire qu’elle soit en lien direct avec son contexte professionnel. L’observation réfléchie est un moment où l’enseignant analyse l’expérience vécue pour comprendre comment il l’a ressenti. La conceptualisation renvoie au fait de « construire des concepts généraux » qui permettent de les étendre dans des contextes différents. L’émission d’hypothèses permet de transférer les éléments conceptualisés en émettant des nouveaux principes vérifiables dans une nouvelle expérience.
Selon Côté (1998), ce cycle permet aux enseignants de rentrer dans « une démarche consciente impliquant une réorganisation ou un changement des idées (…) à la lumière de nouvelles prises de consciences. Celles-ci se manifestent sous forme de changement significatif pour la personne au niveau des connaissances, de ses habiletés, de ses valeurs, de ses habitudes et éventuellement, au niveau de l’image de soi ». Nous pensons que les phases d’observation réfléchie, de conceptualisation et d’émission d’hypothèses peuvent gagner en pertinence en se basant sur de la coopération pour faire émerger une certaine créativité au niveau des nouvelles réponses apportées. Selon Schön (1983), c’est une réflexion en cours, sur et dans l’action qu’il est nécessaire d’investir pour réellement entrer dans une logique réflexive. Mais l’action pédagogique qui est l’objectif final, reste pour nous, dans ce format de formation assez opaque. Nous ne pouvons pas avoir accès directement à ce que les enseignants opérationnalisent, comment ils le mettent en œuvre et surtout avec quelle signification. En revanche, pour Houpert (2005) « en formation continue, le travail autour des compétences de réflexivité est évidemment indispensable pour les enseignants qui n’y ont jamais été formés (…). La dynamique de groupe, en formation continue, facilite une construction difficile quand on s’y attelle seul ».
2.2.1 Les quatre principes de Houpert pour rendre la formation continue efficace.
En complément du cycle de l’apprentissage de Kolb, Houpert (2005) détermine quatre principes permettant de rendre plus efficace une formation continue. Il s’agit tout d’abord de responsabiliser les enseignants. Pour cela, ces derniers doivent être acteurs de leurs apprentissages pour engendrer un changement. Au-delà de la sélection qu’ils peuvent faire au niveau des modules dans le Plan Académique de Formation, la responsabilisation renvoie à la faculté de faire des choix quant aux contenus proposés ou travaillés. Offrir la possibilité de faire des choix est également un moyen de leur permettre de s’engager plus aisément dans la formation. Selon Houpert, évaluer à différents moments permettrait de réadapter en permanence le dispositif aux demandes et besoins des stagiaires.
Ensuite, il est nécessaire pendant les stages de partir des expériences personnelles sans porter de jugement quant à leur pertinence ou validité. Elle peut être par exemple un point d’appui quand il s’agira de concevoir une situation d’apprentissage coopérative. En effet, il est assez compliqué de créer ex nihilo ! Se focaliser sur ce qu’ils savent déjà faire et leurs pratiques personnelles pour ensuite les modifier représente un terreau fertile.
L’ancrage dans la pratique est le troisième point à considérer. Les enseignants, pour modifier leurs pratiques professionnelles sont demandeurs d’applications concrètes et surtout une opérationnalisation rapide. La transmission d’outils pour aider la formalisation de nouvelles situations d’apprentissage peut entrer dans ce cadre. Faire produire des situations d’apprentissage à partir de ces outils peut faciliter leur mise en place. Le cycle de Kolb décrit plus haut est une démarche qui entre parfaitement avec cette logique concrète, pratique.
Pour finir, la socialisation professionnelle est le dernier critère à respecter. Dans ce cadre, enseigner ce n’est pas seulement agir dans sa classe, c’est aussi « travailler avec d’autres, apprendre et vivre avec d’autres. (…) Articuler les projets individuels avec le projet collectif de formation correspond à un double objectif de responsabilisation et de socialisation. » Chacun peut alors apporter au groupe et réciproquement. Réaliser un partage d’expérience, de documents, de propositions est une première étape. Elle peut être suivie par la recherche en coopération de nouvelles solutions, un retour critique à la suite d’une expérimentation… cette socialisation professionnelle peut alors être source de créativité pour sortir chacun d’une routine de fonctionnement.
Faire vivre une expérience concrète
Develay (2013) signale que montrer des manières de faire (ou les vivre !) permet de sécuriser les enseignants puisque cela donne des exemples concrets plus ou moins éloignés de ce qu’ils font déjà. Il y a une sorte de dédramatisation des attentes, ce qui enclenche plus facilement l’adhésion des participants. Selon Gal-Petitfaux (2003), vivre une expérience c’est enclencher une dynamique de changement puisque celle-ci intègre un flux d’expérience, un cours d’action qui peut s’intégrer dans une histoire puis globale. Cette expérience peut donner du sens soit à des choix réalisés par les enseignants dans leur pratique de manière empirique soit s’inscrire dans une dynamique future avec la genèse de nouvelles expériences. Ainsi selon nous, débuter un stage par une mise en pratique, c’est à la fois chercher à lier le moment présent avec d’éventuelles expériences passées pour leur donner du sens et se porter vers le futur. En effet, selon Knowles (1990) l’adulte apprend à partir de son expérience. Il est alors nécessaire de s’y référer mais aussi de la construire, de l’enrichir.
Transmettre du contenu et des outils théoriques pour construire des situations
Il nous semble contreproductif d’engager une formation professionnelle continue sans apporter des connaissances empiriques et/ou scientifiques qui donnent aux enseignants une meilleure compréhension des mécanismes. Il est illusoire de penser qu’un simple format (worldcafé par exemple) est suffisant pour engendrer un apport de connaissances permettant la modification des pratiques. Comme le signale Bertrand de Chartres, « nous sommes des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux ». S’appuyer sur des connaissances produites par des chercheurs ou des auteurs est alors incontournable pour avancer, s’élever et éviter de refaire ce qui a déjà été produit. C’est un gain de temps indéniable.
Il s’agit cependant de garder une certaine vigilance quant à l’utilisation de ces connaissances. En effet, selon Rey.B (2004) : « Il ne faut pas s’attendre à ce que le praticien puisse "appliquer" directement les résultats de la recherche. Cela n’est ni possible, ni souhaitable. (…) les travaux des chercheurs ne disent pas ce que l’enseignant doit faire ; mais ils attirent l’attention sur des aspects de la réalité scolaire qui pouvaient avoir été laissés dans l’ombre ».
A travers cette logique, nous répondons à la circulaire n° 2019-133 du 23-9-2019 portant sur le schéma directeur de la formation continue des personnels de l'éducation nationale – 2019 - 2022 lorsque l’axe 2 « Se perfectionner et adapter ses pratiques professionnelles » signale que tout enseignant « doit pouvoir bénéficier d'une formation continue qui lui permette d'approfondir certains aspects de ses pratiques professionnelles, d'actualiser ses connaissances, de se perfectionner, de renforcer son sentiment d'efficacité professionnelle ou plus généralement de faire évoluer ses pratiques professionnelles en tenant compte des évolutions du monde contemporain ». De même le référentiel de compétences professionnelles du formateur de personnels enseignants et éducatifs du 23 juillet 2015 signale qu’il faut « donner aux individus et aux équipes des outils pour agir ». De ce constat, nous considérons que les connaissances théoriques transmises lors des FPC sont nécessaires pour engager les enseignants à réactualiser leurs connaissances et mettre en place de nouveaux dispositifs facilitants les apprentissages.
Concevoir collectivement.
Selon Taddéi (2018), « dans la théorie des jeux, la coopération est définie comme un acte qui présente un coût pour soi et un bénéfice pour autrui. » Pour l’auteur, l’intérêt de développer la coopération est multiple. Elle permet tout d’abord de résister face à l’avancée des progrès de l’intelligence artificielle. En effet, d’ici 2045, Ray Kurzweil (2005) signale que les machines atteindront une puissance de calcul supérieure à la nôtre, individuellement mais aussi collectivement. L’étendue de la mémorisation et la rapidité des calculs ne seront plus notre apanage. Pour que l’Humanité conserve une place certaine, il est indispensable de « construire des écosystèmes d’apprenants ». Ces espaces consistent à mettre en commun les connaissances disponibles et à coopérer pour catalyser l’intelligence collective afin de développer la créativité, élément incontournable pour inventer de nouvelles approches et conserver une réelle plus-value par rapport à la machine. Dans cette logique, les MOOC (Massive Open Online Course) permettent souvent à chacun de s’instruire gratuitement autour de thématiques variées (management, mathématiques, éducation…). De grandes écoles, des instituts ou universités sont à l’origine de ces contenus (l’INSERM, CANOPE, le CNAM, Institut Polytechnique de Paris, différentes universités…). Un MOOC crée par François Taddéi et Marie-Cécile Naves[1] sous l’égide du CRI (Centre de Recherches Interdisciplinaires) portait d’ailleurs en 2019 sur « vers une société apprenante ». Lors de l’épisode du coronavirus, le ministre de l’éducation a voulu pendant la phase de confinement mettre en avant le concept de « nation apprenante [2]» en cherchant à diffuser dans les familles des éléments culturels.
D’autres auteurs ont une définition différente de la coopération. Il peut en effet s’agir d’un « travail en petits groupes dans un but commun qui permet d’optimiser les apprentissages de chacun » (Johnson & Johnson, 1990). Il n’y a donc pas forcément un gagnant ou un perdant en coopérant. Il peut y avoir des avantages communs. Selon M. Ricard (2013), coopérer peut trouver sa source dans l’empathie. L’intelligence collective agit à 3 niveaux (Chapelle et Servigne, 2017). Elle renforce la capacité d’un groupe à produire en temps limite un contenu créatif et innovant en un temps limite. Elle facilite l’appropriation et l’adhésion aux idées et décisions qui ont émergé. Et pour finir, elle requalifie positivement la relation de chacun au collectif en générant bienveillance, confiance, ouverture, curiosité et sentiment d’appartenance à une communauté.
Dans le domaine professionnel, A. Barrère (2017) signale « la nécessité de remettre du collectif dans un métier ou une expérience individuelle » afin de lutter contre les résistances au changement. Ce travail collectif doit émerger des enseignants eux-mêmes sans venir nécessairement de la hiérarchie. L’objectif est d’échanger sur les « épreuves » du métier à savoir « le deuil de la discipline, la cyclothymie des relations avec les élèves, le sentiment d’impuissance, l’absence de reconnaissance ». C’est bien le collectif qui peut permettre aux enseignants de dépasser ces problématiques et d’avancer sur ces épreuves. Le débat, la controverse doivent être au cœur de l’évolution des conceptions et des pratiques enseignantes plutôt que d’imposer des pratiques de manière descendante.
Or cette coopération ne semble pas évidente dans le mode de fonctionnement actuel de l’école. Bonami (1998) signale en effet que les enseignants sont souvent seuls avec leur classe, leurs élèves avec leurs matières. Il y a peu de liens et de coordinations entre les acteurs dans un « système peu articulé ». Des micro-innovations sont possibles mais elles sont difficilement communiquées et échangées entre professionnels. Nous pensons que les formations continues peuvent alors représenter un endroit pour favoriser le partage de pratiques professionnelles innovantes et de les mettre à l’épreuve des collègues. Dans ce contexte, il est possible d’organiser institutionnellement un endroit permettant de développer « un travail collaboratif apprenant » (Letor, 2015). En effet, selon Taddéi (2018), « la mise en relation des enseignants est une des clés de la dissémination de l’innovation. On n’est pas obligé de tout réinventer à chaque fois dans sa classe ou dans son école. Mieux vaut se parler, échanger, voir comment l’autre a bricolé sa solution… ».
Pour Kahneman (2012) de nombreux biais cognitifs chez l’homme l’empêchent d’évoluer, de se remettre en cause, de changer sa manière de voir. Le système 1, comparé à un pilote automatique réalise des raccourcis, ne prend pas en considération toutes les informations pour élaborer une décision cohérente et va au plus simple, au plus efficace, au plus économique. « Nous pouvons être aveugles aux évidences et inconscients de notre propre cécité ». Un effort mental est alors nécessaire pour sortir de ce mode de fonctionnement pour que notre système 2 intervienne et s’oriente vers un raisonnement plus poussé. En gardant individuellement une certaine indépendance au sein du groupe, il est alors possible d’utiliser à bon escient la diversité des connaissances et des opinions du groupe pour dépasser une réponse automatique personnelle certainement responsable en partie de la résistance au changement. Mais le groupe peut aussi permettre à chacun de questionner ses automatismes pour les dépasser par une prise de conscience critique de son mode de fonctionnement.
La circulaire n° 2019-133 du 23-9-2019 portant sur le schéma directeur de la formation continue des personnels de l'éducation nationale 2019 - 2022 indique en particulier dans l’axe 2 (« se perfectionner et adapter ses pratiques professionnelles ») que les actions de formation continue doivent permettre d’approfondir les pratiques professionnelles et porter prioritairement sur plusieurs thématiques. « Travailler en mode projet et favoriser la création de collectifs de travail » est un objectif à atteindre. Se focaliser sur une FPC dont le mode de fonctionnement porte essentiellement sur la coopération entre pleinement dans les injonctions officielles.
La créativité pour rompre avec le côté « traditionnel »
La créativité est un concept en vogue pour trouver des pratiques professionnelles innovantes adaptées aux enjeux éducatifs en particulier pour faire réussir tous les élèves. La CARDIE (Cellule Académique en Recherche-Développement, Innovation et Expérimentation) chargée de promouvoir ces pratiques en est un bel exemple de structure académique travaillant autour de cette thématique. Lubart (2003) signale que « la créativité est une capacité à la source même de la culture et de l’humanité. […] La créativité se trouve au centre du fonctionnement de chaque être humain qui cherche à résoudre de nouveaux problèmes ou qui doit s’adapter avec souplesse aux évolutions environnementales ». Selon Taddéi (2009), la créativité « est souvent définie comme l’aptitude à produire un travail nouveau (c'est-à-dire original et totalement inattendu), de haute qualité et approprié (c'est-à-dire utile et qui respecte les contraintes imposées) ». Il est alors possible d’appréhender cette définition de deux manières différentes. Soit on se réfère à la faculté à trouver une réponse originale à un problème, c’est-à-dire à être dans la nouveauté comparativement à tout ce qui existe déjà. Ou bien on se focalise sur l’individu et à sa faculté d’évoluer personnellement dans ses pratiques, à élaborer de nouvelles solutions par rapport à ce qu’il sait faire. Sans nous mettre en contradiction avec la première conception, nous choisissons de nous inscrire dans la seconde acception où il s’agit pour chaque enseignant d’entrevoir des réponses nouvelles, innovantes pour lui-même quant à une problématique professionnelle. O. Rey et A. Feyfant (2012) précisent que la créativité peut se faire « en recombinant les connaissances existantes sans nécessairement respecter les cadres disciplinaires ni les façons de faire qui leur ont donné naissance ». Il n’est pas alors question de se renouveler en permanence. « La créativité est une innovation dans la mesure où elle permet de connecter des choses qui n’étaient pas jusque-là connectées entre elles ». La question est de savoir ce qu’il faut connecter et comment le faire ! La créativité peut ainsi concerner les aspects pédagogiques ou les stratégies d’apprentissage afin de développer une EPS inclusive soucieuse de motiver, donner du sens, mobiliser différents mobiles d’agir chez tous les élèves (filles, garçons, sportifs, non sportifs…) selon le séminaire des IA-IPR EPS en 2020. Les productions professionnelles actuelles se focalisent beaucoup sur des mises en forme des contenus donner plus de lisibilité quant à ce qui est à apprendre. Pour cela, il est possible d’élaborer des évaluation positives permettant de valoriser les progrès, de donner des repères de progression ou d’indiquer les axes de progrès pour chacun selon Jimenez (2016). Mais dans tous les cas, les facteurs qui permettent l’émergence d’une pensée créative sont multiples.
Pour Amabile et al (1992) il s’agit de mettre en œuvre une motivation intrinsèque, l’expertise (la connaissance) et les compétences créatives. Les auteurs signalent qu’un des moyens est « de former des praticiens réflexifs qui puissent faire la part entre méthodes qui freinent ou favorisent la créativité, même s’il s’avère que les enseignants les plus attentifs aux méthodes pédagogiques innovantes sont ceux qui ont quelques années d’expérience ».
Pour être créatif, il s’agit d’avoir des connaissances précises sur le sujet en question afin de savoir si les propositions sont valides. L’apport de données théoriques lors d’une formation est donc cohérent dans cette approche. Les compétences créatives renvoient selon Amabile (1997) à un style cognitif « favorisant l’intégration de nouvelles perspectives et leur combinaison, une capacité à prendre des risques et le fait d’être persévérant ». Pour cela, il est alors préférable d’instaurer un environnement propice à l’émergence de cette créativité à savoir préférer un mode de « management » orienté vers la liberté et l’autonomie des individus, favoriser la communication, une atmosphère collaborative et d’accepter l’échec (Amabile et Sensabaugh, 1992).
Selon Knowles (1990) les principes de l’andragogie consistent à impliquer les adultes dans la planification et l’évaluation de leurs apprentissages, à partir de leurs expériences (et leurs erreurs), à se focaliser sur des éléments servant directement leur vie professionnelle et à s’intéresser à la résolution de problèmes. Faire coopérer les enseignants sur des éléments concrets, qu’ils utiliseront plus tard entre alors en résonnance avec leurs préoccupations. Il ne s’agit pas alors simplement de mettre en commun des éléments mais de « catalyser l’intelligence collective » selon Taddéi (2018). Runco et al (1998) proposent différentes étapes, procédures et contenus pour développer la créativité.
Selon nous, le processus créatif tel qu’il est décrit ci-dessus, reprend successivement l’ensemble des éléments théoriques explicités précédemment à savoir :
- Le fait de vivre une expérience permettant de s’informer de la problématique (étape 1 : la prise d’information)
- Les connaissances théoriques pour mieux identifier le problème (étape 2 : l’incubation)
- La combinaison des expériences professionnelles individuelles (étape 3 : l’illumination)
- L’objectif de réaliser une situation coopérative de manière collective (étape 3 bis : l’illumination)
- Les échanges entre enseignants pour valider la pertinence des choix opérés (étape 4 : la vérification)
- Accompagner les groupes en étant ouvert à l’originalité et en la promouvant (étape 5 : la communication)
- Valider les propositions par une production concrète mis à l’épreuve du groupe mais aussi au sein de sa pratique professionnelle (étape 6 : la validation).
Par ce processus, il s’agit de rompre avec la nécessité pour l’apprenant de s’adapter pleinement à un cours ou une formation pré-établie où le contenu est prévu et figé à l’avance. L’objectif est alors de partir des expériences des enseignants afin d’éviter des propositions hors sol décalées de leurs réalités pratiques. Basée sur ces expériences, la coopération peut devenir le moyen de modifier, faire progresser et évoluer les propositions initiales par la créativité. En effet, selon Florence Saint-Luc (2014), la capacité à coopérer est essentielle, car elle développe « la réflexivité et la créativité, grâce au processus de problématisation à l’œuvre dans le groupe coopératif, organisation apprenante ». Pour continuer à lier les notions de créativité et de coopération, il nous semble pertinent de nous référer à une citation de Taddéi (2010) qui signale que « favoriser la créativité, c’est utiliser l’intelligence collective, développer une culture de la critique constructive (ni critique destructive, ni émerveillement béat) ».
2.2.2 Avoir un retour sur ses expériences
Cauterman et Demailly (2001) signalent que « la formation continue des enseignants est essentiellement une entreprise de persuasion qui n’est pas articulée à un processus de sanction positive ou négative… Le retour sur la formation, par la mise en pratique des contenus de la formation, n’existe pas ». Le rapport de l’inspection générale sur la formation continue des enseignants du second degré précise que « les formations massées de quelques jours suivies d’un accompagnement ou bien filées sur plusieurs mois sont relatées comme les plus intéressantes car s’installant dans la durée et permettant la mise en œuvre d’un processus progressif de transformation des pratiques pédagogiques. La perte de temps (reconfiguration ou installation de matériel, mise en route, retard de participants) est moins importante que dans une formation de 5 heures « tout en un » [3]. Mettre en place une formation filée pourrait modifier les structures traditionnelles des FPC pour donner du temps aux enseignants d’expérimenter et avoir un retour sur leurs pratiques. Ce retour sur expérience nous semble primordial pour non seulement engager les enseignants vers une analyse collective et/ou individuelle de leurs pratiques, mais aussi pour réorienter les propositions en tant que formateurs. Il est cependant à signaler que ce mode de fonctionnement engendre un double travail du côté de la DFP, ce qui peut à grande échelle devenir un facteur limitant.
3 Préoccupations en tant que formateur
Pour donner suite à notre formation sur l’approche par compétence, notre problématique portait sur différents aspects liés à l’efficacité des FPC. En tant que formateur, lors de la phase d’évaluation de la FPC, nous nous sommes posés la question des moyens à mettre en œuvre pour rendre les dispositifs plus ouverts aux modifications des pratiques professionnelles enseignantes. Comment permettre l’appropriation des contenus proposés par les stagiaires ? Comment faciliter l’application sur le terrain des thématiques vues en formation ? De quelle manière est-il possible d’accompagner les enseignants afin d’avoir un retour sur leurs expériences et prendre connaissance de leurs réussites, de leurs difficultés pour tenter de réadapter les choses si besoin est ? Sur quels leviers jouer pour responsabiliser les enseignants ? Partir de leurs expériences professionnelles, s’ancrer dans la pratique et favoriser la socialisation professionnelle dans un dispositif innovant ayant une probabilité plus importante d’impacter les pratiques des enseignants ?
En réponse à cette problématique et en nous appuyant sur les éléments théoriques répertoriés précédemment, nous pensons que développer la créativité en faisant coopérer les enseignants est un moyen de faire évoluer du côté du stagiaire son identité professionnelle ainsi que leurs pratiques en les faisant émerger dans un espace collaboratif orienté et organisé par le formateur. Mais il nous semble pertinent d’enrichir ce dispositif d’autres points d’appui pour agir sur la modification des pratiques professionnelles comme la transmission de contenus théoriques ad hoc, l’alternance théorie-pratique, la mise en place d’une formation filée, le partage sur une dropbox des propositions concrètes construites par les enseignants, un retour sur expérience, un temps de réflexion collective sur les points forts et points faibles des situations élaborées…C’est donc dans une conception globale visant une forme de complexité (sans que cela soit pour autant compliqué !) que nous pensons rendre possible les enseignants acteurs voire auteurs de leur propre évolution.
Cette réflexion évolue progressivement à la suite de différents retours d’expériences. Nous sommes alors conscients que notre position actuelle est en mesure d’évoluer pour avancer sur un continuum vers des formats toujours plus adaptatifs et cohérents avec les contenus à transmettre.
4 Expérimentation : description et analyse de l’action de formation.
4.1 Objet d’étude
Dans ce nouveau stage, la commande institutionnelle était de développer les apprentissages coopératifs chez les élèves en EPS. L’objectif du stage est donc tout simplement de proposer aux enseignants des moyens concrets pour permettre son opérationnalisation. Il s’agit de se focaliser sur cette démarche favorisant l’acquisition par les élèves de contenus disciplinaires mais également des éléments méthodologiques et sociaux en lien avec les domaines du socle commun. Nous désirons non seulement faire entrer les enseignants dans la création de formes scolaires de pratiques qui modifient les pratiques sociales de référence afin de cibler les apprentissages moteurs et non moteurs mais également de les ouvrir à de nouvelles méthodes ou gestes et postures professionnelles. Les programmes pour la discipline[4] (2015 /2019) vont d’ailleurs dans ce sens.
L’objet d’étude étant clairement exposé, une réflexion sur les principes de mise en œuvre a été menée. Pour nous, le dispositif devait « articuler une double visée compréhensive et transformative » des pratiques (Guérin, 2012). Il s’agit de mettre en cohérence assez fortement les données issues de la recherche avec les aspects très concrets liés à la formation. L’objectif est non seulement de faire vivre de nouvelles expériences (Terré, 2017), de les intérioriser, d’initier l’émergence de nouvelles histoires puis de les conscientiser, afin d’agir au mieux sur la transformation des pratiques professionnelles, même si notre approche ne pourra pas aller jusqu’à la mise en place d’un accompagnement au plus près de l’activité enseignante.
La construction de la fiche du module à destination du PAF (annexe 2) s’est faite en prenant soin d’expliciter les enjeux de la formation, mais aussi les conditions de mise en œuvre. Le but a été de clarifier au maximum les objectifs et surtout les moyens d’y arriver afin de conclure une sorte de contrat moral entre les enseignants et les formateurs dès les inscriptions. L’intitulé du stage porte sur « les apprentissages coopératifs en EPS ». L’enjeu est non seulement de démontrer l’intérêt de développer la coopération dans les cours d’EPS, de donner des moyens didactiques pour y parvenir, mais aussi et surtout construire collectivement de nouvelles situations en groupe où la coopération sera centrale. Le leitmotiv de la formation pourrait être pour les enseignants de « coopérer entre nous pour mieux faire coopérer les élèves » !
81 enseignants de l’académie se sont inscrits à ce stage. Trois regroupements ont été programmés, un dans les Ardennes, la Marne et dans l’Aube. La première journée de chaque rassemblement a eu lieu entre mi-novembre et début décembre. La deuxième journée devait se dérouler à la rentrée des vacances de Pâques (annulée en raison des conditions sanitaires).
La mise en œuvre de la formation reprend les différents éléments théoriques précédemment développés. Tout d’abord, nous tenons à signaler que le but de la formation n’est pas de donner des réponses toutes prêtes aux enseignants. L’objectif est plutôt de donner les moyens aux enseignants d’analyser la proposition concrète émise par les formateurs le matin du premier jour pour en comprendre les fondements et s’en émanciper ensuite. En cohérence avec le cycle de Kolb, on part donc de la pratique effective pour ensuite l’analyser en verbalisant son ressenti lors de cette situation. Dans un troisième temps, l’apport de données théoriques permet de conceptualiser et de généraliser les moyens dont disposent les enseignants pour mettre en place une situation focalisée sur l’apprentissage collaboratif. Les enseignants peuvent alors transférer ces connaissances dans d’autres situations qu’ils construisent en coopérant. Ils doivent ensuite expérimenter cette situation avec leurs classes. Lors de la deuxième journée de formation, il s’agira d’analyser collectivement les résultats de l’expérimentation avant d’émettre de nouvelles hypothèses de fonctionnement pour parfaire la proposition initiale.
Le planning est élaboré selon la temporalité suivante :
Jour 1 :
- Vivre une situation simple / complexe valorisant la coopération : le 5-4-3-2-1 en badminton inspiré par Bachelart et Perrin (2013).
- Retour « théorique » sur la plus-value de la coopération dans la nature, la société et le système éducatif. Réflexions et échanges sur les enjeux sociaux. Apport de connaissances sur lesquels s’appuyer pour mettre en place des situations simples ou complexes focalisées sur les apprentissages coopératifs.
- Construction en petits groupes d’une situation coopérative / discussions collectives à partir d’un outil d’aide à la conceptualisation. Choix de l’APSA support libre à condition de l’opérationnaliser le trimestre suivant. La créativité est à rechercher !
- Présentation de la proposition devant le groupe et réajustements (fonctionnement de type « sociocratie »).
- Mise en commun des situations sur une dropbox
Entre J1 et J2 :
- Test de cette situation dans les cours par les enseignants.
- Echange avec les membres du groupe et avec les formateurs sur les mises en œuvre si besoin.
Jour 2 :
- Vivre 1 ou 2 situations complexes nouvelles dans d’autres APSA. Proposition de nouvelles démarches d’enseignement.
- Retour sur les expériences. Points forts / faibles. Comment améliorer les situations.
- Finalisation ou modification des documents sur la dropbox si ce n’est pas encore fait.
- Evaluer la formation :
- Ce qui a été positif pour vous, utile, inutile…quelles modifications dans vos pratiques (présentes ou à venir) ?
- Comment améliorer le dispositif de la formation ?
Responsabiliser les enseignants :
Nous souhaitons partir des motivations des enseignants dès le début du stage afin de faciliter leur engagement. En questionnant leurs besoins et attentes, nous avons trouvé que de nombreux enseignants présents sont déjà sensibilisés à l’intérêt de la coopération. Après un tour de table, ils annoncent venir pour :
- Trouver des méthodes et outils
- Evaluer la coopération
- Intégrer par la coopération les élèves exclus
- Des raisons personnelles (enfant en souffrance lorsqu’il coopère avec les autres sans pour autant être reconnu pour cela)
- Trouver des moyens pour passer de « collaborer » à « coopérer »
- Limiter la frustration du bon élève qui donne tout le temps
- Limiter les injustices
- Renforcer une dynamique d’équipe.
S’intéresser à la motivation des enseignants représente une première étape pour orienter le stage sur certains éléments qui questionnent davantage. Les contenus peuvent alors être modulés, réagencés, négociés. Ainsi, la question de l’évaluation a pris une place plus conséquente dans la formation.
Faire vivre des expériences concrètes
La matinée de la première journée de stage a eu pour but de faire vivre aux enseignants des expériences originales qui mettent en relief des situations de coopération. Une situation d’échauffement et une situation complexe ont servi de base à cette demi-journée. Il s’agissait tout d’abord du « gentil bad » de Karen Croizier (2017) puis du 5-4-3-2-1 de Bachelard et Perrin (2013). Ces situations sont des illustrations concrètes quant à l’opérationnalisation des éléments permettant de créer de l’interdépendance entre les élèves. En tant que formateur nous présentons les situations, les faisons vivre, apportons des retours aux enseignants et donnons du sens à chaque élément fondamental permettant de faire fonctionner les tâches.
L’objectif est triple. Tout d’abord les enseignants vivent ces situations qui sont facilement applicables pendant leurs cours. C’est un élément intéressant puisque selon un des principes de l’andragogie, l’adulte qui se forme recherche une application immédiate de ses apprentissages. Dans un second temps, en faisant vivre des situations typiques aux enseignants, nous désirons les mettre en sécurité quant aux efforts que demande la prise en compte de la coopération dans leurs propres pratiques. En partant d’éléments assez ancrés dans la profession (marquer le plus vite possible en badminton), nous transformons ce « déjà là » pour l’enrichir et arriver à une situation coopérative originale. Nous essayons ainsi de réduire l’écart entre ce qu’ils font et ce qu’ils pourraient faire afin de rendre atteignable la perception du but à atteindre.
Apporter des données théoriques
Lors des stages, 1h30 environ est réservée à la transmission de données en lien avec le thème. Ainsi, la coopération est étudiée à travers le filtre des enjeux, c’est-à-dire ce qu’il y a à gagner d’un point de vue économique, social, management, éducatif… Puis des connaissances sur la plus-value de la coopération viennent compléter la présentation. Pour finir, nous avons analysé des éléments incontournables permettant de mettre en place une réelle coopération entre les élèves. Les enseignants ont donc à leur disposition des ressources pour créer de l’interdépendance comme par exemple :
- L’organisation des ateliers
- La nature des problèmes d’apprentissage posés (les contenus à enseigner)
- La définition d’un objectif d’équipe (score parlant, statistiques, fiches d’observation…)
- Comment créer de l’interdépendance (liée aux résultats, aux moyens…)
- La composition des groupes (hétérogénéité, taille des groupe, groupes affectifs ou de niveaux, stabilité ou non des groupes…)
- Les modèles coopératifs (Jigsaw, RPT, STAD…)
- Place de l’évaluation
- Lien avec les programmes
- Formation aux compétences prosociales
- …
Les contenus transmis permettent non seulement aux participants de prendre de la hauteur quant à la thématique mais de mieux appréhender les modalités d’intervention. Il en ressort que leurs pratiques pédagogiques prennent déjà en considération de manière plus ou moins consciente certains outils permettant de travailler la coopération. L’apport de données théoriques permet non seulement de mettre des mots sur des choix professionnels parfois empiriques mais aussi et surtout de donner des précisions pour mettre en place des situations coopératives nouvelles. Des réponses concrètes sont données pour créer de l’interdépendance entre les élèves, élément le plus consistant pour engendrer de la coopération. En effet, selon Buchs, Filisetti, Butera et Quiamzade (2004), « L’interdépendance sociale représente une situation dans laquelle les individus présentent un but commun, et le résultat de chacun est affecté par le résultat des autres (…). Sans interdépendance positive, il n’y aurait pas d’avantage pour les individus à interagir pendant le travail ».
Lier l’expérience vécue en matinée avec les connaissances théoriques, c’est tenter d’associer les deux éléments afin d’agir sur la professionnalisation des enseignants qui peut être définie « comme un processus de construction de compétences professionnelles et de maîtrise des rapports à la pratique par la mise à distance de l'action et la réflexivité sur la pratique » (Altet, 2005). Nous pensons, qu’en donnant du sens à court, moyen et long terme quant à l’intérêt de la coopération, les enseignants s’engageront davantage dans la démarche. En tant que formateur, nous serons essentiellement dans une posture de tissage.
Concevoir collectivement :
Après avoir vécu et analysé une expérience en lien avec le thème de la formation, l’objectif est de faire réfléchir les enseignants sur l’élaboration de situations d’apprentissage favorisant la coopération des élèves dans des APSA programmées dans leur établissement scolaire. Par groupe de 4 ou 5, ils pourront utiliser des éléments de conceptualisation qui faciliteront et aideront cette réflexion. Des fiches serviront de guide à la production des enseignants (ANNEXE 3). Elles donnent des éléments de réflexion pour faire des choix en fonction des effets recherchés.
Chaque enseignant du groupe aura pour objectif de mettre en œuvre cette situation lors du deuxième trimestre et d’en vérifier les avantages et/ou de repérer les difficultés rencontrées. Coopérer dans ce contexte est donc intéressant puisque chaque enseignant doit trouver, exploiter, reconnaitre chez les autres des ressources pertinentes afin d’élaborer une situation originale directement utilisable. Une forme d’interdépendance entre les enseignants existe alors. Claire Heber Suffrin signale que « personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose et donc on ne peut que gagner à échanger » ! En tant que formateur, nous serons essentiellement dans une posture d’étayage (Bucheton et Soulé, 2009) pour accompagner les collectifs à orienter leurs réflexions, leur créativité dans les directions les plus fécondes et pertinentes. Comme le signale Simonian (2003) nous sommes dans une relation pédagogique surtout orientée vers le rôle d’incitateur, de facilitateur.
Mettre en œuvre les situations d’apprentissage :
Entre les deux journées de formation, l’objectif est de tester les situations construites le jour 1 et de percevoir à la fois les points positifs qui émergent mais également les difficultés en fonction des réponses des élèves au niveau moteur mais aussi méthodologique et social.
Avoir un retour sur l’expérience :
Le retour sur expérience est pour nous primordial. La coopération est là encore de mise puisque l’analyse se fera prioritairement au sein des groupes de travail. A partir d’indicateurs tels que l’engagement des élèves, l’appropriation des contenus d’enseignement, les compétences pro-sociales chez les élèves, nous guiderons les enseignants à valoriser les réussites et revoir les éléments défaillants en prenant en considération les spécificités locales. Une formation filée permet d’avoir des feedbacks sur ce qu’ont réalisé les enseignants, sur leurs ressentis. On peut alors en parallèle mesurer l’impact de la formation sur les pratiques professionnelles et réajuster les contenus en fonction des besoins de chacun.
4.2 Analyse de la première partie du stage
L’analyse ne porte que sur le bilan de la première journée de formation. En effet, la deuxième journée devait se déroulée fin avril / début mai et elle a dû être annulée. Nous avons évalué notre dispositif selon deux angles complémentaires, celui du formateur, celui des stagiaires.
4.2.1 Analyse de la formation du point de vue du formateur :
L’implication des stagiaires :
Dès le début du stage, les enseignants ont été très réceptifs et se sont engagés à chaque étape. Certains enseignants ont eu la volonté de continuer les échanges même après la fin de l’heure « officielle » du stage.
La pratique du matin :
De notre côté, ce fut une phase déterminante pour à la fois les engager dans la FPC, leur faire vivre une situation qui donne non seulement une vision claire des buts à atteindre mais aussi et surtout rendre une démarche d’enseignement accessible. Des controverses ont émergé et des échanges ont permis aux membres du groupe soit de se rassurer soit d’émettre une vision critique. Les outils proposés ont sensibilisé concrètement les stagiaires dans la démarche coopérative.
Echanges lors de l’apport théorique :
Ce moment est mitigé. En tant que formateur, il a été perçu comme étant fastidieux en raison d’une transmission plutôt descendante. En revanche, quelques collègues ont signalé l’intérêt qu’ils ont porté à ces données afin de mieux appréhender la question de la coopération. Certains enseignants se sont promis de changer leurs lectures du soir en s’appuyant sur la bibliographie transmise !
Engagement lors du travail en groupe :
Ce fut la partie la plus stimulante. Les discussions étaient nombreuses, constructives et enrichissantes. Les enseignants étaient très engagés afin de concevoir une situation qui soit réellement coopérative parfois assez éloignées des propositions faites pendant la pratique du matin ou la théorie. Les groupes ont globalement bien fonctionné puisqu’au fur et à mesure des échanges, les propositions initiales ont progressivement évolué vers plus de pertinence.
Qualité des propositions exposées devant l’ensemble du groupe :
A l’exception d’un groupe où la situation proposée est restée peu éloignée des carcans habituels, les autres propositions sont assez innovantes. La créativité semble avoir été de mise ! Là encore, un second niveau d’échanges entre les concepteurs et les autres membres du stage a été une réelle plus-value pour affiner et finaliser les productions. Le fonctionnement sous la forme d’une sociocratie a été intéressant.
Les retours sur dropbox :
Pour donner suite au premier jour, nous n’avons eu que très peu de retours des fiches de situations. Impossible dans ce contexte de créer une dynamique permettant à chacun de disposer d’une banque de données en ligne. Nous attribuons cela au fait que les enseignants n’ont pas eu le temps de le faire pendant le stage (la phase de travail collectif étant plus longue que prévue). De retour dans les établissements, nous pensons que ce travail ne devient plus une priorité et c’est le fonctionnement au quotidien qui prime. Nous réserverons un temps lors de la deuxième journée de formation pour revenir sur ce point.
4.2.2 Analyse de la formation du point de vue des stagiaires :
L’évaluation s’est faite quelques semaines après le stage via un google form (annexe 4). Nous rappelons que celle-ci ne porte que sur la première journée de formation. Sur les 18 réponses reçues, 90% des enseignants ont trouvé que le stage leur avait permis de modifier leurs pratiques professionnelles.
Parmi les éléments du dispositif mis en place qui ont initié ce changement, le guidage des formateurs arrive en première position (score moyen de 3.9/5) suivi de la situation pratique (Houpert, 2005, « ancrage dans la pratique » : 3.7/5) et l’élaboration d’une nouvelle situation coopérative (Houpert, 2005 : « socialisation professionnelle » 3.7/5). De manière très proche, la possibilité de choisir l’APSA support de la situation coopérative (Houpert, 2005 : « responsabilité des enseignants » 3.6 /5) et les échanges entre collègues sont également des points d’appui pour modifier les pratiques (Houpert, 2005 : « partir des expériences professionnelles, 3.6/5). En revanche l’apport théorique a eu moins d’impact (3.4/5). Ce dernier résultat rentre en cohérence avec le discours de Perrenoud (1994). En effet, l’apport de contenu peut représenter un intérêt pour mettre à jour les connaissances des enseignants mais ne permet pas de les engager dans une logique de professionnalisation. « Il ne s’agira plus d’apporter des réponses aux problèmes professionnels, mais de proposer aux enseignants en formation le courage et les moyens de les construire eux-mêmes ». « Mieux vaut enseigner à pêcher que de donner un poisson ». De ce fait, l’auteur signale qu’il faut dépasser la dépendance du formé vis-à-vis du formateur qui propose des solutions toutes faites pour « infléchir progressivement la formation dans un sens coopératif, sans nier les différences et les inégalités de compétence et d’expertise, mais en faisant travailler les uns et les autres à la résolution de problèmes professionnels communs ».
Il est à noter que sur 13 réponses, 5 collègues considèrent qu’un accompagnement à l’intérieur de leurs cours représenterait une plus-value certaine. En guise d’éléments à améliorer, nombreux sont les enseignants à réclamer d’autres exemples dans des contextes différents, c’est-à-dire à recevoir des propositions toutes faites. Il y a bien par moments un décalage entre la demande des enseignants (des recettes) et les propositions relayées le paragraphe précédent sur le fait de les rendre autonomes.
Ce bilan démontre que les choix à l’origine de la mise en place du dispositif ont eu un impact certain sur les pratiques enseignantes même si ces résultats sont à relativiser puisqu’ils ne reposent que sur le dire des acteurs. En effet, ils sont à la fois juge et partie. La coopération et l’innovation à travers la conceptualisation d’une situation d’apprentissage semblent être des éléments déterminants pour changer les conceptions et les pratiques professionnelles. La place du formateur, ou plus précisément de l’Homme qui est au cœur des échanges pour transmettre, réguler, informer, accompagner reste centrale.
Conclusion
Comme le signale Perrenoud (1998), la construction d’une « compétence professionnelle est entendue ici comme une capacité de mobiliser à bon escient, en temps utile, de multiples ressources – dont des savoirs théoriques, professionnels et expérientiels – dans des situations de travail. » Nous espérons à travers la liaison entre les exemples concrets, professionnels, les données théoriques mais également en se focalisant sur le vécu des enseignants que la formation mise en place a permis le développement de ces compétences professionnelles. O. Rey et A. Feyfant (2012) partent du principe que la notion de créativité n’est pas l’apanage du domaine artistique qui sert bien souvent de référence dans le domaine. Au contraire, c’est une démarche qui peut totalement sortir de cet espace pour investir toutes les disciplines. Alors que le « savoir est (…) traditionnellement considéré comme quelque chose d’objectif et la formation du savoir comme un processus linéaire et cumulatif » (Taddéi, 2018) ; il est possible de dépasser cette position et d’appréhender le savoir de manière plus diverse, transversale. Dans ce contexte, la créativité et l’innovation peuvent porter davantage sur les modalités de transmission du savoir et se focaliser sur les conditions d’apprentissage, d’appropriation des connaissances par les élèves… sans oublier les aspects méthodologiques et sociaux. « L’enseignement innovant est le processus qui conduit à l’apprentissage créatif, par le développement de nouvelles méthodes, de nouveaux outils de nouveaux contenus au bénéfice des élèves » (Ferrari et al 2009).
La question est alors de savoir comment donner aux enseignants des espaces pour à la fois coopérer et développer individuellement ou collectivement une forme de créativité nécessaire pour faciliter les apprentissages méthodologiques, sociaux et (trans)disciplinaires des élèves ? Comment donner des temps de réflexion collective portant sur leurs pratiques pédagogiques, leurs activités en classe pour exercer un regard critique afin que les enseignants deviennent pleinement acteurs au quotidien de leur propre évolution professionnelle ? Comment faire évoluer les formats de FPC afin d’accroitre cet aller-retour pratique / réflexion collective / recherche de solutions innovantes par la créativité et la coopération ?
Ouverture
Même si nous avons engagé une réflexion tout au long de ce mémoire avec comme support l’EPS, nous pensons que le dispositif mis en place n’est pas l’apanage de cette discipline scolaire mais peut être repris pour des formations continues dans différentes matières. La modification des pratiques enseignantes est à analyser non pas au niveau disciplinaire mais à un niveau supérieur puisque les principes de l’andragogie renvoient à la spécificité du fonctionnement de l’être humain, peu importe la matière enseignée ! Utiliser la créativité et la coopération comme principes de base des formations continues des enseignants représente un concept intéressant à investir. Le format proposé dans ce mémoire est alors pleinement transférable dans des formations pour d’autres disciplines ou des formations thématiques transversales.
Dans un second temps pour donner suite aux retours des enseignants sur l’impact de la formation, nous avons noté une demande certaine d’un accompagnement lors de leurs cours. Comme nous l’avons signalé cet état de fait entre en cohérence avec une analyse située de l’acte d’enseignement. En effet selon Mouchet (2018), l’activité humaine se déroule en situation complexe avec une imprévisibilité potentielle et un caractère dynamique. Le contexte est donc à prendre en considération pour analyser une pratique professionnelle. Une formation continue en s’appuyant sur des situations d’enseignement proprement dites représenterait un pas en avant vers la modification des pratiques d’autant plus que la nature du dispositif est originale et s’appuie sur des éléments théoriques probants. Mais pour aller plus loin et gagner pleinement en efficacité, un accompagnement des enseignants (volontaires ?) nous semble être une voie prometteuse. Pour répondre à ce besoin, il s’agit alors de proposer un nouveau dispositif qui mettrait en correspondance une journée articulée autour d’une mise en pratique, d’une production innovante à partir d’une coopération entre collègues avec dans un second temps, une analyse de cette situation in situ dans un cours avec des élèves. Nous sommes conscients des difficultés qu’un tel dispositif peut engendrer en particulier pour trouver les moyens humains nécessaires. Mais c’est en se focalisant sur sa propre expérience vécue et sur une réflexion sur ses actions que l’enseignant peut évoluer dans ses pratiques afin de faire réussir pleinement ses élèves.
Mais nous pouvons également concevoir dans les établissements scolaires des collectifs de travail où les individus seraient capables de s’enrichir mutuellement. Il est possible de dépasser la problématique humaine initiale. Pour prendre encore un peu plus de hauteur dans la réflexion et être innovant, ce sont des stages de formation continue se focalisant dans un premier temps exclusivement sur l’analyse des pratiques, les modalités de compréhension des situations professionnelles et les protocoles permettant aux praticiens de comprendre ce qui se déroule in situ au moyen de méthodes d’entretien spécifiques qu’il sera possible dans un second temps de proposer des FPC sur des thématiques fécondes plus larges pour faire réussir les élèves (faire coopérer les élèves, lutter contre le décrochage, maintenir un niveau d’attention…). En reprenant Ria (2016, 2018), Gilbert (2018) précise que « montrer son activité est un des éléments les plus difficiles à travailler en France. Réinterroger sa pratique sans culpabiliser permettra de « développer le pouvoir-dire et le pouvoir-agir de l’enseignant ». S’étonner des pratiques de l’autre, et reconnaitre que la variété des interprétations et la diversité des propositions peuvent nourrir sa pratique, « présente un potentiel d’efficacité significatif ». Le rapport Thélot (2004) va également dans ce sens puisque « les éléments déclencheurs de l’innovation reposent incontestablement sur deux choses : la mobilisation d’une équipe pédagogique, l’incitation de l’équipe de direction, auxquelles s’ajoute la motivation forte d’un enseignant ». Fleitz (2004) complète ces propos puisque selon lui « l’innovation se produit quand le contenu de formation prend un sens dans le contexte de l’enseignant. (…) C’est bien le rapport pratique à un contenu de formation dans un contexte particulier qu’il devient pertinent d’analyser. Les innovations se font essentiellement lors d’apports à des activités déjà enseignées. » Développer une forme d’autonomie est un axe de réflexion à envisager chez les enseignants pour stimuler une créativité renouvelée au sein de leurs pratiques dans un contexte de coopération. Car comme le signale Galilée, « on ne peut rien enseigner à autrui. On ne peut que l’aider à le découvrir lui-même ».
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Van Zanten. A. (2001). L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, Presses universitaires de France, coll. Le lien social
Table des annexes
ANNEXE 1 : Fiche de présentation de la FPC sur l’enseignement par compétence.
ANNEXE 2 : Fiche de présentation de la FPC sur l’apprentissage coopératif en EPS
ANNEXE 3 : Fiche d’aide à la conceptualisation d’une situation d’apprentissage coopérative
ANNEXE 4 : Questionnaire et réponses
ANNEXE 1 : Fiche de présentation de la FPC sur l’enseignement par compétence.
ANNEXE 2 : Fiche de présentation de la FPC sur l’apprentissage coopératif en EPS
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Module : 35065 06 - APPRENTISSAGE COOPERATIF EN EPS
Objectif pédagogique : Montrer l'intérêt d'un apprentissage coopératif pour construire les compétences en EPS dans des niveaux d'interdépendance variés : illustrations dans plusieurs APSA des différents champs d'apprentissage. Faire construire par les participants du stage des contextes d’apprentissage coopératifs pour ensuite les tester avec ses classes et les partager.
Contenu : A partir de situations ou de formes scolaires de pratiques, présentation des dispositifs pédagogiques et didactiques coopératifs pour apprendre à coopérer et coopérer pour apprendre. Les conditions pour la mise en place “d'histoires collectives d’apprentissage” et l’explicitation des notions associées (coaching, tutorat…). Construction et mise en place par les participants dans leurs classes de situations permettant aux élèves de vivre des expériences collectives : sources d’apprentissage.
Forme : Stage.
Priorité : Aucune des priorités nationales actuelles
Modalités : présentiel période : P2 - P3 - P4 intervenants : formateurs disciplinaires regroupement : départemental
Public-cible : FONCTION D'ENSEIGNEMENT. Professeurs d'EPS. COMPETENCES VISEES EN04 - prendre en compte la diversité des élèves EN15 - maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique EN19 - évaluer les progrès et les acquisitions des élèves
Durée en heures : 12
Nombre de places prévues par groupe : 40
Nombre de groupes possibles : 4
ANNEXE 3 : Fiche d’aide à la conceptualisation d’une situation d’apprentissage coopérative
ANNEXE 4 : Questionnaire et réponses
(PS : les fautes sont dans les réponses des collègues…)
[1] https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:USPC+37025+session01/about
[2] https://www.education.gouv.fr/operation-nation-apprenante-303174
[3] La formation continue des enseignants du second degré : de la formation continue au développement professionnel et personnel. Rapport IGEN/IGAENR n°2018-068, septembre 2018
[4] Programme d'enseignement commun et d'enseignement optionnel d'éducation physique et sportive pour la classe de seconde générale et technologique et pour les classes de première et terminale des voies générale et technologique. Arrêté du 17-1-2019 - J.O. du 20-1-2019 Programmes d'enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2), du cycle de consolidation (cycle 3) et du cycle des approfondissements (cycle 4). Arrêté du 9-11-2015 - J.O. du 24-11-2015
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